Le 20 janvier dernier, les députés togolais ont adopté en une séance d’urgence le statut général de la fonction publique. Cette séance extraordinaire et inédite, convoquée dans la précipitation pour désamorcer la grève d’avertissement de 48 heures, a permis aux députés présents d’adopter le nouveau statut de la fonction publique. Moins de 24 heures après son adoption, la nouvelle loi laisse perplexes les fonctionnaires qui sont divisés sur le maintien et la suspension du mot d’ordre de grève prévu pour lundi et mardi. Au centre de cette polémique, le gouvernement avait mis en branle des stratégies pour dépouiller le texte soumis à l’Assemblée nationale de certains articles clés portant sur les revendications des fonctionnaires et corrompre les responsables des six centrales syndicales.
Les prochains jours risquent d’être mouvementés au Togo. Et pour cause, les fonctionnaires sont très divisés et déçus par le contenu du nouveau statut général adopté précipitamment par les élus du peuple en séance spéciale et en procédure d’urgence.
Les faits qui témoignent de la mauvaise foi d’un gouvernement
Depuis 2011, les fonctionnaires togolais attendaient le vote de leur nouveau statut et l’augmentation de leur salaire. Le gouvernement, dans sa fuite en avant, va de promesse en promesse. C’est ainsi qu’il avait promis adopter le nouveau statut et procéder à une augmentation des salaires de 10 % à compter de 1er Janvier 2012.
En Janvier 2012, les fonctionnaires étaient surpris de voir leur salaire resté sans aucune évolution. Les mouvements d’humeur ont fusé de toute part, les fonctionnaires estimant être floués par le gouvernement. Suite aux négociations avec les centrales syndicales, la tension a baissé et les fonctionnaires ont pris leur mal en patience. L’attente était longue. Durant les 10 premiers mois de 2012, le gouvernement n’a pas daigné adopter le projet de loi portant sur ce statut général de la fonction publique. Les fonctionnaires ont décidé de passer à la vitesse supérieure en lançant des mots d’ordre de grève. Le gouvernement, pour calmer leur ardeur, a finalement adopté en Novembre 2012 le projet de loi portant statut général de la fonction publique avant de le soumettre à l’hémicycle. Les fonctionnaires ont retenu leur souffle en priant pour que ce projet de loi soit adopté le plus vite que possible par les députés. Ils étaient dans l’expectative durant Novembre et décembre 2012 croyant que leur statut serait adopté avant celle la loi de finances 2013. Mais c’est méconnaître de quoi est capable le régime RPT/UNIR.
La surprise a été grande lorsque les députés ont adopté cette Loi de finances lors de leur dernière séance le 29 Décembre repoussant aux calendes grecques l’adoption de la loi portant statut général de la fonction publique. Le gouvernement a mis la pression pour empêcher le passage en plénière de la loi sur le statut général de la fonction publique avant la fin de l’année 2012. Dès que les députés ont clôturé leur session ordinaire, les esprits ont commencé par s’échauffer. C’est ainsi que les six Centrales Syndicales du Togo à savoir la CGCT (Confédération générale des cadres du Togo), la CNTT (Confédération nationale des travailleurs du Togo), la CSTT (Confédération syndicale des travailleurs du Togo), le GSA, l’UGSL (l’Union générale des syndicats libres du Togo) et l’UNSIT ont accordé leurs violons avec leur base et appelé, en début de semaine dernière, les fonctionnaires du secteur public, parapublic et privé à observer une grève d’avertissement de 48 heures les 21 et 22 Janvier. Le gouvernement n’a pas cru à la détermination des centrales syndicales surtout des fonctionnaires à aller jusqu’au bout de leurs revendications. Il a rencontré le 18 janvier, ces Centrales Syndicales. Au cours des échanges, le gouvernement a laissé croire que le retard accusé dans l’adoption du statut général de la Fonction Publique était motivé par le manque de temps matériel aux députés lors de leur deuxième session ordinaire.
Le gouvernement avait promis que ce texte serait adopté en session extraordinaire le 20 Janvier. Mais des sources dignes de foi indiquent que la loi qui serait adoptée par l’hémicycle sera dépouillée de sa substance. C’est ce qui fut fait. Dans la soirée du 20 Janvier, la loi a été adoptée avec ses amputations en présence du commissaire du gouvernement, le ministre Kokou Dzifa ADJEODA.
