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DOSSIER / PASCAL BODJONA : TOUT DEPENDRA DU « PRINCE DE MACHIAVEL »

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On s’attendait à tout, sauf au pire, ce qu’on redoutait le plus, a fini par être une réalité, ce qu’on craignait depuis des lustres, a été couronné, ce qui devait donc arriver, arriva. Une opération commando, mobilisée par l’Etat est descendue samedi très tôt le matin au domicile d’un homme nommé Pascal Bodjona. Un nom qui sonne comme une voix de stentor dans l’arène politique au Togo mais aussi à l’étranger.

Dans une affaire rocambolesque, qui ressemble fort à un alibi, Pascal est transporté et déposé à la gendarmerie pour subir l’affront et l’humiliation. Une levée de boucliers, organisations des droits de l’Homme, partis politiques, barreau, congrégations religieuses, organisations internationales, presse et populations se mettent à l’unanimité, pour décrier la forfaiture : L’arrestation et la détention de Pascal Bodjona.

Dans la foulée, beaucoup de passions, quelques erreurs, beaucoup de zèle, mais encore, abondamment d’indignation, suffisamment de détermination, une bonne dose de mauvaise foi, celle-ci chez le plaignant. Abbas Youssef, par qui le crime est commis. Mais au finish, le dénouement est attendu, et tout dépendra du Prince de Machiavel.

Veni vidi veci, c’est comme cela que l’ancien Ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation pourrait soupirer si la croix qu’il porte l’amène sur le mont du Calvaire. Bien sûr, toute chose à une fin, toute longueur a un limite, toute chaleur a un refroidissement, toute peine a toujours au bout un soulagement.

C’est dire que tôt ou tard, aujourd’hui même où nous mettons sous presse, ou demain ou encore dans plusieurs années, Pascal Bodjona arrivera au bout de sa peine, mais tout dépendra, tout dépendra donc de cet acteur principal de cette école, fréquentée par monarques et dictateurs médiévaux, cette école, que beaucoup de dirigeants pensent être encore d’actualité aujourd’hui, dans un monde qui prend fin le 21 décembre prochain (selon des prédications maya), et dans un monde de la technologie de pointe. Le personnage de Nicolas Machiavel, qui atteint toujours l’objectif du pouvoir, par tous les moyens : LE PRINCE.

Lecture proposée, Chapitre VIII

« On peut encore devenir prince de deux manières qui ne tiennent entièrement ni à la fortune ni à la valeur, et que par conséquent il ne faut point passer sous silence ; il en est même une dont on pourrait parler plus longuement, s’il s’agissait ici de républiques.  Ces deux manières sont, soit de s’élever au pouvoir souverain par la scélératesse et les forfaits, ou d’y être porté par la faveur de ses concitoyens.

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Pour faire connaître la première, qu’il n’est pas question d’examiner ici sous les rapports de la justice et de la morale, je me bornerai à citer deux exemples, l’un ancien, l’autre moderne ; car il me semble qu’ils peuvent suffire pour quiconque se trouverait dans la nécessité de les imiter.

Agathocle, Sicilien, parvint non seulement du rang de simple particulier, mais de l’état le plus abject, à être roi de Syracuse. Fils d’un potier, il se montra scélérat dans les tours, les degrés que parcourut sa fortune; mais il joignit à sa scélératesse tant de force d’âme et de corps, que, s’étant engagé dans la carrière militaire, il s’éleva de grade en grade jusqu’à la dignité de préteur de Syracuse. Parvenu à cette élévation, il voulut être prince, et même posséder par violence, et sans en avoir obligation à personne, le pouvoir souverain qu’on avait consenti à lui accorder. Pour atteindre ce but, s’étant concerté avec Amilcar, général carthaginois qui commandait une armée en Sicile, il convoqua un matin le peuple et le sénat de Syracuse, comme pour délibérer sur des affaires qui concernaient la république ; et, à un signal donné, il fit massacrer par ses soldats tous les sénateurs et les citoyens les plus riches, après quoi il s’empara de la principauté, qu’il conserva sans aucune contestation….

Quiconque réfléchira sur la marche et les actions d’Agathocle n’y trouvera presque rien, si même il y trouve quelque chose, qu’on puisse attribuer à la fortune. En effet, comme je viens de le dire, il s’éleva au pouvoir suprême non par la faveur, mais en passant par tous les grades militaires, qu’il gagna successivement à force de travaux et de dangers ; et quand il eut atteint ce pouvoir, il sut s’y maintenir par les résolutions les plus hardies et les plus périlleuses.

