MORSI : la rançon du mépris du peuple
Il n’aura passé qu’une seule année au pouvoir. Arrivé à la tête de l’Egypte à la suite de l’élection présidentielle de juin 2012, Mohamed Morsi n’a pas tenu plus d’un an comme président. Il a été destitué en milieu de semaine dernière par la toute puissante armée égyptienne. Coup d’Etat, crient ses partisans de la confrérie des Frères musulmans. Peut-être ont-ils raison, puisqu’il s’agit du renversement d’un président démocratiquement élu. Mais à l’analyse, on se rend à l’évidence que par ses faits et acte Mohamed Morsi a lui-même creusé sa propre tombe.
51,73% des Egyptiens l’avaient élu en juin 2012, quelques mois après le fameux printemps arabe. Mohamed Morsi, le candidat des frères musulmans, avait battu Ahmad Chafiq, ultime Premier ministre d’Hosni Moubarak, et était devenu le premier président démocratiquement élu depuis la chute du Raïs, contraint à la démission en février 2011 après une révolte populaire. Son élection avait été saluée aussi bien par les Occidentaux que par les capitales du monde arabe. Pour le peuple égyptien qui a subi pendant une trentaine d’année la dictature d’Hosni Moubarak, Morsi était celui par qui ceux qui sont tombés au plus fort des contestations n’auraient pas trouvé la mort pour rien. Lors de sa victoire en juin 2012, Mohamed Morsi avait lancé à la place Tahrir qu’il sera « le président de tous les Egyptiens » et le garant des idéaux démocratiques de la révolte. L’espoir était donc permis. Mais quelle ne fut la surprise des Egyptiens quelques mois après ces élections. Népotisme, abus du pouvoir, promesses non tenues, les dérives de Morsi étaient légion. Un an plus tard, il laisse un pays profondément divisé avant d’être écarté par l’armée.
Les raisons d’un échec
Première erreur, l’incapacité de Mohamed Morsi à régler la situation économique et sociale de l’Egypte. Les Egyptiens l’attendaient beaucoup sur ce point. Or, la situation n’a fait que se dégrader. « Par exemple, les prix des denrées quotidiennes ont fortement augmenté rendant la situation plus difficile qu’à la période de Moubarak », explique le Français Jean-Marc Ferrié, spécialiste de l’Egypte. Et d’ajouter que la dégradation de la paix civile et de la sécurité ont eu des effets sur le tourisme, le poumon économique du pays. A tout cela, s’ajoute un très mauvais climat pour les affaires et les investissements.
Deuxième erreur, fait observer le spécialiste français, la mauvaise gestion du pouvoir par les Frères musulmans. Morsi a dirigé le pays sans prendre en compte l’existence de l’opposition et des minorités. Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau président a fait comme si les autres forces n’existaient pas en invoquant la légitimité des urnes. Or, il a oublié une chose importante. Cette chose est que sa victoire a été possible grâce au vote de l’opposition qui ne voulait pas choisir son adversaire (un ancien proche de Moubarak) afin de pouvoir se débarrasser totalement de l’ex-régime.
Et comme si les deux premières erreurs ne suffisaient pas, le président déchu a commis une troisième : organiser le referendum sur la Constitution sans tenir compte de la magistrature. Ce qui a donné aux Egyptiens l’impression que Mohamed Morsi veut s’accaparer tous les pouvoirs. Une chose qu’ils n’accepteront jamais au vu des nombreux sacrifices qu’ils ont consentis pour se libérer du régime dictatorial de Moubarak. En somme, conclut Jean-Marc Ferrié, c’est l’arrogance de Morsi qui l’a conduit à sa chute.
Un coup d’Etat ?
L’armée égyptienne, auteur de la destitution de Mohamed Morsi, ne veut pas parler de coup d’Etat. Mais pour les Frères musulmans, ce qui s’est passé ne peut pas avoir un autre nom. Dans les faits, ils n’ont pas tort puisque le dictionnaire définit un coup d’Etat comme le renversement du pouvoir par une personne investie d’une autorité, de façon illégale. Mohamed Morsi étant élu démocratiquement par les urnes, mettre fin à son pouvoir alors qu’il n’est pas encore arrivé au terme de son mandat est un coup d’Etat.
Toutefois, même si Morsi est légalement élu, force est de constater que la légitimité l’emporte parfois sur la légalité. Dans le combat qui l’opposait au Maréchal Pétain lors de l’occupation de la France par l’Allemagne au cours de la deuxième guerre mondiale, De Gaulle disait que la légalité est avec Pétain mais qu’il est légitime et donc il l’emporte. Tout simplement parce que de Gaulle savait que la majorité des Français était de son côté. Ne le perdons pas de vue, le contrat social qui permet au peuple de confier sa volonté à quelqu’un n’est pas absolu. Le peuple peut la reprendre puisqu’il est détenteur absolu de cette souveraineté. C’est ce que le peuple égyptien a fait en retirant sa volonté à Morsi. Même si c’est par le biais de l’armée.
Rodolph TOMEGAH