Conseiller de l’ancien Premier Ministre socialiste Michel Rocard, lui-même membre du parti socialiste français, Michel Dubois connaît l’Afrique et le Togo et il a accepté d’analyser avec nous la situation socio économique et politique du Togo. Comment valoriser le phosphate togolais pour en tirer du meilleur profit, comment mettre l’accent sur la formation, mais aussi quel est le rôle des acteurs politiques dans le développement. Tels sont les sujets évoqués dans cette interview qui parle également de l’affaire d’escroquerie pour laquelle l’ancien Ministre Pascal Bodjona et le français Loïc Le Floch Prigent sont détenus. Très prudent et n’ayant sans doute pas été au parfum des derniers développements de l’actualité politique, il ne s’est pas prononcé sur la question des élections et de l’alternance. Voici en intégralité l’interview accordée par Monsieur Michel Dubois.
Monsieur Michel DUBOIS bonjour
Bonjour Monsieur
Vous êtes homme politique français et vous avez parcouru l’Afrique ; vous connaissez aussi bien le Togo que beaucoup de pays africains en votre qualité de Conseiller personnel de l’ancien Premier ministre socialiste, Michel Rocard. Vous suivez sans doute de près la situation politique togolaise avec le président Faure Gnassingbé qui est le fils de Gnassingbé Eyadema que vous avez personnellement connu. Quel regard portez-vous sur le Togo actuel, depuis 2005, depuis donc l’avènement de Faure Gnassingbé au pouvoir ?
Bien, écoutez, pour l’instant je suis assez serein parce que le Togo s’est apparemment assez bien stabilisé. Le Togo devient une espèce de modèle peut être aussi parce la Côte-d’ivoire s’est écroulée et que l’ensemble des pays du Golfe de Guinée cherche maintenant à se stabiliser un petit peu plus.
Au point de vue économique, le Togo ne semble pas avancer très très rapidement mais c’est parce que derrière, il y a des pesanteurs culturelles qui sont encore là. Il faut peut-être affirmer un peu plus l’éducation bien que des progrès aient été faits. Il faut lancer maintenant des grands projets grâce aux possibilités d’emprunt que le Togo a. Et c’est malheureux à dire, mais c’est parce qu’il a été ostracisé par l’Europe pendant plus de vingt ans qu’en fin de compte, il n’a pas pu emprunter. Maintenant le Togo a des possibilités d’emprunt. Le problème c’est que les emprunts qu’il doit faire doivent être affectés à des projets qui créent de la plus-value locale et que l’argent de ses emprunts soit totalement affecté à 100% aux réalisations des projets.
Justement sur le plan politique commençons, vous parlez de stabilité alors qu’il y a une grande partie de la population aujourd’hui qui conteste le pouvoir en place, qui ne sera pas d’accord avec vous sur cette position de stabilité. Le Togo ne marche pas, parce que les élections ne se déroulent pas bien et sont entachées de contestations populaires. Vous ne pensez pas que peut-être vous êtes un peu loin, en France, et vous ne maitrisez pas tout de près la situation politique du Togo ?
Certainement vous avez raison je ne connais pas suffisamment la politique intérieure, ni les hommes politiques du Togo pour émettre un avis sur la politique. Moi ce que je vois, c’est de loin une espèce de stabilité et la stabilité c’est très important parce que c’est pendant la période stable qu’on crée de la richesse et que cette richesse, j’espère qu’elle va profiter à tout le monde. Maintenant que les hommes politiques, pour créer cette richesse aient des buts différents, c’est tout à fait normal mais ; ça donne lieu à des débats et non pas à des affrontements. Il y a des débats sérieux sur la planification, sur les projets, sur les implantations, des différents investissements et la forme d’investissement. De toute façon, je pense que quels que soit les investissements qui seraient proposés elle ne peut s’adosser que sur de la formation ; c’est-à-dire que la priorité des priorités c’est quand même l’éducation nationale pour faire de la formation en vue de la réalisation de projets parce que, sinon les projets seront faits par des sociétés étrangères qui n’apporteront pas de formation parce que ce n’est pas forcement leur intérêt et qui de ce fait là, maintiendront le Togo dans un état de dépendance parce que les Togolais ne seront pas formés.
Et d’ailleurs, je souhaite vraiment qu’à chaque fois qu’il y a un projet qui soit réalisé au Togo avec l’aide ou l’assistance de société étrangère, il y ait un volet formation obligatoire. Même si c’est pour des travaux aussi simples que de la maçonnerie, eh bien on embauche. Les sociétés étrangères doivent embaucher et un volet formation pour former même des maçons, les éléments les plus simples parce que c’est comme ça, par un acquis de savoir-faire que le pays petit à petit va rentrer dans les pays émergents.
Mais justement sur les questions de formation il y a des sociétés de plusieurs entreprises notamment des entreprises françaises qui sont sur le terrain mais qui apparemment ne la proposent pas. A qui la responsabilité ? Est-ce à ces entreprises ou à l’Etat togolais ?
