Porté sur les fonts baptismaux le 14 Avril dernier, l’Union pour la République (UNIR) n’a pas attendu les délais légaux pour se lancer dans la conquête des militants. En témoigne les campagnes de sensibilisation que le président provisoire de cette nouvelle formation politique, Faure Gnassingbé, a démarrée une semaine après son assemblée constitutive qui a eu lieu à Atakpamé. La vitesse de croisière avec laquelle le Chef de l’Etat a amorcé les sensibilisations a été interrompues par les festivités ayant marqué le 52ème anniversaire de l’accession du Togo à la souveraineté internationale et aussi à cause du fait que ses activités se faisaient dans l’illégalité, le parti n’ayant pas en ces temps précis obtenu son récépissé. Depuis le 25 Avril, le récépissé est obtenu. C’est ainsi que UNIR s’agrandit de micro-formations politiques et personnalités qui s’activent à rallier le nouveau-né.
Conformément à la loi n°91-04 du 12 Décembre 1991 portant Charte des partis politiques et en son article 16, «tout parti politique acquiert la personnalité morale à compter de la date de sa déclaration au ministère de l’Administration territoriale. Toutefois, il ne peut exercer d’activités publiques qu’après avoir obtenu et publié son récépissé dans le journal officiel ou dans un organe de presse de la place ». Cette disposition a sans doute été piétinée les premiers jours qui ont suivi la création de l’Union pour la République. A peine créée, Faure Gnassingbé qui assure la présidence provisoire de ce parti a entamé une campagne de sensibilisation depuis le grand Nord pour s’abattre au Sud. Parallèlement à ces activités du Chef de l’Etat, l’état major de certains partis se bouillonne. Cinq jours après la création de l’UNIR, c’est la Nouvelle dynamique populaire démocratique (NDPD) qui a donné le ton au ralliement. Au cours d’une conférence de presse tenue le 19 Avril à Lomé, son président Justin Yidi a déclaré sans ambages que son parti est dissous au profit de l’UNIR. Il était très vite suivi quelques moments plus tard par Union pour la Réconciliation (UPR) de Nayonne … . L’hémorragie a atteint également le premier ministre Gilbert Fossoun Houngbo qui, dans un communiqué rendu public sur le site du gouvernement, a déclaré son entière adhésion au nouveau parti. Le week-end dernier, c’est l’Alliance démocratique pour la Patrie de Dahuku Péré, ancien président de l’Assemblée nationale, qui entre dans la danse à travers une déclaration mitigée qui cache ses intentions réelles : « les membres du Comité politique de l’Alliance réuni à Lomé ce samedi 05 Mai 2012 ont décidé de saluer la décision courageuse du président de la République de porter le RPT à sa dernière demeure à cause de tout le mal qu’il a fait au peuple togolais, en lieu et place de tout le bien qui en était attendu, et l’UNIR sur les fonts baptismaux ». Dans l’ombre de cette félicitation, transparaît un clin d’œil qui ne dit pas son nom. A la question de savoir si l’Alliance allait se dissoudre au profit de l’UNIR, le secrétaire général, Edem Agbodjan-Prince a donné une réponse biaisée : pour le moment, cela n’est pas envisagé ; mais à l’avenir si nous estimons que les objectifs poursuivis par UNIR riment avec les nôtres, une collaboration est possible », a-t-il déclaré.
Ces ralliements prononcés ouvertement ou discrètement étaient prévisibles, à en croire Me Agboyibo qui voit à travers ces remues ménages que le Togo est à l’aube d’un grand péril : « J’ai même eu une vision. J’ai vu une grotte énorme. J’ai vu des amis d’hier se bousculer à l’entrée. J’en étais ému. Je les ai exhortés contre le désespoir ». Cette grotte à laquelle il fait allusion n’est rien d’autre que le nouveau parti UNIR dont l’ambition est d’engloutir les formations politiques qui peinent à assumer leur identité et qui sont souvent assimilées à l’ombre de leur président.
