Lorsqu’on n’a pas le contrôle total de l’appareil d’Etat, les décisions importantes manquent toujours de courage et d’autorité. Plusieurs semaines déjà après la démission du Premier Ministre Komi Klassou, rien n’a filtré sur le nom ou le profil de son successeur. Entre la résistance des anciens ministres et la menace des nouveaux, entre le poids du parti RPT/UNIR et l’intransigeance de l’armée, Faure Gnassingbé est pris en étau. Le cap des législatives est franchi, cahin-caha, l’étape décisive de la formation d’un nouveau gouvernement pour affronter le nouveau passage en force vers la présidentielle de 2020 reste complexe, délicate et difficile. Faure est sous pression hanté par le syndrome de l’erreur, fatale. La tension est vive..
Pour nommer un nouveau premier ministre au Togo, plusieurs acteurs posent leurs vétos.
Les doyens du parti, vieux renards qui ont un pouvoir de décision face aux grandes décisions du parti et particulièrement aux nominations. Ceux là étudient, proposent ou valident les profils des personnalités, souvent en fonction de leurs intérêts et du niveau de confiance qu’inspire la personnalité.
Ensuite, les amis du Président, proches des proches qui, sans être moins intéressés orientent le Chef de l’Etat vers des profils non qualifiés en négociant subrepticement pour eux ou pour des proches à eux à qui ils ont promis de les imposer auprès du président, et enfin, la garde prétorienne : l’armée. Elle a le dernier mot.
C’est elle qui se prononce si oui ou non, les personnes sur la liste obéissent à un certains nombre de critères et de soumission aux kakis. Mieux, si le candidat a les capacités de sauvegarder leurs intérêts stratégiques et ceux de leurs proches, généralement leurs fils, leurs maîtresses et leurs amis.
C’est donc dans ce maillage que le Chef de l’Etat se prononce, da ns un embarras pitoyable.
Finalement, sous pression, la personnalité nommée perd sa capacité à décider et à s’imposer et devient du coup une marionnette, non seulement du chef de l’Etat mais aussi de ces différents courants de pression et de résistance.
C’est ce qui est encore en train de se passer avec la longue attente du nouveau Premier ministre.
Avec Faure Gnassingbé, les fuites sont éliminatrices des personnes qui les font, elles et leurs entourages.
Du coup, rien n’est sûr de la personne qui aura remporté la difficile compétition de choix à la tête de la primature, puisque dans tous les cas, les choses peuvent chambouler, jusqu’à la dernière minute.
Premier ministre, qualités et profil
Beaucoup rêvent et font rêver l’ancien Premier ministre, Komi Klassou, de garder l’espoir d’être reconduit à la tête de la primature. Cà n’est pas possible dans la mesure où le protocole de nomination ne recommande pas l’acceptation de la démission du premier ministre sortant avant de le reconduire. Cela se fait de façon automatique. Premier principe. Par ailleurs, les chances de Komi Klassou sont très maigres. C’est l’un des premiers ministres, qui a quoique résisté à la crise politique intense qui a secoué le pouvoir, mais à laquelle il n’a pas joué un grand rôle.
Déconnecté du terrain, Komi Klassou est présenté même au sein de son parti comme l’homme qui n’a pas servi ni la base, ni les militants du parti, ni les populations du Haho-Agou dont il est issu.
En plus, certains de ses détracteurs le présentent comme le porte-malheur, dont le mandat a été jalonné d’une des plus intenses crises qui aient secoué le pouvoir.
Donc, comme le pouvoir politique ne néglige rien pour se donner raison, même dans le contexte de la superstition, cet argument de détracteurs a aussi pesé contre Komi Klassou qui pourrait, d’après les confidences pourrait se retrouver comme ministre d’Etat dans le prochain gouvernement en charge, ou de la santé, ou de l’éducation.
Le Togo a été secoué par une crise politique qui a duré deux ans. Tous les secteurs d’activité ont été affectés par cette crise. Le système politique ne jubile pas à ce jour d’avoir résolu et pouvoir conjuguer la crise au passé. Le calme que le pays connaît après les élections législatives unilatérales est précaire et bruissant de surprises inédites.
L’opposition n’a pas dis son dernier mot, la population engagée dans la lutte pour l’alternance n’a pas non plus baissé les bras. Seule issue pour le pouvoir, colmater les brèches, non sans difficulté, ou résister à la pression populaire qui ne tardera pas à venir.
Les togolais sont poussés à bout, l’opposition a connu les limites de la confiance aux institutions internationales, dont la CEDEAO.
