Le Togo est un pays dont l’environnement est fortement influencé par la coutume. De ce fait, en dépit des dispositions prévues par le Code des personnes et de la famille (CPF), beaucoup sont ceux qui ignorent encore ou méconnaissent les droits de la veuve, surtout en ce qui concerne la part qui doit lui revenir dans le patrimoine familial. Conséquence, à la mort de son mari, la veuve quitte le foyer ou plutôt elle en est renvoyée, complètement démunie, alors qu’elle a contribué, par ses efforts, à bâtir ce patrimoine dont la coutume la dessaisit le plus clair du temps. Quels sont les droits de la veuve dans le patrimoine familial ? Comment s’opère sa transmission et quelles sont les difficultés liées au bénéfice du droit de la veuve dans la liquidation de la succession ? Enquête.
La pratique est courante aussi bien au Togo que dans les autres pays africains. A la mort de son mari, que ne fait-on pas subir à la veuve. Tout commence avec les pratiques les plus avilissantes et les plus humiliantes de veuvage qu’on lui inflige. Après cette étape, vient celle où la famille proche du défunt dépouille la veuve et ses enfants de tous les biens que leur a laissés le mort. C’est ainsi qu’il n’est pas rare de voir des oncles et tantes sortir purement et simplement la veuve de la maison de leur frère décédé. Pour certains de ces oncles et tantes, c’est l’occasion de régler leur compte à cette femme qu’ils n’ont jamais aimé, qu’ils n’ont jamais accepté que leur frère épouse. La veuve et ses enfants se retrouvent à la rue, ne sachant à quel saint se vouer. Voilà autant de situations qui révoltent et qui méritent d’être prises défendues.
Qualités requises pour être veuve et patrimoine familial
Avant d’évoquer la part à laquelle la veuve a droit dans la succession, il serait bien de parler de la qualité requise pour être veuve au Togo.
D’après l’article 95 du Code des personnes et de la famille, « la vocation successorale de la veuve ne se présume pas ; car nul ne peut réclamer les effets civils du mariage ». Le même Code indique à son article 75 que « le mariage doit être obligatoirement célébré par un officier de l’Etat civil ou par un chef traditionnel investi en cette qualité ».
Outre cette considération, le Code de la famille du Togo indique que la femme mariée pourra être vraiment considérée comme veuve à la mort de son époux s’il n’y a pas eu de jugement de divorce ni celui de séparation de corps passés en force de chose jugée (article 430) ; si elle n’a pas été déclarée indigne de succéder à son mari par décision de justice passée en force de chose jugée pour être auteur, coauteur ou complice de la mort de celui-ci (article 396) ; et si elle n’est ni coupable de faits injurieux envers le défunt pour refus de se soumettre aux rites de deuil constitutif d’indignité successorale, le caractère non injurieux du refus étant apprécié au regard de la coutume du défunt (article 397).
La veuve qui remplit les conditions précitées dispose alors de ce qu’on appelle « la vocation successorale ». Par conséquent, elle a des droits. Toutefois, la part que la veuve recueille dans l’héritage de son mari varie en fonction des successibles en présence (le successible étant défini comme celui qui a la capacité légale pour recueillir une succession) et du régime patrimonial.
En fonction des successibles en présence, les droits de la veuve sont définis dans les articles 431,432 et 433 du Code de la famille. Ces articles stipulent d’une part que lorsque le défunt laisse des enfants ou descendants d’elle, la veuve a droit au quart (1/4) des biens de la succession.
D’autre part, ils indiquent que si à défaut des descendants, le défunt laisse plusieurs parents, des ascendants, des frères et sœurs, des collatéraux, la veuve a droit à la moitié (1/2) des biens dépendant de la succession.
Aussi, à défaut de descendants ou de parent au degré successible, la succession est-elle dévolue en totalité à la veuve.
En ce qui concerne le régime matrimonial, la loi en organise trois au Togo. Il s’agit de la séparation des biens ; de la communauté des biens ; et du régime communautaire de participation aux meubles et acquêts (chose acquise par donation ou testament) (article 348). Au Togo, le régime légal ou régime de droit commun est celui de la séparation de biens. Dans ce régime, il est à noter qu’à la dissolution du mariage pour cause de décès, la veuve a droit au quart des biens successoraux.
