Tout pays a son modèle, sa référence, son repère. Le Togo semble ne pas en avoir et les acteurs de tous les secteurs s’équivalent. L’émergence est étouffée, l’audace est mutilée, la crédibilité est combattue. Le pays baigne dans la médiocrité, dans son histoire passée et présente. Un frein pour l’émergence d’une nouvelle race de personnes de référence. Un allure qui compromet dangereusement l’excellence dans le pays.
Depuis plusieurs années, le Togo a entamé sa phase de réconciliation nationale. C’est clopin-clopant qu’il y arrive. Une difficulté née du manque des éléments de référence, les hommes de repères notamment, qui freine la réussite de ce passage obligé vers l’épanouissement. De l’Europe en Amérique, de l’Asie en Afrique, bref de par le monde les grandes nations se construisent autour des grandes personnalités qui servent des repères aux futures générations. Abraham Lincoln incarne véhémentement la démocratie américaine, et à sa suite plusieurs autres personnalités. Charles de Gaule est une personnalité de référence en France, qui fait plus ou moins l’unanimité. Et ce repère, le Togo en manque dans presque tous les domaines de la société. Nonobstant cette réalité, le Togo a connu de grandes personnalités. Cependant aucunes de ces personnalités n’a réussi à s’ériger en référence pour faire l’unanimité.
Ailleurs, ceux qui le représentent dans leurs sociétés n’étaient pas nés ainsi ; c’est la société elle-même qui les érige ainsi en retenant d’elles les bons actes qui peuvent faire la fierté des leurs concitoyens sans distinction de rang social, ou de bord politique. C’est donc un élément nécessaire à l’édification de l’Etat-nation. Tel n’est pas le cas pour le Togo. Les grandes personnalités que ce pays a connues sont soit, peintes en noir, vilipendées, dénigrées ou simplement laissées dans les oubliettes. Cette situation bien qu’elle soit vivace, est en réalité issue de l’histoire du pays et surtout de sa vie politique.
En effet, durant sa marche vers l’indépendance, le Togo a connu d’illustres personnalités politiques. Ceux-ci avaient marqué l’histoire politique du pays à travers leur charisme et leur dévouement pour un Togo meilleur.
Mais aujourd’hui, leurs noms ne représentent pas grand-chose dans l’esprit collectif des togolais. Et au fur et à mesure que les changements politiques surviennent, le réflexe des nouveaux dirigeants, c’est d’effacer totalement ou réduire à néant ceux qui les ont précédés. En 1951, avant les indépendances, les militants progressistes succédèrent aux nationalistes à la suite des élections qu’ils avaient gagnées. Le premier souci des nouveaux dirigeants, une fois au pouvoir était de prendre des dispositions pour mettre les nationalistes loin de la scène politique voire salir leurs leaders aux yeux des populations et de la communauté internationale.
En 1958 quand les nationalistes reprirent la main, ils en firent pour autant, comme pour prendre la revanche ; démolissant presque les acquis des progressistes.
Certains de leurs leaders furent même contraints à l’exil.
A partir de l’avènement au pouvoir de Gnassingbé Eyadema, dans le but d’imposer le RPT et en faire un parti Etat en terrain conquis, la formule était déjà la : se lancer dans la diabolisation des leaders politiques des régimes précédents était devenu une réelle préoccupation du nouveau régime.
Sylvanus Olympio, le père de l’indépendance était taxé d’oppresseur. C’est ce qui explique la célébration de son assassinat sous le sceau de la libération nationale. Le 13 janvier étant devenu une fête nationale pendant plus d’un quart de siècle.
Aujourd’hui le RPT n’est plus, nouveau maître, nouveau commandement. Mais en réalité ce n’est la dénomination qui a changé, car c’est toujours le même système qui est aux affaires avec ses réalités intrinsèques, ses méthodes, ses ambitions et ses stratégies.
Paradoxe, les nouveaux acteurs cherchent à se démarquer de leurs prédécesseurs. Pour eux, UNIR n’a rien en commun avec le RPT d’alors, reniant presque leurs propres anciens leaders.
