Angèle AGUIGAH fait voler en éclats les élections locales
Au fur et à mesure que les jours passent, les Togolais se rendent compte qu’ils sont enfarinés par un pouvoir qui fait du mensonge la règle d’or de sa gouvernance. Le voile était levé il y a à peine deux semaines sur le volte face que prépare le pouvoir à la population par la désormais « porte-parole déguisée du gouvernement », Angèle Dola AGUIGAH: « les élections locales ne seront pas couplées avec les législatives ». Voilà l’information qui devrait couper le souffle à l’opposition et aux acteurs de la société civile qui devraient exercer un contrôle citoyen de l’action publique, exiger un scrutin qui a manqué au peuple togolais depuis plusieurs décennies. La conscience collective de la population était flouée depuis belles lurettes avec le processus de décentralisation devant permettre d’asseoir la démocratie à la base. Une fois encore, l’espoir nourri pour cette élection vole en lambeau, le pouvoir n’ayant aucun intérêt à organiser ce scrutin si cher pour l’enracinement de la démocratie à la base. Décryptage.
Pour cette année 2013, l’opinion publique focalisait son attention sur le fait que les élections locales seraient couplées avec les législatives. L’équivoque était levée avec la sortie médiatique de la présidente de la CENI ou plutôt la porte-parole du gouvernement, Angèle Dola Aguigah: « les élections locales ne seront pas couplées avec les législatives. Le gouvernement accorde beaucoup de prix au scrutin local et prendra le temps nécessaire pour organiser ce scrutin historique qui pourrait avoir lieu quelques mois après les législatives ». Voilà qui dit tout sur les intentions du pouvoir. Il faut être un étranger nouvellement débarqué au Togo pour donner du crédit à ces propos de cette militante avérée du parti présidentiel UNIR (Union pour la république). Pour les observateurs avertis, ces propos sont synonymes d’un report sine die et peut-être au-delà de 2015 où aura lieu un autre scrutin présidentiel, à moins d’un revirement spectaculaire. Et pour cause le pouvoir actuel a floué la population pendant près de trois décennies en ce qui concerne ce scrutin. En effet, les dernières élections locales datent de 1987. L’on ne devrait même pas parler d’élections puisque les résultats de ces élections étaient connus d’avance. Ces pseudos élus passèrent plusieurs années aux affaires. Devant les contestations de cette situation d’illégalité, feu président Gnassingbé Eyadema sortit de son mutisme en mettant en place les délégations spéciales en Novembre 2001. A l’époque, le décret présidentiel accordait une durée de six mois renouvelable une seule fois à ces délégations qui étaient chargées d’expédier les affaires courantes. Des mois et des années se sont écoulés sans qu’Eyadema n’ait pu organiser le scrutin local. Cette situation a perduré jusqu’en 2005 où il fut emporté par une mort dont on ignore jusqu’alors les mobiles. Sans être inquiétées, ces délégations sont restées aux affaires jusqu’en 2007 où la loi sur la décentralisation fut adoptée légitimant le statut de ces délégations spéciales.
Un arsenal juridique pourtant bien nourri.
Le peuple togolais a adopté par référendum le 27 septembre 1992, la Constitution de la 4e République. Par cette Constitution, le peuple a opté pour un régime démocratique décentralisé afin d’asseoir et enraciner la démocratie dans la vie des citoyens partout où ils vivent sur le territoriale national. Des lois organiques relatives à la mise en œuvre du processus de décentralisation étaient adoptées en vue de concrétiser cette disposition constitutionnelle.
Le 11 Février 1998, la loi N° 98-006 portant décentralisation au Togo a été adoptée. Une simple formalité puisque cette loi n’a jamais été appliquée dans le moindre iota. Le 13 Mars 2007, la loi N° 2007-011 relative à la décentralisation et aux libertés locales était adoptée en remplacement de celle de 98. En dépit de cette nouvelle disposition légale, le Togo demeure le seul État ouest africain où la décentralisation n’est pas l’apanage des collectivités territoriales dirigées par des élus locaux issus de la volonté populaire. Le pays continue allègrement d’être régenté au niveau des collectivités territoriales (communes, préfectures et régions) par un régime d’exception. En 2010, au lendemain de l’élection présidentielle, le Service français de la Coopération décentralisée a créé une cellule pour préparer la décentralisation et appuyer les acteurs togolais. Mais rien n’est fait jusqu’alors. Le coopérant français affrété à cette cellule pour accompagner le processus et dont nous taisons le nom, séjourne depuis des années à Lomé et s’ennuie parfois au ministère de l’Administration territoriale. Et ses besoins sont satisfaits sur le dos du contribuable togolais. Sa prise en charge s’assimile à un gâchis pour l’économie togolaise au moment où les gouvernants clament sur tous les toits les vertus d’une gestion efficiente et efficace des ressources du pays.
Le Togo toujours à la traîne
Pour les observateurs avisés, c’est vraiment frileux de constater que le Togo soit le seul pays de la sous région ouest africaine dont le processus de décentralisation stagne. depuis près d’une quinzaine d’années, un département ministériel très ronflant a été créé : il s’agit de celui de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales. Bien beau. Mais ce sont de vains mots alignés pour tromper la vigilance de la population togolaise et surtout des partenaires techniques et financiers qui accordent beaucoup de prix à la décentralisation étant donné que c’est elle qui permettra l’enracinement de la démocratie. La mettre en veilleuse constituerait un coup fatal à la démocratie qui ne ferait que balbutier comme c’est le cas actuellement dans le pays. Aucune élection ne fera ombrage à l’autre. Mais dans les milieux proches du pouvoir, on argue que la population n’est pas préparée à faire face à deux scrutins simultanément ; un argument qui ne tient pas la route et que les avisés qualifient de celui de fallacieux. C’est le lieu de rappeler le cas du Kenya qui a fait le 04 Mars dernier les élections générales avec à la clé six scrutins : du présidentiel jusqu’au communal en passant par le législatif et le sénatorial. Les Kenyans ne sont tout de même pas plus intelligents que les Togolais !!!
