Plus les jours avancent, plus les positions des différents acteurs politiques se durcissent, et plus se dissipe un dénouement heureux de la crise politique togolaise. Depuis le 19 août, début de la contestation populaire, près de 10 personnes ont trouvé la mort, œuvre des interventions des Forces armées togolaises (FAT) qui semblent prendre fait et cause pour le régime togolais. Aujourd’hui, les messages des populations à l’endroit des FAT deviennent plus sérieux et plus incisifs que jamais pour la libération du peuple. L’armée togolaise, entre rempart du pouvoir et espoir du peuple, est appelée à contribuer au dénouement de la crise politique togolaise?
Depuis plus de cinq décennies, les Forces armées togolaises sont au centre des intrigues et de toutes les convoitises. Soit, elles sont convoquées pour assurer la pérennité du régime actuel, soit pour y mettre fin et restaurer les principes et valeurs démocratiques. L’Armée qui devrait observer la neutralité, puisque « nationale, républicaine et apolitique » selon les dispositions de l’article 147 de la constitution, est depuis des lustres et ceci, en violation des textes constitutionnels, une pièce maîtresse et incontournable dans la politique au Togo.
Elle est d’ailleurs à l’origine de cette crise politique au Togo du fait de l’assassinat du premier président démocratiquement élu, Sylvanus Olympio pour l’imposition du général Eyadéma. Elle est encore à la manette en 2005 pour asseoir le règne dynastique avec l’arrivée de Faure Gnassingbé au pouvoir. « Nous déclarons vous servir loyalement à partir de cet instant », a déclaré à la mort d’Eyadéma, le général Zakari Nandja, le chef d’état-major des FAT aux côtés d’autres généraux et officiers supérieurs des forces armées togolaises. Or, l’article 148 de la constitution dispose que, « toute tentative de renversement du régime constitutionnel par le personnel des forces armées ou de sécurité publique, par tout individu ou groupe d’individus, est considérée comme un crime imprescriptible contre la nation et sanctionnée conformément aux lois de la République ». Mais la branche militaire du régime a fait fi de toutes ces prescriptions.
Ainsi, la litanie des faits sociopolitiques majeurs renseigne souvent sur le rôle prépondérant qu’a joué et que joue l’armée dans les situations politiques difficiles au Togo. Voilà pourquoi, qu’il soit membre du parti au pouvoir et de l’opposition, chaque togolais convie « l’armée à prendre sa responsabilité », ce qui selon l’entendement des soutiens du régime togolais, est de défendre et de protéger les institutions de la République. Or, dans l’approche des opposants ou contestataires du pouvoir togolais, l’invite de l’armée à prendre sa responsabilité signifie : libération du Togo du joug des Gnassingbé, défendre la démocratie et restaurer l’Etat de droit.
Aujourd’hui, c’est beaucoup plus du côté des contestataires du régime Gnassingbé que l’appel ou le cri de détresse des togolais envers l’armée devient plus manifeste. « Militaires togolais, vous n’êtes pas esclaves des Gnassingbé. Libérez-vous pour enfin libérer le Togo », « Que des militaires républicains sortent de l’ombre pour libérer le peuple », « Soldats togolais, la patrie t’appelle, et tu dois répondre ».
Ces différents messages que portent les pancartes et que brandissent plus haut les manifestants au détour des commissariats de police et autres garnisons lors des marches de protestation de l’opposition, en disent long sur cette envie des togolais pour une immixtion de l’armée sur la scène politique ou une ingérence dans les débats politiques de l’heure et de prendre position pour le peuple. « L’armée est à l’origine du mal togolais et se doit d’œuvrer à l’éradiquer », soulignent certains togolais. Une vision partagée par le Commandant dissident Olivier Amah Poko qui avait une fois lancé que « l’armée doit prendre sa responsabilité » avant de fuir le pays et rentrer dans la clandestinité.
En effet, cette armée, faut-il le rappeler, est coutumière d’ingérence dans la politique togolaise depuis janvier 1963 avec l’assassinat de Sylvanus Olympio, janvier 1967 avec le coup d’état contre Nicolas Grunitzky, avril 1967 avec Eyadéma s’autoproclamant président du Togo et ministre de la défense après avoir déposé le gouvernement de Kleber Dadjo ; décembre 1991, l’attaque de la primature de Joseph Koffigoh et fin de la transition démocratique, juin 1998, le général Séyi Mèmène proclame de fausses élections en faveur d’Eyadema puis février et avril 2005, Faure Gnassingbé, imposé au peuple togolais par l’armée (ce rappel historique n’est que sélectif).
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui soutiennent qu’il est temps, grand temps d’ailleurs que l’armée togolaise corrige son image de béquilles ou de défenseurs du régime RPT/UNIR, en cessant d’écouter la minorité qui pille les richesses nationales au détriment de la majorité. Pour ceux-ci, l’armée doit œuvrer pour l’enracinement de la démocratie et le partage équitable des ressources. Car disent-ils, « Si le Togo change, l’armée sera la première bénéficiaire ».
Si manifestement, beaucoup de togolais demandent une intervention militaire sur le théâtre politique et de prendre position en faveur du peuple togolais las de plus de cinq décennies de lutte politique, Tikpi Atchadam, pense pour sa part qu’il serait plus judicieux que cette armée observe une neutralité afin de favoriser le jeu démocratique comme l’exige la constitution togolaise. « Nous ne demandons pas à l’armée de prendre la place de l’opposition, mais de rester à sa place et de jouer le rôle qui est le sein », avait déclaré le président du PNP.
Une position qui dans le fond n’est pas aussi différente de celle que nourrit la majorité des togolais, à savoir une intervention militaire pour la résolution de la crise. Car, il y a longtemps que le régime Gnassingbé serait balayé par les manifestations de rue si l’armée togolaise avait observé une certaine neutralité lors des multiples crises sociopolitiques que le pays a connues.
Alors, les cris de sirène au quotidien, ces différents appels au secours des populations en direction de l’armée togolaise pour la restauration de la démocratie et l’édification d’un Etat de droit, pourront-ils un jour trouvé écho favorable auprès des militaires togolais pour inverser la donne politique comme le souhaite impatiemment le peuple dans sa majorité ?
Tenter de répondre à cette interrogation par l’affirmative ou de dire que c’est possible n’est pas en soi un geste osé ou audacieux. Il serait aussi illogique et assez surprenant de considérer cette réponse comme les prédictions d’un prophète du malheur pour la simple raison que l’histoire récente au pays des hommes intègres, le Burkina Faso, peut nous être très édifiante.
Aussi, serait-il superfétatoire d’avancer que rien n’est impossible en politique, bref dans la vie courante. C’est pourquoi dans les Nouveaux essais sur l’entendement humain, Leibniz, le philosophe allemand disait que « les idées possibles sont vraies et les idées impossibles sont fausses ».
Il apparaît donc que le feuilleton politique togolais n’a pas encore livré son dernier épisode. Ce qui revient à dire que seul l’avenir saura répondre avec précisions si les forces armées togolaises tenteront de sauver leur image ternie par un sursaut patriotique qui fera encore date, rentré dans l’histoire politique de la Nation togolaise. Au regard des interpellations et des invites tous azimuts, les analystes politiques pensent que sur la question, c’est sûr et cela ne va plus prendre du temps. L’armée finira par lâcher et prendre position vis-à-vis du peuple.
Sylvestre K. BENI