Véritablement on ne peut pas dire qu’il y ait de la valeur à massacrer ses concitoyens, à trahir ses amis, à être sans foi, sans pitié, sans religion : on peut, par de tels moyens, acquérir du pouvoir, mais non de la gloire….On doit reconnaître seulement que sa cruauté, son inhumanité et ses nombreuses scélératesses, ne permettent pas de le compter au nombre des grands hommes. Bornons-nous donc à conclure qu’on ne saurait attribuer à la fortune ni à la vertu l’élévation qu’il obtint sans l’une et sans l’autre.

De notre temps, et pendant le règne d’Alexandre VI, Oliverotto da Fermo, demeuré plusieurs années auparavant orphelin en bas âge, fut élevé par un oncle maternel nommé Jean Fogliani, et appliqué, dès sa première jeunesse, au métier des armes, sous la discipline de Paolo Vitelli, afin que, formé à une aussi bonne école, il pût parvenir à un haut rang militaire. Après la mort de Paolo, il continua de servir sous Vitelozzo, frère de son premier maître.

Bientôt, par son talent, sa force corporelle et son courage intrépide, il devint un des officiers les plus distingués de l’armée. Mais, comme il lui semblait qu’il y avait de la servilité à être sous les ordres et à la solde d’autrui, il forma le projet de se rendre maître de Fermo, tant avec l’aide de quelques citoyens qui préféraient l’esclavage à la liberté de leur patrie, qu’avec l’appui de Vitelozzo. Dans ce dessein, il écrivit à Jean Fogliani, qu’éloigné depuis bien des années de lui et de sa patrie, il voulait aller les revoir, et en même temps reconnaître un peu son patrimoine ; que d’ailleurs tous ses travaux n’ayant pour objet que l’honneur, et désirant que ses concitoyens pussent voir qu’il n’avait pas employé le temps inutilement, il se proposait d’aller se montrer à eux avec une certaine pompe, et accompagné de cent hommes de ses amis et de Ses domestiques, à cheval; qu’en conséquence il le priait de vouloir bien faire en sorte que les habitants de Fermo lui fissent une réception honorable, d’autant que cela tournerait non seulement à sa propre gloire, mais encore à celle de lui, son oncle, dont il était l’élève. Jean Fogliani ne manqua point de faire tout ce qu’il put pour obliger son neveu. Il le fit recevoir honorablement par les habitants ; il le logea dans sa maison, où, après quelques jours employés à faire les préparatifs nécessaires pour l’accomplissement de ses forfaits, Oliverotto donna un magnifique festin, auquel il invita et Jean Fogliani et les citoyens les plus distingués de Fermo. Après tous les services et les divertissements qui ont lieu dans de pareilles fêtes, il mit adroitement la conversation sur des sujets graves, parlant de la grandeur du pape Alexandre, de César, son fils, ainsi que de leurs entreprises. Jean Fogliani et les autres ayant manifesté leur opinion sur ce sujet, il se leva tout à coup, en disant que c’était là des objets à traiter dans un lieu plus retiré ; et il passa dans une autre chambre, où les convives le suivirent. Mais à peine furent-ils assis, que des soldats, sortant de divers lieux secrets, les tuèrent tous, ainsi que Jean Fogliani. Aussitôt après ce meurtre, Oliverotto monta à cheval, parcourut le pays, et alla assiéger le magistrat suprême dans son palais ; en sorte que la peur contraignit tout le monde à lui obéir et à former un gouvernement dont il se fit le prince. Du reste, tous ceux qui, par mécontentement, auraient pu lui nuire ayant été mis à mort, il consolida tellement son pouvoir par de nouvelles institutions civiles et militaires, que, dans le cours de l’année durant laquelle il le conserva, non seulement il vécut en sûreté chez lui, mais encore il se rendit formidable à ses voisins; et il n’eût pas été moins difficile à vaincre qu’Agathocle, s’il ne se fût pas laissé tromper par César Borgia, et attirer à Sinigaglia, où, un an après le parricide qu’il avait commis, il fut pris avec les Orsini et les Vitelli, comme je l’ai dit ci-dessus, et étranglé, ainsi que Vitelozzo, son maître de guerre et de scélératesse…..

Ceux qui en usent bien peuvent, comme Agathocle, avec l’aide de Dieu et des hommes, remédier aux conséquences ; mais, pour ceux qui en usent mal, il leur est impossible de se maintenir.

