LEGISLATIVES: Adieu l’alternance, l’opposition doit revoir sa copie
Le psychodrame issu de l’élection législative crée la surprise au rang de l’opinion qui reste stupéfaite à l’annonce des résultats provisoires par la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Le parti du Chef de l’Etat, Union pour la république (UNIR) a raclé les 2/3 des 91 sièges à pourvoir à l’Assemblée nationale. Des informations qui sont confirmées quand on se réfère aux résultats provisoires proclamés par la CENI quatre-huit heures après le scrutin. La confirmation des résultats qui se mijotaient dans la nuit électorale avec un tel score, contraste avec le contexte sociopolitique dans lequel le scrutin a été organisé et qui ne laissait présager une moisson aussi abondante pour le parti au pouvoir. La confirmation de ces résultats par la Cour Constitutionnelle mettrait à mal l’alternance politique au Togo. Décryptage.
« 62, 19, 6, 3 et 1»: ce sont là les résultats qui sont rendus publics par la Commission électorale nationale indépendante pour les différents partis et candidats en lice pour les législatives du 25 Juillet dernier. Ces scores sont les résultats provisoires attribués respectivement à UNIR, au Collectif Sauvons le Togo (CST), à la Coalition Arc-en-ciel, à l’Union des forces de changement (UFC) et l’indépendant Sursaut national.
Les éléments catalyseurs d’une victoire de UNIR
Les associations fantoches créées çà et là entre 2008 et 2010 ont réussi à assurer à Faure Gnassingbé, une victoire taillée sur mesure le 04 Mars 2010 sous la bannière du Rassemblement du peuple togolais (RPT). Ces mêmes associations ont été rejointes en Mai 2012 par la fameuse fondation Gnassingbé Eyadema pour l’éducation et la santé (FOGEES) qui s’illustre dans le social. La FOGEES de par ses actions de soins aux populations suffit largement pour endormir les populations parce que celles-ci végètent dans l’ignorance et le dénuement. N’eût été toutes les richesses du Togo dont la famille s’est frauduleusement accaparée pendant 50 ans, cette fondation n’aurait pas vu le jour. Donc en clair, les services rendus par cette fondation aux populations ne sont pas des œuvres de magnanimité ni de bienfaisance mais plutôt des reliquats des richesses du pays dont le régime se sert à des fins électoralistes. Tout ce qui est à l’actif de cette fondation n’est que les réserves des ressources nationales durant un demi-siècle par le parti au pouvoir. La misère et l’extrême pauvreté qui sont les choses les mieux partagées, sévissent dans le pays et même en pleine capitale. Le propre du régime RPT/UNIR est donc de maintenir la population dans la précarité et l’ignorance pour se maintenir aux affaires.
Mais, une analyse plus poussée des résultats laisse transparaître des irrégularités. L’existence des bureaux de votes fictifs. La CENI évoque tantôt 7600, tantôt 7452 alors que la compilation des nombres de ces bureaux de vote selon les tendances des résultats proclamés durant la nuit électorale à la télévision nationale donne 7095, soit un gap d’au moins 357 bureaux de vote. Nos efforts durant toute la journée d’hier auprès des membres de la CENI pour nous enquérir exactement du nombre de bureaux de votre ont été vains. Les membres contactés n’ont pas voulu avancer de chiffres alors qu’ils étaient parmi ceux qui avaient annoncé les nombres ci-dessus évoqués.
Un autre ingrédient qui pourrait militer en faveur de la pseudo-victoire est la non fermeture des frontières. Pour la première fois dans l’histoire électorale du Togo, toutes les frontières sont restées ouvertes, ce qui n’a jamais été le cas de par le passé. Il n’est pas exclu que des étrangers puissent traverser facilement les frontières pour venir accomplir le vote en faveur du parti au pouvoir qui dispose de moyens financiers pour acheter les consciences.
L’éducation de la population fait défaut
Selon beaucoup d’analystes de la situation politique togolaise, l’alternance a du plomb dans l’aile. Pour ceux-ci, le gouvernement à qui incombe en premier chef la formation civique ne s’investit pas vraiment en cela. Il existe cependant, un département ministériel au sein de l’équipe gouvernementale, chargée de la formation civique. Pour se faire, une direction y a été créée en 2009. Des lignes budgétaires ont été affectées à cette formation. Curieusement, cette formation est restée dans les oubliettes. Parfois, les responsables de ce département attendent la veille des échéances électorales pour organiser un ou deux ateliers pour justifier les dotations budgétaires et empochent le reste. Conséquence, les populations demeurent dans l’ignorance la plus absolue.
En plus du gouvernement, les partis politiques ont aussi leur partition à jouer dans la formation civique de leurs militants surtout en matière électorale. Le nombre de bulletins nuls recensés dans les différentes circonscriptions électorales (qui varie entre 1345 et 25.908) prouvent à suffisance que la population est mal informée et sensibilisée sur le vote.
Hormis le gouvernement et les partis politiques, la CENI devrait mettre également à contribution les médias pour sensibiliser la population sur les procédures du vote. Sinon comment comprendre que ce soit à la veille du scrutin que les prospectus indiquant les différentes actions à mener dans un bureau soient distribués aux journalistes? Un geste de la CENI que d’aucuns pensent inutile.