N’attendez d’aucune entreprise française ou autres qu’elles fassent de la formation. Ca ne les intéresse pas premièrement. Deuxièmement, elles savent très bien que si elles ne font pas de la formation, elles vont tenir en main comme ça à travers leur propre savoir-faire toute la maintenance de ce qu’ils ont construit c’est-à-dire, c’est l’offre d’une part à marcher pour plus tard et deuxièmement l’indépendance du pays en pâtit. C’est au pays d’exiger un volet formation dans les appels d’offre.
Et vous en avez parlé avec l’actuel Président Faure Gnassingbé, vous l’avez rencontré depuis qu’il est à la tête du Togo?
Ecoutez le Président, il y a longtemps que je ne l’ai pas vu mais je l’ai vu un certain nombre de fois. Disons que chez moi, c’est récurrent à chaque fois que je rencontre des responsables politiques qu’ils soient togolais, africains ou même asiatiques peu importe ; c’est toujours ça qu’il faut préconiser de la formation d’autant plus que la formation représente un pourcentage infime des projets. Mais c’est comme ça aussi que le pays peut s’améliorer.
Mais justement dans le cadre du développement, il y a la question de gouvernance, il y a plusieurs autres questions, vous vous êtes frottés à une ressource principale du Togo : les phosphates. Pourquoi le Togo n’arrive-t-il pas à tirer le meilleur de l’exploitation du phosphate selon vous ?
C’est une vieille histoire des phosphates au Togo qui dure depuis, on peut dire presque 50 ans avec des hauts et des bas, des sociétés successives nationales qui ont déposé le bilan, fait faillite etc.… Je sais qu’actuellement il y a encore un appel d’offre qui a été lancé. Je sais aussi que malheureusement le phosphate que vous extrayez c’est de la matière première et que vous n’avez pas encore valorisé sur place, faire les plus-values sur place en valorisant votre phosphate sur place en créant les usines nécessaires pour la transformation de phosphate. Comme actuellement il y a une pénurie dans le monde entier sur le phosphate, sur l’acide phosphorique, sur les engrais c’est le moment unique pour créer des usines de valorisation de vos minerais. Et l’’argent, il est très facile à trouver parce que il y a une telle demande que n’importe quelle banque actuellement financerait l’opération. Ce sont les sommes énormes absolument colossales que le Togo ne peut pas lui-même trouver. Bon, mais ça ce n’est pas grave. C’est des accords à prendre avec des grands industriels de la branche avec des accords très précis et en particulier dans l’investissement, dans les délais, dans la vente à l’exportation parce que ça va rapporter au Togo des devises étrangères et dans la formation. Mais c’est assez simple.
Là également qui doit prendre l’initiative. L’Etat Togolais ou les investisseurs ? Si les gens s’intéressent au phosphate par exemple ils peuvent faire des propositions mais est-ce que l’Etat, d’après l’expérience que vous avez dans ce domaine, a-t-il engagé des initiatives dans ce sens pour valoriser son phosphate ?
Ce n’est jamais les investisseurs qui font ses propositions. Un investisseur, il vend un produit point terminé, c’est tout. Il ne fera jamais de formation. Il peut le faire mais il ne le proposera pas. C’est à l’état de le proposer. C’est à l’Etat de faire des cahiers de charges précis. Le prix s’en ressentira effectivement à la sortie parce que le volet formation coûtera un tout petit peu d’argent. Peu importe sur des investissements qui sont faits pour 50 ans, 60 ans, un siècle ça ne joue pas. C’est la matière grise qui joue
Monsieur DUBOIS. Vous avez connu Gnassingbé Eyadema, vous avez connu ses collaborateurs, aujourd’hui il y a des problèmes qui minent Faure et son entourage notamment l’arrestation de Monsieur Pascal Bodjona, ancien Ministre de l’administration territoriale, détenu à la gendarmerie nationale togolaise pour une affaire d’escroquerie avec votre compatriote Monsieur Loïc le Floch Prigent, ancien PDG de ELF qui est également détenu à la gendarmerie de Lomé . Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
Ecoutez, je le constate parce que je ne connais pas les dessous de ce genre d’affaire. Moi de toute façon, j’ai une position vous savez, moi j’étais le conseiller, je suis le conseiller toujours de Monsieur Michel Rocard et nous avons une éthique et une morale. Toute personne qui est prise dans ce genre d’action plus ou moins délictueux on ne sait pas si encore délictueux ou pas. Peu importe il suffit que la rumeur court pour que nous arrêtons tout contact avec ces gens là.
Vous ne pensez pas que c’est de la manipulation politique et que le Président togolais veut se débarrasser de certains potentiels adversaires politiques comme Pascal Bodjona dans cette affaire?
C’est peut-être possible, parce que, l’arabe dont on parle, il a trouvé les fonds où pour investir dans ce genre de projets. J’étais à la place des autorités togolaises, je lui casserais les couilles (rire), mais en politique, s’ils ont prêté le flanc à ce genre de manipulation, c’est de leur faute alors il faut les éliminer de la vie politique tels qu’ils soient de droite, de gauche rouge, noir ça n’a aucune importance. Un homme politique c’est un homme qui peut être à la limite de l’ermite, sinon on ne fait pas de politique, on fait du commerce, on fait des affaires, on fait du trafic, on ne fait pas de politique dans ce cas là.
Monsieur DUBOIS merci…
Interview réalisée à Paris par Carlos KETOHOU
Transcription Andréas A. Dagawa