Sur cela, il est à observer que celui qui usurpe un État doit déterminer et exécuter tout d’un coup toutes les cruautés qu’il doit commettre, pour qu’il n’ait pas à y revenir tous les jours, et qu’il puisse, en évitant de les renouveler, rassurer les esprits et les gagner par des bienfaits. Celui qui, par timidité ou par de mauvais conseils, se conduit autrement, se trouve dans l’obligation d’avoir toujours le glaive en main, et il ne peut jamais compter sur ses sujets, tenus sans cesse dans l’inquiétude par des injures continuelles et récentes. Les cruautés doivent être commises toutes à la fois, pour que, leur amertume se faisant moins sentir, elles irritent moins; les bienfaits, au contraire, doivent se succéder lentement, pour qu’ils soient savourés davantage.

Sur toutes choses, le prince doit se conduire envers ses sujets de telle manière qu’on ne le voie point varier selon les circonstances bonnes ou mauvaises. S’il attend d’être contraint par la nécessité à faire le mal ou le bien, il arrivera, ou qu’il ne sera plus à temps de faire le mal, ou que le bien qu’il fera ne lui profitera point : car on le croira fait par force, et on ne lui en saura aucun gré. »

Le chapitre 8 de ce classique du XVIème siècle, même s’il a quelque peu ennuyé les moules de la lettre pourrait suffisamment inspirer ceux de l’esprit, tellement il semble se comparer à la situation de la « principauté » togolaise. Tant les enseignements de Machiavel semblent s’appliquer dans la politique  actuelle togolaise qu’on est tenté de penser que les dirigeants qui s’illustrent dans cet enseignement ont inspiré l’auteur du Prince.

Voici un homme, qui en 2005, a été porté au pouvoir dans la plus grande surprise, et la plus énorme contestation, avec l’appui à risque de certaines personnes. Voici cet homme qui assoit sont pouvoir dans l’avarice et la gourmandise, et voici pour ne pas se faire haro sur le baudet, s’engage dans l’extermination systématique de ceux qui l’ont porté au pouvoir, et pire, toute âme susceptible d’émerger et d’ébranler son pouvoir.

Véritable application de leçons de Machiavel. Tour de passe de l’ombre du dictateur Eyadéma, son père, à l’assemblée Nationale, puis Ministre, vite retourné à l’assemblée après le décès de son père pour reprendre son siège et porté à la tête comme président de l’assemblée pour ensuite devenir chef de l’Etat. Même schéma comme le premier acteur du Prince.

Au Togo, certaines têtes sont déjà passées à l’échafaud : Kpatcha Gnassingbé, le demi-frère du Président et plusieurs officiers et sous officiers de l’armée, Pierrot Akakpovi, richissime homme d’affaires envoyé en exil, Bertin Agba, milliardaire togolais jeté en prison et aujourd’hui Pascal Akloussoulèlou Bodjona, arrêté et détenu à la gendarmerie nationale.

Des signes avant coureurs

Pascal Bodjona est l’ancien Ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation, chargé des collectivités locales. Il a été muté de la direction de cabinet de la Présidence pour ce poste. Avant d’être à la présidence, il était le copain du chef de l’Etat Faure Gnassingbé, alors que l’homme ne rêvait pas encore de prendre les destinées du pays. A la mort de son géniteur, aidé par son jeune frère, Kpatcha qui a servi le front musclé alors que Pascal était sur l front politique, Faure a réussi avec la bénédiction d’un quarteron d’officiers et d’une assemblée mouton à prendre le pouvoir, dans le sang, au bout des mitraillettes et des urnes volées.

Cahin-caha, l’homme a promis des réformes dans des soubresauts incarnés par les mêmes soutiens politiques.

Etouffé par une approximation dans la gestion du pays, il sera mis en minorité par ses collaborateurs qui deviendront bientôt ses épouvantails. La paranoïa aidant, il verra des menaces partout pour arrêter et mettre en prison Kpatcha Gnassingbé et aujourd’hui Pascal Bodjona. L’amertume est grande dans la population dans cette ténébreuse affaire pour laquelle il y a encore beaucoup de zones d’ombres.

Les faits reprochés et les paradoxes récurrents

Normalement, l’opinion nationale et internationale devrait se situer sur l’affaire dans laquelle Pascal est interpellé. Mais après la conférence de presse donnée par le principal acteur, l’Emirati Abbas Youssef, il était clairement défini que les motifs étaient ailleurs. Voilà un homme d’affaires qui a porté plainte contre son partenaire Sow Bertin AGBA, l’accusant d’escroquerie ; une plainte initiale qui ne mentionnait pas le nom d’un personnage.

Voilà que le partenaire a été arrêté, torturé et maintenu en prison, malgré la décision de la Cour suprême qui autorisait sa libération. Voilà donc l’Emirati qui revient au Togo, rallonger sa plainte pour mettre en cause un ministre qui entre temps est sorti du gouvernement, et contre lequel il est engagé des poursuites.

