Projet de loi : Rejet, désaveu et impasse…
Le tableau politique togolais s’annonce sombre dans les prochains jours. Tâtonnements récurrents sur les reformes, intransigeance de part et d’autre du pouvoir et de l’opposition, recours à la force de la rue d’une part et à la majorité parlementaire d’autre, 2015 s’annonce fiévreux pour l’élection présidentielle. Entre l’intransigeance du pouvoir à s’imposer sur les points clés des reformes et la probabilité de la candidature de Faure Gnassingbé à la prochaine élection présidentielle, l’opposition ANC/Arc en Ciel s’organise. Au-delà des manifestations de rue qui ne sont pas moins agaçantes pour le pouvoir, le rapprochement s’amorce et de plus en plus la candidature unique se précise pour l’ensemble de l’opposition. Objectif, battre Faure Gnassingbé dans le cas d’une probable candidature. Le jeu est serré, l’équation s’équilibre, le pouvoir panique. Le premier ministre désormais sur une chaise éjectable après le désaveu des députés de son parti. Dossier…
Croisée de chemins devant l’impasse dans laquelle les députés du parti présidentiel UNIR ont plongé hier le Togo et sa politique dans le rejet catégorique du projet de loi sur les reformes. Soumis au vote à l’assemblée, 62 députés UNIR et un député UFC ont voté contre, 19 députés ANC, 6 de la coalition Arc en ciel, un de sursaut et un non inscrit nommé Djimon ORE ont voté pour et un dernier député de l’UFC s’est abstenu.
Ce qui revient à dire que les reformes qui concernent la constitution viennent de recevoir un coup dur. Les plus importantes étant donc la question de la limitation de mandat qui est proposé pour être à deux de cinq ans et le mode de scrutin qui est souhaité pour passer d’un tour à deux. Selon le texte introduit les modifications devraient être apportées aux articles 52, 59, 62, 79, 100 et 101, complétés par l’article 60.
Des questions essentielles relatives également à la recomposition de la Cour constitutionnelle.
Prévue pour 2015, l’élection présidentielle suscite déjà des passions et des émotions et les acteurs de la scène politique ne baissent pas les bras en ce qui concerne la mobilisation des troupes.
En raison des contentieux précédents et des critiques faites aux dernières élections surtout présidentielles, les observateurs, les partenaires, les militants des partis politiques et les responsables des différents partis sont de plus en plus exigeants sur la transparence. Elle ne passe pas seulement sur le cadre électorale et constitutionnel qui est à la base des irrégularités électorales, mais sur une épineuse question d’alternance politique. L’alternance politique au Togo va au-delà de la simple question de changement de régime politique ou de président à la tête d’un pays. Elle est plutôt fondée sur une évidence étonnante dont, seul le Togo pour l’heure détient la spécialité. La gestion du pays par la seule famille Gnassingbé.
La plupart des observateurs occidentaux à qui on confie que l’opposition exagère malgré les reformes faites par Faure Gnassingbé se dressent rapidement et sont convaincus lorsqu’on leur apprend que le problème qui frustre le Togolais est simple et compréhensible : Faure Gnassingbé, le Chef de l’Etat est au pouvoir depuis dix ans. C’est-à-dire qu’il vient de boucler deux mandats à la tête du Togo. Il a certes mené des reformes et des projets qui ont remis en cause la gestion précédente du pouvoir incarné par un homme nommé Gnassingbé Eyadéma. Mais toutes ses actions sont purement et simplement annihilées par un fait. L’un est le père de l’autre. En clair, Faure Gnassingbé est le fils de Gnassingbé Eyadéma. Gnassingbé Eyadéma est mort au pouvoir en 2005 après avoir dirigé le Togo pendant 38 ans. Cela veut dire en termes simples que le Togo avoisine un demi-siècle de règne d’une et une seule famille, Gnassingbé.