L’Union de l’aveugle et du paralytique
Les partis et les hommes politiques débauchés par le parti de Faure Gnassingbé ne devaient impressionner aucun observateur sérieux de la scène politique togolaise. Bien entendu, à commencer par le vice-président provisoire. Georges Aïdam n’a aucune carrure qui puisse influencer l’électorat togolais. Même au CAR ou il était un cadre, il était perçu comme un subalterne du parti. Il ne peut donc pas promettre apporter un certain nombre de militants au parti de Faure Gnassingbé. Georges Aïdam est le meilleur des cas. Il y en a pire, des partis qui se résument à leurs responsables. La NDPD notamment, le sigle de Nayone expulsé du CAR, ou encore d’autres qui se préparent à faire leur entrée.
Contrairement au RPT défunt dont les cadres ont une grande audience dans leurs fiefs respectifs, audience facilitée par Gnassingbé Eyadéma qui en a fait un véritable instrument politique, UNIR se compose de ceux qu’on peut appeler les apprenti-politiciens, qui manquent de charisme, de popularité, et de méthodes. Ils sont pratiquement méconnus des populations qu’ils sont appelés à sensibiliser et c’est là que commence la difficulté pour ce parti. On se demande si un miracle pourrait permettre à ceux-là de s’imposer avant les prochaines échéances électorales avec des partenaires tous aussi impopulaires. Aujourd’hui, l’Union du parti de Faure Gnassigné avec des formations comme NDPD, Alliance, UPR, le Nid et même la CPP ne serait qu’une union de l’aveugle et du paralytique, les deux ayant des faiblesses majeures qui les pousseront inéluctablement dans l’impasse, le gouffre. Le parti bat donc encore de l’aile et aura sans doute beaucoup de mal à opérer sa métamorphose.
Une communication ridicule
Il est surprenant de constater les critiques faites par des novices qui n’ont ni la culture politique, ni l’expertise communicationnelle en regardant les affiches du parti de Faure Gnassingbé à travers les rues. La conception est d’abord très mal faite, une image qui présente un Chef d’Etat, Président de parti avec une partie du corps mutilée. C’est du raté. En plus une photo de Faure Gnanssigbé mise en exergue à côté du logo de UNIR ne peut rien signifier d’autre que le culte de la personnalité vaillamment entretenu par Gnassingbé Eyadéma, géniteur de Faure Gnassingbé et du RPT qu’il a tué. Beaucoup de symboles exprimant l’Union existent pour matérialiser le concept. Sociologiquement, la publicité faite aura produit un effet contraire : le mépris des populations pour le parti et son fondateur. La preuve, si un des posters a été dégagé in extrémis de la clôture du collège protestant, c’est que des personnes sont venues jeter de la boue au visage du président. Et puis, pour associer la presse à cette communication, les experts en communication proposent pour une page entière de publicité, la somme de 25 000 FCFA. Une somme qui n’est pas à la hauteur de l’homme, du nouveau parti et des ambitions qui y sont assignées. C’est dire qu’UNIR ne patauge que dans l’amusement, la distraction. A cette allure, difficile de prédire des lendemains meilleurs pour ce parti.