Ils sont nombreux, ces militants d’UNIR qui rejettent s’être issu du RPT, à qui le simple nom de Eyadema fait honte. C’est plutôt les militants des partis de l’opposition qui les taxent du RPT.
Cela en va de même pour les partis de l’opposition. Le regard que portent les militants de l’ANC sur leurs anciens camarades de lutte de l’UFC dont le leader est Gilchrist Olympio, et celui que portent les militants de FDR à ceux du CAR dont le leader est Me Yawovi AGBOYIBO, ne sont quasiment que négatifs.
On préfère retenir leurs pages sombres que l’idéologie qu’ils ont eu à incarner, les vertus qu’ils avaient manifestées.
Si Sankara est une référence, un repère pour les burkinabés, Houphouët-Boigny pour les ivoiriens dont chacun se réclame héritier, Mandela pour les sud-africains, Mathieu Kérékou pour les béninois, c’est parce qu’ils avaient su préserver les actes positifs de ces hommes d’Etats ; ils n’étaient pas certes, des hommes pieux et des saints.
Les exemples sont légion en Afrique et ailleurs dans le monde.
Au Togo, ces genres de personnalités ne manquent pas. Si elles font la pluie et le beau temps durant leurs carrières politiques ou professionnelles, au soir de leur vie, ils perdent toutes crédibilités devant le peuple.
Soit en s’opposant à la volonté du peuple, soit c’est le régime en place qui est à l’origine des situations créées de toutes pièces pour discréditer ces personnalités aux yeux de la population et donc casser l’ascension de celles-ci.
Dans les Etats-nations, si les références ne sont pas issues du rang des politiciens, c’est plutôt les autorités traditionnelles, les autorités religieuses et de l’armée qui servent de repères.
Depuis que la politique s’est introduite dans le choix des autorités traditionnelles, les rois et les chefs ont perdu de leur valeur au Togo.
Les chefs de villages et de cantons généralement illégaux n’ont aucun poids devant les autorités administratives de ces localités.
Il n’est pas rare de voir les autorités traditionnelles se prosterner devant un ministre ou un préfet. Face à la misère, certains chefs sont obligés de quémander de l’aide auprès des autorités administratives ; ils échangent donc leurs autorités contre les biens matériels.
Par ailleurs, quand le président Ghanéen a besoin de s’entretenir avec le Roi des ashantis, il se déplace dans son palais, enlève ses chaussures et s’exécute. Quand le président burkinabé a besoin du Roi des mossis, il se dirige vers son palais royal. Au temps fort de la crise Burkinabè consécutive au départ de Blaise Compaoré, c’est le Moro Naba qui a à un moment été consulté pour voir les directives à suivre pour sauver l a nation.
Au Togo, c’est plutôt les autorités traditionnelles qui mendient des audiences afin d’être reçues à la présidence pour se plier à l’agenda du Président. Le moindre entretien avec le Chef de l’Etat est brandi comme un trophée de guerre, pour narguer les jaloux.
Les autorités religieuses qui veulent servir de référence en dénonçant les maux qui minent le pays, les injustices, ont dû replier sur elles-mêmes car ne pouvant plus supporter les intimidations et les calomnies. Les cas de Monseigneur Kpodzro ou encore Barrigah ou du Père Pierre Chanel Affognon sont illustratifs de cette déviance nationale. L’Union musulmane a réussi à étouffer les références de l’islam, des imams de référence pour inféoder l’union au pouvoir.
Aussi faut-il encore le dire, dans l’armée il n’existe aucun haut gradé qui puisse inspirer confiance à la population. Tous et toutes, hier et aujourd’hui font allégeance au pouvoir et à son Chef.
Toutes ces conditions ne permettent pas d’avoir une personnalité en qui le peuple peut avoir confiance et à qui tout le peuple et les acteurs politiques en particulier peuvent avoir recours dans les situations de crise ou d’incertitude.
Avoir un homme de référence, un repère dans un Etat-nation qui aspire à la réconciliation nationale comme le nôtre est donc indispensable.
Il va falloir par conséquent créer les conditions favorables à l’avènement des hommes de références dans le pays. Aux grands hommes, mettez l’intérêt du peuple devant afin qu’il fasse de vous des références.
Amos DAYISSO