Lors de la conférence de presse, d’ailleurs terminée en queue de poisson, le sieur Abbas Al Youssef n’a pas été capable de dire exactement les contacts qu’il a eus avec le sieur Pascal, ni la valeur de la somme qu’il lui a remise, encore moins la traçabilité des opérations financières qu’il a eues avec lui.

Voilà un homme qui prétend avoir soupçonné depuis la Guinée Conakry, le sieur Bertin AGBA d’être un escroc et d’avoir continuer les affaires avec lui jusqu’à Lomé, sans en parler au Chef de l’Etat, a qui il a été introduit par le même Bertin Agba, voilà donc enfin un homme qui n’a que pour slogan, « I need my money », « je veux mon argent », 48 millions de dollars qu’il aurait investi  pour aider à la récupération de l’argent appartenant à Robert Guéi, ancien président ivoirien. Tout ceci ressemble à un conte de fée. Et l’implication de Pascal Bodjona dans cette affaire est loin d‘être scientifiquement démontrée.

Quelques erreurs, quelques passions

La plupart des observateurs de la situation actuelle dénotent un certain nombre de contradictions dans la présente affaire. D’abord, l’unanimité politique et physique autour de Pascal Bodjona étonne.

Le pouvoir de Lomé accuserait l’ex bras droit du président d’être de mèche avec l’opposition, donc auteur des pressions actuelles exercées sur le pouvoir. Dans la logique, la déchéance du pouvoir de Faure Gnassingbé par l’écartement de Pascal Bodjona qui se trouve être le pilier du régime devrait être une bonne affaire pour l’opposition, mais nenni.

Avocats, défenseurs des droits de l’homme, responsables politiques volent aujourd’hui au secours de l’ancien porte-parole de Faure Gnassingbé. Un soutien qui fait confirmer au pouvoir ses soupçons sur les positions de Pascal Bodjona, ce qui fait braquer encore Lomé II contre son ancien serviteur.

Ailleurs les manifestations qui ont éclaté et qui ont été réprimées font croire au pouvoir que l’ex secrétaire aux affaires politiques du RPT  a des soutiens populaires pour défier le pouvoir. De gré ou de force, ces thèses peuvent seoir à Pascal qui n’a plus rien à perdre après voir subi l’humiliation à lui infligée. Ceci peut constituer relativement des erreurs et des passions qui comblent l’injustice qui se commet.

Une médiation qui pourrait faire espérer

La détermination et le soutien indéfectible de Zaïna Bodjona, épouse de Pascal a été extraordinaire. On se croirait avec une certaine Anne Saint Claire aux côtés de DSK lors de ses ennuis judiciaires. Au four et au moulin, Zaïna a été à la hauteur de  soutien à son époux qui pèse aujourd’hui dans la décision de transférer en prison Pascal Bodjona.

Aux dernières nouvelles, la tension baisse, les humeurs s’apaisent, les passions se dissipent avec les interventions successives de Monseigneur Barrigah, le Président de la Commission Vérité Justice et Réconciliation, la représentante du HCDH, Madame Ige OLATOKUNBO, et d’autres personnalités étrangères éminentes.

La porte de sortie sera sans doute le retrait de la plainte de l’émirati contre Pascal Bodjona, qui mettra fin aux poursuites contre l’ancien ministre.  Il devra donc retourner à la maison, sans rancœur.

Des erreurs, on en connait de pire, des patients morts à la suite d’erreurs médicales, des crashs d’avions à la suite d’erreurs de contrôle, des condamnations et purges de peines à la suite d’erreurs judiciaires, bref, rien à regretter si on sait que la vie a toujours une marge de répit dans toutes circonstances.

Tout dépendra….

Depuis le début de cette affaire, Pascal Bodjona est resté dans sa position de disculpation de son mentor. « Faure Gnassingbé n’en est pour rien » a-t-il coutume de dire même jusqu’à la gendarmerie. En plus, rien a priori et a posteriori n’a démontré que le fils de Kouméa était de mèche avec une certaine opposition pour déstabiliser le pouvoir de Faure Gnassingbé.

Le pouvoir du régime togolais est déjà ébranlé par les frustrations et les mécontentements divers. La meilleure attitude est plutôt de resserrer les rangs autour des objectifs de prise en compte des préoccupations du peuple.

Avec la batterie de médiation et la détermination de la femme et des enfants de Pascal Bodjona, nous osons croire que la raison et la loyauté à Dieu   pourra laisser place à la vengeance, à l’orgueil, à la force et à la témérité. Le profil bas pourra donc dissiper les dissensions, s’il y a en a. La libération de Pascal Bodjona dépendra simplement de Faure Gnassingbé.

Carlos KETOHOU

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