Ce n’est plus un sujet tabou comme ce fut le cas il y a de cela quelques décennies. La question du FCFA est revenue en force depuis quelques années. Tout va lentement mais sûrement, le projet de la monnaie unique dans l’espace CEDEAO se concrétise de jours en jours. Si dans la plupart des cas ce sont les panafricanistes, les activistes qui en parlent avec véhémence, des chefs d’Etats aussi en parlent mais avec beaucoup de retenus. Cependant ce n’est pas le cas pour le président béninois, qui sans langue de bois a annoncé un éventuel retrait des réserves de change que les pays de la zone CFA déposent à la Banque de France. Ce fut lors de sa dernière interview qu’il a accordé à la RFI et à France 24 le 07 novembre 2019. Le voile se lève, l’audace naît.
Dans une interview accordée à RFI et France 24 le 07 novembre dernier, le président béninois a rallumé la flamme de la question sur la monnaie unique de la CEDEAO. Interview dans laquelle il annonce le retrait imminent des réserves de changes déposés par les pays de la zone CFA à la Banque de France pour mettre fin à cette monnaie coloniale et acquérir leur indépendance monétaire en adoptant une monnaie unique dans l’espace CEDEAO. Il est maintenant l’un des rares présidents de la sous-région à avoir abordé ouvertement cette question sur une chaine internationale avec autant de précisions.
Cependant cette sortie médiatique du président Patrice Talon suscite beaucoup d’interrogation. Pour certains observateurs, il est fort probable que d’autres raisons expliquent cette intervention du président béninois.
Selon certaines indiscrétions, c’est l’expression d’une revanche du président Talon sur la France car sachant pertinemment que parler du retrait de ces réserves de change de la Banque de France, c’est la partie qui fait le plus mal à l’Elysée.
Tout a commencé entre lui et la France depuis le 1er août 2016 lors de la célébration de la fête nationale quand le président béninois à travers une correspondance demande officiellement à la France la restitution des œuvres d’art, de statues et d’objets royaux spoliés à son pays au temps de la colonisation. Lors de sa visite à Paris le 05 mars 2018, Patrice Talon a réitéré cette demande devant son homologue français Emmanuel Macron.
Cependant, malgré des réponses diplomatiques qui, donnant l’impression que la France est favorable, cette requête n’est pas du goût de la France qui tient beaucoup à ces œuvres d’art pillées au continent africain.
Par ailleurs, les dernières crises postélectorales intervenues au Bénin suscitent des interrogations chez le président béninois. Selon toujours les indiscrétions, il y voit la main de la France derrière ces contestations qui ont secoué son pouvoir. Maintenant que le président béninois est parvenu à stabiliser son pouvoir et à faire revenir le calme dans son pays, c’est alors le moment de taper sur ceux qui ont voulu le déstabiliser. Il opte donc pour la question épineuse du Francs CFA que la France digère difficilement. La revanche, au sens figuré du terme.
Au-delà de tout, le président Talon aura le mérite de se montrer ouvertement hostile à cette monnaie coloniale ; ce que certains de ces homologues à l’instar des présidents Macky Sall et Alassane Ouattara n’osent pas faire. On se souvient encore des déclarations de ce dernier à l’Elysée quand il faisait l’éloge de cette monnaie devant le président français en ces termes « le Francs CFA est notre monnaie. Elle est solide et assure la stabilité ». Le Togo de Faure Gnassingbé est encore plus effacé sur la question. Aucun ministre, du Président, à plus forte raison le Chef de l’Etat lui-même n’ose aborder le sujet.
Si l’on constate depuis que les présidents pris individuellement n’osent pas affirmer leur désamour pour cette monnaie et préfèrent se cacher sous le couvert de la CEDEAO, c’est aussi lié à des raisons historiques.
En effet, les présidents qui avaient eu l’idée de se séparer de cette monnaie au lendemain des indépendances, ont fait long feu. Ils ont rapidement quitté le pouvoir dans les complots sans visage. Comme c’aurait été le cas pour Talon en mai dernier. Ils ont été renversés par des coups d’Etat dans lesquels la France est accusée de ne point sortir patte blanche.
Le cas togolais est encore plus flagrant. Dans sa volonté d’abandonner le francs CFA et de créer une monnaie nationale togolaise, Sylvanus Olympio devrait envoyer en mi-janvier 1963 son ministre des finances et des affaires économiques Hospice COCO à Paris pour rompre avec le francs CFA. Pour mettre fin à la réalisation de son projet, il a été donc assassiné quelques jours plus tôt le 13 janvier 1963.
Depuis lors, les présidents de la sous-région ont compris que s’il faille assurer sa longévité au pouvoir, vaut mieux ne pas s’endosser les questions liées au FCFA de peur de mettre son pouvoir en péril. Mais cette fois-ci le Rubicon a été franchi.
Ce qui est inévitable, la fin de l’hégémonie française en Afrique et spécifiquement dans la sous-région ouest-africaine est imminente. La génération de dirigeants qui montent progressivement viendra sonner le glas de cette domination française. Les signaux sont réels, ils ne trompent pas. Curieusement, c’est le Togo de Faure Gnassingbé qui refuse de rentrer dans le débat. Le pays de Faure Gnassingbé continue de raser les murs, par peur de la foudre de la France au cas où il hausserait le ton face au débat du France CFA dans lequel son ancien ministre Kako Nuboukpo a été déjà sacrifié sur l’autel de la compromission politique des autorités Togolaises.
Patrice talon a donc le mérite de remettre en selle un sujet tabou qui fâche la France.
Amos DAYISSO