De nouvelles hostilités dans les prochains jours de la part des populations n’auront plus de frein, l’opposition ayant compris que la CEDEAO et ses acolytes ne sont que des instruments qui ont retardé l’élan de la lutte et complices du système politique.
Il serait donc difficile de céder encore aux injonctions d’une communauté ouest africaine ou d’une médiation de chefs d’Etats. Ce tableau impose pour Faure Gnassingbé un profil de premier ministre apte à gérer avec perspicacité et acuité ces paradigmes menaçants pour la suite d’une nouvelle bataille à mener contre une opposition trahie et avertie, donc braquée pour obtenir son alternance.
Le nouveau Premier ministre a un autre défi, non des moindres. 2020 est déjà à nos portes. C’est l’année à laquelle l’élection présidentielle sera tenue. Election à laquelle, les voix s’élèvent contre un nouveau mandat, un quatrième pour Faure Gnassingbé.
Les voix qui s’élèvent ne sont pas forcément celles de l’opposition. C’est logiquement celles de toutes les forces dans l’opinion nationale et internationale qui pensent qu’il est inadmissible qu’après 38 ans de son père, le fils arrive à totaliser 20 ans à la tête du Togo, sans intention de partir.
Cette nouvelle candidature est une insulte aux principes démocratiques et à l’intelligentsia humaine, togolaise.
Çà, Faure Gnassingbé le sait, son entourage aussi, ses pairs de la sous région encore mieux.
C’est le défi du prochain Premier ministre. Si Faure Gnassingbé veut effectuer le passage en force avec de nouvelles tueries et de massacres comme en 2005 lors de la succession à son père, il lui faudra prévoir un Premier ministre va-t-en-guerre : Arrogant, insolent, insensible, qui pourra basculer entre marcher sur des cadavres pour obtenir le quatrième mandat ou créer involontairement des conditions de départ de Faure Gnassingbé. Ca passe ou ça casse.
Dans ce cas, le Premier ministre portera la responsabilité de la situation macabre et assumera les conséquences devant l’histoire des tribunaux nationaux et internationaux.
L’autre défi pour le candidat à la Primature est aussi de contenir les tensions et les humeurs internes du système RPT/UNIR.
Le parti est divisé. Les cadres ministres ou non se regardent en chiens de faïence.
La sortie du Général Kadanga avec l’assassinat du jeune mécanicien de 12 ans a crée une énorme fissure au sein de l’armée. Commandants, colonels et capitaines sont à couteaux tirés et l’entourage de Faure Gnassingbé est pollué de dissensions.
Ce n’est plus un secret pour personne, le parti au pouvoir au Togo est divisé en plusieurs clans qui ne s’entendent plus.
Il y a ceux qui pensent comme le peuple que Faure Gnassingbé a le devoir citoyen et républicain de céder le pouvoir, ne serait-ce à un autre cadre du parti, il y en a qui pensent mordicus, même s’ils n’ont pas de niveau de sincérité perceptible, que le président devrait continuer tête baissée, face à toutes les contestations. Au gré du vent, ceux là soutiennent le champion, Faure Gnassingbé même s’ils sont conscient que le terrain ne sera pas facile.
Le prochain Premier ministre devrait pouvoir canaliser toutes ces tensions et accepter de régner sans gouverner.
Il devrait accepter de passer des jours dans les locaux de la Primature alors que les décisions se prennent ailleurs. Il devra être conscient que ses administrés, notamment certains ministres, lui donneront des ordres et n’auront pas de compte à lui rendre. Il restera bouche bée devant les dérives politiques, économiques et sociales. Bref, il devrait s’attendre à subir pire humiliation dans un pays en crise croissante et à l’horizon incertain.
Cette situation pourrie a besoin d’un Premier Ministre qui soit en mesure de comprendre la crise et de se mettre au travail pour la juguler. De créer des conditions de compréhensions et d’acceptation chez les contestataires, naturellement de l’opposition pour qui la tenue contre vents et marées des législatives n’est qu’un coup isolé.
Voilà qui met la pression sur Faure Gnassingbé secoué par des contradictions et des menaces jusque dans son propre camp en face d’un système politique en décrépitude.
Pour les candidats, des noms circulent, des montages se font, des coups bas aussi, des volontés s’expriment mais le tryptique barons du parti, amis du président et armée n’a pas dit sont dernier mot.
Il est donc permis de rêver, le coup de chance peut transformer le rêve en réalité. Une situation qui présente Faure Gnassingbé comme otage de son propre système, difficile de s’échapper sous pression et sous tension.
Carlos KETOHOU