L’enlisement de la crise sociopolitique togolaise conduit aujourd’hui à un durcissement de ton de la part des Togolais, qui pour la plupart, pensent à un mouvement insurrectionnel, un soulèvement populaire contre le régime Faure Gnassingbé. Une révolution digne de ce nom pour faire partir la minorité au pouvoir. Les évènements de 2014 au Burkina Faso qui ont coûté le départ du dictateur Blaise Compaoré du pouvoir, etc. donnent matière à réflexion aux Togolais. Et aujourd’hui, avec les jalons que posent les apparatchiks du régime RPT/UNIR qui balisent la voie à un 4ème mandat pour Faure Gnassingbé, refusant d’opérer les réformes constitutionnelles et institutionnelles voulues par tous, il y a donc à redouter une situation inconfortable qui risque d’emporter le régime politique.
« Les réformes ce n’est pas pour faire partir X ou Y mais c’est mettre le compteur à zéro et permettre à tous ceux qui veulent présenter leur candidature de le faire. Nous voulons un texte impersonnel, une loi impersonnelle. Nous ne voulons pas un texte qui vise un individu comme quoi tel a fait deux mandats ». C’est en termes que s’est exprimé le 13 juin dernier Christophe TCHAO, le président du groupe parlementaire UNIR. Des propos que cet ancien ministre des Sports a également tenus avant la présidentielle de 2015 lorsqu’il s’est agi de se plancher sur la question des réformes.
Loin de faire une fixation sur la personnalité du sieur TCHAO et son discours de controverse, il convient néanmoins de souligner que sa déclaration n’est que la partie visible de l’iceberg, sinon la résultante de la position observée par tous les dignitaires du régime RPT/UNIR, ainsi que le président du parti et président de la République togolaise Faure Essozimna Gnassingbé.
En effet, dès sa prise du pouvoir en 2005 sous les huées de la communauté internationale et du peuple togolais, Faure Gnassingbé n’a pas tardé pour faire connaître son réelle intention : « Lui, c’est lui ; moi, c’est moi ». C’est ainsi que s’ouvrait un nouveau bail à vie sur le Togo comme si les 38 ans de règne tyrannique du Général Eyadéma sont passés par pertes et profits et qu’il faille que son fils Faure Gnassingbé mette « le compteur à zéro » afin d’ouvrir une nouvelle page pour l’éternité. Des faits et gestes du jeune monarque ont apporté du grain à moudre à l’opinion nationale et internationale sur le refus de Faure Gnassingbé de quitter le pouvoir pour assurer une alternance voulue par les togolais.
A Accra au Ghana, en décembre 2014, devant l’air médusé de son homologue ghanéen John Dramani Mahama, Faure Gnassingbé a été plus ferme en sonnant le glas des réformes : « Tout ce que je peux vous dire, c’est que la Constitution en vigueur sera rigoureusement respectée ».
L’invocation de cette Constitution « charcutée » en décembre 2002 par le Général Eyadéma, aidé par ses troubadours, est à dessein. Puisqu’elle est l’expression d’une volonté manifeste de l’actuel chef de l’Etat togolais de barrer la route à toute idée de réformes constitutionnelles et institutionnelles qui elles-mêmes appellent à l’alternance et au changement. Le reste, c’est de la diversion, une manœuvre politique et politicienne avec des commissions qui se succèdent puis disparaissent, des ateliers ou cadres de discussion qui s’ouvrent puis se refermer sans aucun résultat, une véritable machination pour bluffer, faire croire que Faure Gnassingbé veut bien les réformes : « Le parti UNIR veut les réformes tout comme le président de la République qui l’a annoncé dans son discours à la nation », déclarait le député Christophe TCHAO.
Or, le paradoxe vient même de ce « président de la République » qu’on tente de présenter comme un démocrate lorsqu’il faisait la déclaration malicieuse à Accra : « Naturellement, l’opposition et les partis politiques peuvent avoir une opinion sur telle ou telle autre chose, mais ce vers quoi nous devons tous tendre, c’est la stabilité et le respect des dispositions constitutionnelles ». C’est d’ailleurs ce qui explique plus d’une décennie de refus obstiné du pouvoir togolais de réaliser ces réformes voulues par tous les Togolais afin de donner au pays, les bases d’une démocratie véritable à travers un suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois, et un scrutin uninominal majoritaire à deux tours, tels que prévus dans la Constitution d’Octobre 1992.
Face à cette situation, aujourd’hui, l’exaspération est à son paroxysme, et les Togolais de l’intérieur et ceux de la diaspora ne se payent pas de mots pour appeler à un changement radical contre le régime.
Sur le terrain, 11 partis de l’opposition togolaise se voient obligés de s’unir pour mieux peser sur l’échiquier national et international, fédérer leurs efforts ou énergies en vue de continuer à mettre la pression sur le pouvoir togolais afin qu’il lâche du lest pour organiser les réformes et résoudre la question de la décentralisation.
Bien avant cette démarche unitaire de ces partis de l’opposition, c’est les conducteurs de taxi-moto (Zémidjan) qui surprennent l’opinion nationale à travers un geste courageux et spontané. Excédés par la ruse et le dilatoire habituels du régime, ils envahissent le 23 mai dernier, les locaux d’une radio privée de la capitale et sur un ton pénétré, ils ont lancé un « ultimatum » aux députés de voter telles quelles, la proposition de loi introduite au Parlement par la paire ANC-ADDI.
Quant au peuple, il reste déterminé dans sa lutte pour l’alternance et le changement. Le stade de Sokodé qui a fait le plein le 13 mai dernier à l’appel du PNP de Tikpi ATCHADAM, et à Lomé le 28 mai dernier, Bé-Kodjindji refusait du monde avec l’ANC de Jean-Pierre FABRE. La foule des manifestants présents à ces différents meetings, témoigne que les Togolais n’ont jamais abdiqué. Pendant ce temps, la diaspora togolaise renoue avec ses appels incessants à l’endroit des Forces Armes Togolaises afin qu’elles prennent leur responsabilité dans la crise togolaise et engager le pays sur la voie de la démocratie et de l’Etat de droit.
Même si beaucoup redoutent aujourd’hui un mouvement insurrectionnel comme ce fut le cas au début des années 90 au Togo, la crise socioéconomique qui sévit actuellement dans le pays pourrait être déterminante dans le choix des Togolais à en finir avec le pouvoir de la minorité. Car, le peuple supporte de moins en moins de vivre dans la misère, une indigence totale, une précarité indicible. Il a plus en plus conscience que c’est sur lui que repose la souveraineté du pays. « Lorsque la République est en danger, chacun doit se sentir concerné », rappelait le Prof. Komi WOLOU, avant que Jean-Pierre FABRE ne renchérisse : « Si le Parlement refuse de faire les réformes, il revient à la population de dire non à leurs mandataires ». C’est d’ailleurs pourquoi le président de la jeunesse de l’ANC, Jean Eklu avait déclaré qu’ils n’ont qu’ « un seul chapitre : la relance de la mobilisation ».
A tout prendre, les prochains jours décideront du sort du régime togolais.
Sylvestre K. BENI