Rien n’est sûr, avec le tableau politique actuel et le débat sur les reformes, que Faure Gnassingbé est prêt pour quitter le pouvoir avant dix ans.
Brève démonstration de l’histoire politique togolaise qui scandalise toutes les personnes qui tentaient de critiquer l’intransigeance d’un peuple incarnée par une opposition à obtenir l’alternance.
C’est donc cet argument logique et simple qui complique l’équation pour le pouvoir en place.
Le cafouillage du dialogue politique
Comme il est facile de le constater, les partis de l’opposition togolaise sont dans la rue, quelques jours seulement pour protester contre le pouvoir qui selon elle refuse d’opérer les reformes constitutionnelles et institutionnelles qui s’imposent à la politique par l’accord politique global.
Cette sortie de l’opposition est consécutive au récent dialogue politique qui a réuni les délégués des partis parlementaires autour de 12 points dont la limitation de mandat à deux, de cinq ans, et le mode de scrutin que l’opposition veut à deux tours.
Dans la salle du dialogue facilité par Monseigneur Barrigah, les protagonistes ne se sont pas entendus. L’opposition qui s’était investie à prendre au sérieux l’occasion provoquée par son Chef de file, Jean-Pierre Fabre a été malmenée par les délégués du parti UNIR au pouvoir qui ont affiché une attitude singulière au rendez-vous de Togotélécom.
Alors que le tour de table faisait cracher aux membres des partis d’opposition des souhaits pour l’amélioration du cadre constitutionnel et institutionnel, les délégués du parti présidentiel se refugiaient derrière un silence incompréhensible. Dévoués à seulement écouter les propositions du parti au pouvoir sans en faire. Une stratégie de sourd-muet lâchée par Komi Klassou, vice-président de l’assemblée et cadre du parti UNIR.
La suite des discussions politiques a été sans appel.
L’opposition a refusé purement et simplement de signer le rapport final issu de la rencontre qui s’est terminée en queue de poisson.
Les délégations de l’ANC de l’ADDI ont manifesté leur désapprobation en retournant à leurs vieilles amours : la rue, pour se faire entendre, ou mieux crier haro sur la forfaiture du pouvoir.
Le pouvoir est resté imperturbable et suit son chemin dans la sérénité. Le gouvernement s’est tout simplement saisi des conclusions du dialogue ébauché pour envoyer un projet de loi à l’assemblée nationale. Un plan fidèle qui rentrait dans le calcul logique du Chef de l’Etat qui avait déjà annoncé que les reformes se feront à l’assemblée nationale.
Le début des travaux de la commission des lois de l’assemblée n’a pas surpris. Le parti UNIR s’est opposé à la question de la limitation de mandat à deux de cinq ans une seule fois. Ç’aurait été un scandale vite dissimulé dans les habitudes. Les députés de la majorité venaient donc d’annoncer les couleurs de leur opposition aux principaux points des reformes constitutionnelles.
Quelques jours avant l’introduction du projet de loi, un effet de foule a été organisé par le gouvernement dans un document additif au projet. L’introduction du mode de scrutin à deux tours. Les observateurs de la scène politique ont d’abord cru à la volonté du pouvoir de s’engager assez brusquement sur la voie de la démocratie et ont fini par dénommer cette volonté par une parodie politique. En organisant cette ouverture sur la limitation de mandat déjà rejeté en commission par le parti au pouvoir et le mode de scrutin, le parti au pouvoir était sûr que cela n’irait pas loin.
La majorité parlementaire constituait en aval le blocus pour rassurer le gouvernement. Ce qui fut naturellement consommé hier au parlement où l’opposition est mise en minorité dans le vote de la loi.
Le consensus et les concessions de part et d’autre pourraient éviter ce recul démocratique perpétré hier au parlement.
Les tendances étaient néanmoins opposées sur les deux questions. Pour la majorité la limitation du mandat pourrait être opérée sans effet immédiat. Ce qui ouvrait la voie à Faure Gnassingbé de rempiler en toute tranquillité. Le parti au pouvoir veut également que le scrutin soit à un seul tour, contrairement à l’opposition qui le veut à deux.