Par contre, lorsque les époux se marient sous contrat et en optant pour le régime de la communauté ou sous celui communautaire de participation aux meubles et acquêts, la liquidation de la communauté s’impose avant celle de la succession. Elle procure à la veuve la moitié du patrimoine du couple. La liquidation de la succession s’effectue sur l’autre moitié et lui donne droit au quart sur cette masse successorale.
Comment s’opère la transmission du droit de la veuve ?
Selon les explications de Me Molgah Kadjaka Abougnima, présidente de la Chambre des notaires du Togo, la transmission du droit de la veuve au Togo est liée à un certain nombre de charges. Ainsi, selon l’article 394 du Code des personnes et de la famille, la succession s’ouvre au domicile du défunt et est assujettie à un certain nombre de procédure. A son ouverture, les ayants droit (y compris la veuve) peuvent contacter à l’amiable un notaire pour procéder à la liquidation de la succession. Cette action consistera à faire établir un acte de notoriété après décès (acte qui constate les successibles) et à désigner un administrateur des biens. En cas de conflit, le juge désigne un administrateur judiciaire. Celui-ci aura alors pour charge de dresser un acte d’inventaire des biens meubles et immeubles ; de procéder à leur expertise par un professionnel en la matière pour fixer leur valeur ; de procéder à la déclaration de succession aux services de l’administration fiscale, qu’il y ait ou non des droits successoraux à payer, afin d’obtenir le quitus fiscal.
L’administrateur judiciaire doit par ailleurs régler toutes autres charges liées à la liquidation de la succession dans son ensemble. Il doit également délivrer la quotité de la veuve (partie du patrimoine dont on peut disposer librement par donation ou testament malgré la présence d’héritiers réservataires, c’est-à-dire d’un héritier qui a droit à la réserve légale), déductions faites des charges liées à la liquidation de la succession dans son ensemble.
Cependant, il faut noter qu’en cas de pluralité de veuves, toutes se partagent équitablement la quote-part (part que chacun doit recevoir dans la répartition) qui revient au conjoint survivant.
Bénéfice du droit de la veuve dans la liquidation de la succession
Au regard des notaires togolais, la protection juridique de la veuve par le Code des personnes et de la famille, bien que sécurisante dans son principe, reste tout de même difficile d’application à cause de l’article 391 qui met en concours le droit coutumier et le droit moderne dans le règlement de la succession.
« L’article 391 du Code des personnes et de la famille pose les conditions de bénéfice du droit de succession de la veuve. Selon ses dispositions, l’époux, de son vivant, doit avoir renoncé à l’application de la coutume à sa succession. Mais, combien de Togolais savent qu’ils doivent renoncer à la coutume en matière de succession ? Dans la pratique, nous nous sommes rendus compte que personne ne renonce à la coutume, ceci par le fait de l’illettrisme de nos concitoyens en milieu rural et de l’ignorance des textes. Par ricochet, pratiquement toutes les veuves sont privées de la protection juridique en cas de décès de leur époux car la plupart des coutumes dénient le droit de propriété des terres aux filles et aux veuves », fait observer Me Molgah Kadjaka Abougnima. Et d’ajouter que malgré la ratification par le Togo des conventions et protocoles internationaux relatifs à la non discrimination et au respect de la dignité de la femme, encore faut-il que la veuve ait les moyens et le courage de se lancer dans une bataille juridique pour entrer en jouissance de ses droits.
Par ailleurs, de l’avis de la patronne des notaires du Togo, la perte de la « vocation successorale » par la veuve au regard de l’article 397 du Code des personnes et de la famille précarise son droit. Et pour cause, estime-t-elle, « l’indignité successorale de la veuve par rapport à son refus de se soumettre aux rites de veuvage, acte considéré comme injurieux envers le défunt au regard de sa coutume, est injuste car dans la plupart des coutumes, il existe des rites de deuil qui sont bien dégradants et humiliants et qui parfois portent atteinte au moral et à la dignité de la veuve ».
Heureusement pour les veuves qu’un nouveau Code des personnes et de la famille est adopté pour corriger les manquements. Et nombreux sont les défenseurs de leur droit qui estiment que le Code réformé avantagera beaucoup plus les veuves.
Rodolph TOMEGAH