Le régime RPT/UNIR retarde sciemment la formation civique des citoyens et les plans de développement et préfère surfer sur l’illettrisme et l’ignorance des populations et continuer à régenter le pouvoir. En clair, il n’a aucun intérêt à ce que les populations soient éclairées et sachent distinguer le vrai du faux.
L’alternance hypothéquée
Au Togo, nombreuses sont-elles ces populations à ne plus avoir foi aux élections pour susciter l’alternance. Elles qui se disent démobilisées et déçues par les fraudes répétitives dont fait usage le régime pour se maintenir au pouvoir. Le taux de participation en est une illustration. La capitale togolaise Lomé, enregistre l’un des faibles taux de participation parmi les 30 circonscriptions électorales avec 64,27 %. Les circonscriptions du nord du pays enregistrent par contre les taux les plus élevés avec le pic de 81,47 % dans le Doufelgou. Est-ce à dire que les populations du nord sont plus sensibilisées et motivées sur les questions électorales que celles du sud? La question reste posée.
Nombreux sont également ces Togolais qui continuent de s’interroger sur la fiabilité des résultats obtenus par UNIR, la nouvelle formation de Faure Gnassingbé qui a bouclé à peine un an d’existence dans un grand soubresaut.
A sa création en Avril 2012, une dissension interne s’est éclatée entre les nostalgiques du RPT et les venus d’Europe qui optent pour la mutation. Cette crise n’a pas fini de dire son dernier mot quand les crises estudiantines et des travailleurs ont pris la relève. Le tout a été parachevé par les histoires d’incendies des grands marchés de Lomé et de Kara. Les revendications syndicales des fonctionnaires qui ont occasionné deux décès à Dapaong où les forces de l’ordre sont pointées du doigt sont aussi des éléments qui militent en défaveur du régime.
Mais curieusement, le parti au pouvoir a réussi, on ne sait par quelle alchimie, à dribbler tous les pronostics comme si de rien n’était. Rien ne présage un tel score au vu des tensions sociales qui ont précédé le scrutin. Et si les preuves de la fiabilité des résultats sont établies par la CENI, il y a de quoi s’interroger sur les stratégies à développer par l’opposition pour obtenir l’alternance. Dans tous les cas, l’opposition doit comprendre à travers cette énième victoire que la politique des idées n’est pas payante.
Il lui faudra donc penser à la stratégie des moyens financiers et matériels pour faire face à l’urgence du terrain. Aux grands maux, les grands remèdes, dit-on souvent. Et l’opposition doit prendre la mesure de la situation qui s’impose, ceci très tôt, pour amorcer les échéances électorales de 2015.
Un vote nord contre Sud?
A l’analyse des résultats issus du scrutin législatif, les partis de l’opposition comme le parti au pouvoir ont obtenu des sièges un peu partout à travers les 30 circonscriptions. Ce scrutin, si les résultats sont sincères, a le mérite de prouver que la conception historique du vote de la partie septentrionale du pays contre le sud est rompue. Cette conception fabriquée de toute pièce n’est qu’une pure invention de certains caciques du pouvoir. Des stratégies bien ficelées ont été toujours mises en branle à cette fin.
Malgré la dissémination nationale des sièges obtenus par les partis en compétition, une analyse des résultats montre que certaines circonscriptions restent fidèles au parti au pouvoir. C’est le cas des préfectures de Tchamba, Wawa, Dankpen, Bassar, Danyi, Kpendjal, Amou, Tône, Oti, Kozah, Binah, Bafilo, Kéran, Bassar, Sotouboua, Doufelgou, Est-Mono, Moyen-Mono.
Certaines comme le Kloto, Agou, Ogou-Anié, Avé et Zio ont créé la surprise par leur basculement. La capitale Lomé, où UNIR a obtenu deux sièges, suscite également des suspicions. Somme toute, UNIR a remporté la majorité absolue (62 sièges) au sein de la nouvelle Assemblée où ils auront à cohabiter avec les députés du CST et de la Coalition Arc-en-ciel.
Le Collectif Sauvons le Togo (CST) qui vient en seconde position (19 sièges) dans ce classement suivie de la Coalition Arc-en-ciel (06) qui fait une entrée en force dans la circonscription électorale du Grand Lomé tout en conservant ses fiefs traditionnels de Vo et Yoto. Ces deux regroupements peuvent bloquer les modifications probables de la Constitution que pourraient tenter le régime en place, puisqu’il faut les 4/5 des députés pour les opérer.
Les résultats révèlent également que UNIR s’invite peu à peu dans les fiefs du Comité d’action pour le renouveau (CAR) au vu des nombres de voix qui ne lui ont certes pas permis d’obtenir de siège.
Le CST et la Coalition Arc-en-ciel ont fait eux aussi une percée timide au grand nord. Le mythe du vote nord contre le sud quoiqu’artificiel, subsiste encore malheureusement dans l’esprit de certains citoyens surtout dans les milieux ruraux.
A cette allure fulgurante, le parti maintiendra les populations dans l’ignorance et le dénuement pour espérer acheter leur conscience à la veille des échéances électorales pour les influencer avec les promesses utopiques et les cadeaux de moindres importances et déjouer les pronostics.
L’opposition se doit de changer de stratégies au risque de perdre son électorat qui se lasse de plus en plus et risque d’être réfractaire aux appels.
Jean-Baptiste ATTISSO