Le Togo continue de traîner les pas pendant que ses voisins de la sous région ont pris la décision de marquer des pas de géants dans leur processus de décentralisation. Le Burkina Faso, la Sierra Leone ou encore le Ghana s’illustrent déjà en bon élève. Le cas le plus surprenant est celui du Niger, un pays sahélien avec des centaines de milliers de Km2 de désert. L’attitude du gouvernement togolais suscite d’ailleurs l’étonnement auprès des partenaires. Un diplomate que nous avons contacté a déploré le contraste en ces termes : « pourquoi le Niger qui a une population nomade expérimente depuis des années la décentralisation alors que le Togo qui a une population sédentaire traîne les pas ? », s’est-il interrogé.
Pour certains analystes, les raisons du changement de calendrier concernant les locales pourtant annoncées depuis début 2012 pour être couplées avec les législatives sont ailleurs.
Les motifs d’un renvoi
Un constat qui saute aux yeux est que les premiers responsables des délégations spéciales sont pour la plupart des cas des retraités. Ceux-ci s’accrochent à ces postes et ne veulent pas s’en débarrasser pour ne pas perdre leur pain. Donc ils n’ont aucun intérêt à ce que ces locales soient organisées pour les remplacer. Une autre paire de manche, les délégations spéciales jouent un rôle crucial dans les élections législatives et présidentielles et dans la gestion régalienne de leur zone géographique, ils n’ont de compte à rendre qu’au Chef de l’Etat qui les a mis en place. En clair, les calculs politiques sont plus mis en jeu que l’immaturité et l’incapacité de la population à composer avec deux scrutins en une journée. Somme toute, les élections couplées seraient même plus économique pour le pays.
La nécessité des locales
Depuis le début du processus de démocratisation avec le multipartisme dans les années 90, le Togo ne recense aucune avancée notoire sinon une stagnation. Les élections législatives et présidentielles étaient organisées sans pour autant déboucher sur l’ancrage des principes et valeurs démocratiques : 1993, 1998, 2003, 2005 et 2010 pour les présidentielles puis 1994, 1999, 2002, 2007 pour les législatives. Toutes ces panoplies de scrutins n’ont visiblement pas apporté une touche palpable à l’enracinement de la démocratie qui est toujours balbutiante. Raison suffisante pour dire aux acteurs politiques que « rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Les partis politiques des deux bords (opposition et mouvance) gagneraient à apprendre à diriger depuis la base (au niveau des collectivités territoriales) avant de remonter le leadership à l’échelle nationale. La gouvernance locale est donc un champ d’apprentissage du leadership politique et de la capacité de rendre compte aux mandants. L’inorganisation des élections locales constitue à bien d’égards le mal qui gangrène la politique togolaise car celles-ci permettraient de mettre en place les structures de la décentralisation. Les acteurs de la société civile notamment les ONG et associations œuvrant dans le domaine de la promotion de l’Etat de droit tirent sur la sonnette d’alarme. Dans leur rôle d’éveil et de veille citoyens, de conscientisation des populations, elles ne cessent d’interpeller le gouvernement à travers des plaidoyers sur la nécessité d’organiser ces locales. Mais ces interpellations n’ont jamais trouvé échos favorables auprès de ces hommes qui tiennent les rennes du pouvoir. En 2010, la Coopération décentralisée, à travers son projet dénommé « Appui au processus de la décentralisation au Togo (APRODECT) », a formé des formateurs du secteur public et de la société civile devant accompagner et appuyer les collectivités décentralisées dans leur gestion. La préparation des ressources humaines prouve à quel point les partenaires sont préoccupés par la décentralisation au Togo. Raison pour laquelle beaucoup d’entre- eux sont choqués par l’information donnée par la présidente de la CENI concernant les élections locales. La situation actuelle constitue un frein au développement du pays dans la mesure où le citoyen ne dispose pas d’espace d’engagement qui le motive à prendre des responsabilités conséquentes dans la gestion de sa collectivité. Les dirigeants doivent savoir que pour apprendre à nager, il faut se jeter à l’eau.
Le processus de démocratisation allant de pair avec celui de la décentralisation, le bon sens voudrait qu’au vu des expériences vécues depuis 1990 avec le surplace politique, les acteurs politiques togolais fassent table rase du passé et mettent la balle à terre en recommençant à zéro le processus de démocratisation à la base. Du moment où les populations vont se familiariser avec les notions et principes de la démocratie à l’échelon local, ils ne se sentiront pas comme des outsiders lorsque ces principes seront appliqués à l’échelle nationale. L’État décentralisé offre toujours le meilleur espace d’exercice de la citoyenneté contrairement à l’Etat « jacobin » où toute décision part du sommet. Un renversement de cette tendance s’impose et les acteurs politiques et la société civile doivent s’y employer pour le véritable avènement de la démocratie au Togo. La crise politique à répétions trouverait une solution par là.
Jean-Baptiste ATTISSO