Bénin: petit pays, grosses affaires…
Déclarer la guerre à la corruption, c’est bien. Obtenir des résultats, c’est mieux…
« C’est à se demander comment Gérard de Villiers [l’auteur des romans d’espionnage SAS, NDLR] ne s’est jamais penché sur le Bénin. Ici, il y a un scandale financier tous les trimestres », ironise Hamidou, jeune commerçant cotonois. Des malversations évidentes lors de la préparation du 10e sommet de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad) aux travaux de construction de la nouvelle Assemblée nationale, de nombreuses « affaires » ont éclaté ces dernières années. « Ce qui est dur pour les Béninois, c’est de voir que jamais aucun coupable n’est arrêté ou puni. Au contraire, déclare Wilfrid Adoun, journaliste d’investigation et auteur du livre Bénin : une démocratie prisonnière de la corruption, ils ont l’impression que mieux tu voles, plus tu es promu. » « Les gens sont impatients, et je les comprends, explique pour sa part Justin Gbénamèto, le procureur de la République. Mais les affaires réclament des enquêtes minutieuses, et, oui, cela prend du temps. »
Les ex
La lutte contre la corruption et l’impunité était au coeur de la campagne présidentielle de 2011. Et, depuis le début de l’année, le président Thomas Boni Yayi semble décidé à tenir sa promesse. Le 11 février, il a nommé par décret onze des treize membres de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (ANLC), créée en 2011 dans la foulée du vote de la loi contre la corruption et l’enrichissement illicite. « Hasard » du calendrier, une dizaine de jours plus tard, l’Assemblée nationale béninoise donnait son feu vert à l’ouverture d’enquêtes judiciaires visant cinq anciens ministres.
L’ancien ministre de l’Économie et des Finances, Soulé Mana Lawani, devra s’expliquer sur les « dysfonctionnements » dans la passation de marchés et dans la « qualité des travaux » réalisés au Bénin pour accueillir le sommet de la Cen-Sad en 2008. Son ex-homologue à l’Urbanisme, François Noudégbessi, devra, lui, rendre des comptes sur les retards accusés dans la construction de la nouvelle Assemblée nationale, à Porto-Novo, la capitale. La livraison du nouvel hémicycle, dont les travaux ont commencé en 2009, a déjà pris deux ans de plus que prévu. Un projet pour lequel 12 milliards de F CFA (18,3 millions d’euros) ont été déboursés et empochés par les prestataires, alors que le chantier est aujourd’hui à l’abandon.
Armand Zinzindohoué, ex-ministre de l’Intérieur, sera interrogé dans l’affaire des « Madoff béninois » (ICC Services et consorts), le scandale des structures de placement qui ont promis des bénéfices faramineux à leurs souscripteurs. Quant à Rogatien Biaou, ministre des Affaires étrangères sous Mathieu Kérékou, on lui reproche d’avoir autorisé la vente d’une partie du patrimoine du Bénin aux États-Unis.
Désabusés
Ces levées d’immunité ne rassurent pas pour autant le contribuable béninois. Car de l’autorisation du Parlement à la tenue du procès devant la Haute Cour de justice, le chemin sera long. « Pour le moment, les députés ont juste autorisé la justice à faire une enquête, rappelle Wilfrid Adoun. C’est l’Assemblée qui, après l’accord des deux tiers des députés, dira si oui ou non les ministres seront jugés. » Et, là encore, ce n’est pas gagné. Les lois organiques qui régissent la Haute Cour de justice, seule habilitée à juger les ministres, ne sont pas encore votées.
Pour l’heure, les enquêtes sont confiées aux limiers de la chambre d’instruction de la cour d’appel. Les Béninois les verront-elles aboutir un jour ? Ces enquêteurs-là auront-ils les moyens d’aller jusqu’au bout de leurs investigations ? Justin Gbénamèto est catégorique : « Au Bénin, la justice est libre. Et elle fait son travail comme il faut. » Reste à en convaincre les Béninois, qui, pour le moment, sont un brin désabusés.
Jeune Afrique