UNIR et la continuité d’un régime
A la création de cette nouvelle formation politique, les responsables du parti n’ont cessé de rabattre les oreilles de ceux qui voudraient les entendre qu’il s’agissait bien de la rupture avec l’ancien système incarné par le RPT. Mais les faits et gestes démontrent une contradiction entre les propos et les actes qui se posent faisant redouter la bonne foi des responsables et militants de cette formation politique. Depuis les rencontres de présentation du parti aux populations, les vieux comportements refont surface. La preuve est la visite qu’a effectuée le Chef de l’Etat aux populations de Kloto le 02 Mai dernier. Cette visite a ralenti les activités de l’administration et occasionné la fermeture de plusieurs établissements scolaires. Quarante-huit heures plus tôt, le Comité d’Action pour le renouveau (CAR) avait organisé une conférence – débats sur le thème : « le déverrouillage des institutions de régulation de la gouvernance au Togo : le grand défi à relever ». Cette conférence publique a connu la participation de plusieurs hommes politiques tant de l’opposition que du pouvoir. Les acteurs de la société civile y étaient aussi présents. Le conférencier Me Yawovi Agboyibo, abordant le défi à relever pour le déverrouillage des institutions de la République disait ce qui suit : « la réponse au défi est la rupture ; mais entendons-nous bien sur les mots. La rupture en question n’est pas synonyme de changements cosmétiques concernant uniquement les rapports entre le Chef de l’Etat et ses collaborateurs. La rupture attendue, c’est plutôt celle qui doit marquer la fin du système politique actuel caractérisé par la concentration des pouvoirs de gestion et de régulation entre les mains d’un même parti, d’un même homme. La rupture marquant la fin du système politique en vigueur ne viendra pas de la nouvelle donne créée par le congrès tenu le 14 Avril 2012 par le Rassemblement du peuple Togolais (RPT) à Blitta. Ne soyons pas dupes». Cette alerte du président d’honneur du CAR est révélateur vu la mobilisation qui a eu lieu à l’INFA de Tové dans le Kloto où les vieilles habitudes ont refait allègrement surface. Faure Gnassingbé y a porté le costume de chef de parti et a semblé ne plus être le président de tous les Togolais. Et pour ce faire, les vieilles méthodes du pouvoir RPT refont surface. Selon les informations en notre possession, une note de service a été adressée à tous les fonctionnaires pour assister obligatoirement au meeting du chef de l’Etat. Les enseignants ont également reçus cette note des directions centrales de l’enseignement leur demandant d’aller « accueillir le chef de l’Etat dans le cadre de sa tournée nationale ». Les écoles publiques étaient fermées à Kpalimé, toute l’administration s’est arrêtée. Beaucoup d’élèves ont vadrouillé tandis que certains sont mobilisés pour accueillir le président de l’UNIR. Les administrés étaient dans l’obligation de laisser leur travail pour aller accueillir le chef de l’Etat. La seule différence était l’animation politique qui a manqué pour compléter le tableau habituel. Les affiches de UNIR sont apposées dans toute la ville de Kpalimé. Des posters géants de ce parti, avec l’image d’un Faure Gnassingbé bien peint, encombrent cette petite ville.
Rupture avec le passé, une illusion.
La définition de la rupture telle que pensée par Agboyibo est mal accueillie par Solitoki Esso, ancien secrétaire général du défunt RPT qui l’a mal digérée. Au lieu de s’en prendre à un leader d’opposition, il y a lieu de rendre effectivement témoignage de la vraie rupture en posant des pas rassurants. Les habitudes ayant la vie dure, la rupture ne se décrétera pas du jour au lendemain, disait un observateur de la scène politique togolaise.
Pour d’autres, la demande de rénovation par changement de nom est venue en réalité de certaines élites qui avaient fortement envie de rejoindre le RPT. Mais, elles ont eu le culot de subordonner leur ralliement à une condition : que le RPT change de nom. Selon ces mêmes sources, le changement de nom n’est pas la voie à emprunter par ces élites pour aller vers l’alternance mais ce serait la voie royale pour enterrer longtemps le rêve d’alternance voulu par la majorité des Togolais.
De ces points de vue, l’on peut être tenté de dire sans risque d’être démenti que le RPT n’a rien fait d’autres que de changer de dénomination, les actes quotidiens faisant foi.
Le vampirisme politique auquel se livre UNIR, en se poursuivant, risque de faire de ce parti un parti Etat qui ne serait qu’une façon déguisée de quitter le RPT et y retourner en douceur. Et ce serait une peine perdue.
Jean-Baptiste ATTISSO