C’est sans surprise que l’opposition parlementaire a accueilli le rejet du projet de loi par les députés du parti UNIR. Isabelle Améganvi de l’ANC évoque des consignes données aux députés de la majorité « Nous ne sommes pas surpris par ce vote, car nous savions que la consigne a été donnée de ne pas voter favorablement lorsque la loi serait présentée. Nous espérions tout en sachant la consigne, que dans un sursaut pour l’intérêt national, les députés feront ce qu’il faut pour prendre en compte les souffrances des populations.»
Les députés de la majorité eux s’enorgueillissent en évoquant la volonté du peuple. Ce qui est sans impact pour la situation politique du Togo.
Les conséquences du vote
La conséquence directe du rejet par la majorité du projet de loi introduit par le gouvernement est la radicalisation des positions politiques au sein du pouvoir et de l’opposition. Ce qui est un frein, mieux un recul pour la démocratie qui se dote pour indicateurs actuels les points inscrits à l’ordre du jour qui viennent de recevoir le coup de bottes du parti au pouvoir.
Ceci dit, le dialogue souhaité par le pouvoir, l’opposition, et la communauté internationale vient de s’enfuir par la fenêtre.
Avec ce rejet, le débat des points à l’ordre du jour se déplacent. Il quitte le parlement pour se mener dans la rue et sur les médias. Ceci permet d’entretenir la confusion face à une période électorale de plus en plus imminente.
Désaveu cinglant pour le Premier Ministre.
Le projet de loi qui vient d’être rejeté par les députés du parti au pouvoir a été introduit par le gouvernement à la tête duquel se trouve Arthème Ahoomey-Zunu comme Premier ministre.
L’homme de Kpélé Tsavié, avant de prendre fonction a présenté son programme politique à l’assemblée nationale à majorité UNIR qui a donné son onction.
C’est cette même assemblée qui vient de rejeter en bloc le projet de loi portant sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles. La conséquence est directe. L’assemblée nationale vient de désavouer le Premier ministre qui devrait logiquement se faire remplacer si la rigueur démocratique est de mise au sein du parti UNIR. Puisqu’en rejetant ce projet de loi, l’assemblée majoritaire vient de retirer sa confiance au Premier ministre et à son gouvernement ; ce qui autorise de penser à la démission imminente du Premier Ministre Arthème Ahoomey Zunu et de son gouvernement dans les conditions normales. Histoire d’effectuer les derniers réglages avant la présidentielle qui s’annonce dans moins d’un an.
L’opposition s’organise
Depuis l’arrêt de mort du dialogue politique et les velléités du pouvoir à mener les réformes, l’opposition togolaise se ressoude autour des idéaux de l’alternance. D’après nos informations, les contacts se nouent d’ores et déjà entre le CST et la Coalition Arc-en-ciel sur les stratégies de réussite de l’alternance. L’idée d’une candidature unique de l’opposition fait son chemin et se précise de plus en plus, les discussions étant avancées.
De ce fait, la présidentielle de 2015 s’annonce dure et réserve des surprises si on est obligé de voir Faure Gnassingbé à défaut d’une limitation de mandat avec effet immédiat affronter un candidat unique de l’opposition. Le souhait du peuple togolais de voir l’opposition s’engager autour d’un objectif commun d’alternance changera les règles du jeu et mettra le pouvoir dans une situation difficile si son opposition réussit à s’organiser.
Une mobilisation qui risque de compliquer la tâche au pouvoir en place si on sait que l’opposition réunie lors des dernières élections législatives réunissait arithmétiquement plus de voix que le parti au pouvoir qui se retrouve dans les fantaisies d’un découpage électoral mal léché avec une majorité à l’assemblée nationale.
Carlos KETOHOU