La loi adoptée mais l’inquiétude demeure
A la veille de la mise à exécution du préavis de grève, l’Assemblée nationale a adopté le nouveau statut qui était la principale revendication des fonctionnaires. Quelques heures après le vote de cette loi, les responsables des centrales syndicales ont convié leur base à une Assemblée générale de restitution hier matin à la Bourse du Travail à Lomé.
Au cours de cette rencontre, le Secrétaire général de l’UNSIT, Komlan Nouwossan, porte-parole des six centrales, n’avait pas fini de lire la déclaration liminaire appelant les fonctionnaires à surseoir au mot d’ordre de grève que ces derniers ont commencé à crier à un acte de sabotage de la part des responsables syndicaux. C’est dans un vacarme total et à queue de poisson que la réunion a pris fin. Les fonctionnaires ont proprement hué leurs responsables, les accusant de corrompus. Les employés de la fonction publique qui ont fait nombreux le déplacement de la Bourse du travail ont exprimé leur rejet de la décision des centrales de suspendre le mot d’ordre de grève et leur désir de poursuivre cette grève comme il était convenu : « On n’est pas d’accord de ce qu’ils sont en train de faire. Ils sont corrompus. Comment peut-on voter le statut général de la fonction publique sans la grille indiciaire? Et nos secrétaires généraux viennent nous raconter des histoires parce qu’ils ont pris des millions. Nous avons décidé de mener désormais la lutte de façon sectorielle, dans les prochains jours, le gouvernement va nous entendre », ont lancé les fonctionnaires amassés au sein de la Bourse du Travail.
Dans la foulée, le Syndicat national des Praticiens Hospitaliers du Togo (SYNPHOT) affilié à la CSTT, a annoncé sa décision de se désolidariser de la démarche des centrales et entend poursuivre le mouvement. Les secrétaires généraux de ces six (6) centrales syndicales, selon Atchi Walla, Secrétaire Général du SYNPHOT, ont « raté l’occasion de rentrer dans l’histoire ». Pour Monsieur Walla, « ils sont les seuls à savoir pourquoi ils ont levé le mot d’ordre de grève contre toute attente des agents de l’Etat ». Et les attentes des fonctionnaires étaient l’adoption d’un statut général de la fonction publique avec la revalorisation de la grille salariale, l’augmentation sensible de la valeur indiciaire, l’âge du départ à la retraite etc. Pour ce responsable du SYNPHOT, le statut voté par l’Assemblée nationale n’a « aucune substance, car la valeur indiciaire n’a connu aucun changement ».
En dehors du SYNPHOT, les secrétaires généraux des six centrales doivent également faire face à la colère d’autres travailleurs tels que les enseignements qui ont aussi élevé la voix hier en marge de cette Assemblée générale de restitution organisée à la Bourse du Travail de Lomé. Il est reproché au nouveau statut général de la fonction publique voté dimanche dernier par les députés de ne pas tenir compte de la grille salariale indicative. « Il n’y a pas de consensus sur la valeur indiciaire et l’âge de départ à la retraite », avait dénoncé Kossi AMEGNONA, président du groupe parlementaire CAR (Comité d’action pour le renouveau) lequel s’est abstenu de voter ce statut général jugé impopulaire.
Dans les jours à venir, une Commission représentative de tous les travailleurs du Togo va être mise en place, commission dont la mission sera de prendre en compte les exigences des travailleurs et leurs désapprobations en ce qui concerne le nouveau statut général.
Le vote d’un nouveau statut de la fonction publique qui est un texte de 263 articles trouve son importance dans le fait que l’ancien texte date de 1968 et ne cadre plus avec les réalités actuelles marquées par la vie chère.
Les dissidents se sont organisés d’ores et déjà et ont mis en place un nouveau front dénomé Synergie des Travailleurs du Togo pour continuer le bras de fer avec le gouvernement et laisser les responsables syndicaux dans leurs magouilles et leurs corruptions. L’Assemblée générale de ce nouveau front s’est tenue mercredi dernier à Lomé. Pas donc de répit pour le gouvernement togolais.
Jean-Baptiste ATTISSO