Depuis quelques années, les travailleurs togolais n’ont cessé de décrier leurs conditions de vie et de travail. Ces conditions de vie sont marquées par la précarité et surtout le pouvoir d’achat qui s’érode au jour le jour. Mais face à cette dégradation, le régime RPT qui est aux affaires depuis bientôt cinq décennies semble peu préoccupé. Les revendications des travailleurs constituent allègrement le cadet des soucis de ce régime pour qui la seule ambition est de se maintenir au pouvoir contre vents et marrées. Conscients de cet état de fait, les organisations syndicales qui naguère se logeaient dans un mutisme, sortent enfin de ce silence et comptent amener les décideurs politiques à la réalité de leur vécu quotidien. La seule arme efficace dont elles disposent étant la grève, elles ont décidé de s’en servir durant du 04 au 06 Mars 2013 pour contraindre le gouvernement à prêter oreilles attentives à leurs revendications. L’initiative émane de la Synergie des travailleurs du Togo (STT), un mouvement spontané qui a vu le jour suite à l’adoption controversée et in extrémis du Statut général de la fonction publique le 20 Janvier dernier.
Comme le dit un dicton populaire ivoirien, il faut savoir résoudre les problèmes au lieu de les déplacer. Ce dicton illustre à suffisance le comportement de l’Exécutif togolais qui aime se livrer à la politique de l’autruche en feignant les difficultés auxquelles la population togolaise dans son ensemble et singulièrement les fonctionnaires et agents permanents font face. Chaque fois qu’un problème se pointe à l’horizon, au lieu de trouver des solutions durables, les gouvernements successifs ont l’habitude de trouver des palliatifs de courte durée ou carrément se livrent à un saupoudrage et quelques jours après les reviennent avec parfois plus d’ampleur. Le ministère de la fonction publique et de la réforme administrative dont dépendent les agents de l’Etat s’illustre en champion du jeu de Jacques où es-tu ?
Les fonctionnaires qui se sentent désabusés ont plaidé pour un état des lieux. C’est ainsi qu’au cours des états généraux de l’administration publique tenues à Lomé du 05 au 09 Décembre 2006, l’accent a été mis sur le paquet identifié comme prioritaire et retenu par le protocole d’accord du dialogue social. En clair, il s’agissait de répondre aux attentes immédiates des partenaires sociaux qui ont insisté sur la nécessité d’améliorer sans délai, les conditions de vie des travailleurs dont le pouvoir d’achat s’érode continuellement depuis des années. Ce paquet englobe les traitements, salaires et accessoires, les primes et indemnités, l’âge de la retraite, l’allocation de départ à la retraite, etc.
Six ans après, force est de constater que ces recommandations n’ont pas vu le jour et les fonctionnaires continuent de tirer le diable par la queue. Pour flouer les agents de l’Etat et faire croire à une bonne foi, le gouvernement avait décidé en 2010 de réduire les impôts sur les revenus des personnes physiques (IRPP) ; une mesure qui s’assimilerait à une augmentation de salaire. Mais en fait c’est une mesure qui était un opium pour faire taire les fonctionnaires, les endormir et atténuer l’ardeur des syndicats les plus bouillants.
En réalité la ribambelle des recommandations du dialogue social peinent à être mises en œuvre devant un gouvernement qui n’est visiblement pas engagé à soulager les souffrances de ces travailleurs qui ont beaucoup du mal à joindre les deux bouts. Au même moment, les ressources permettant de satisfaire leurs besoins sont là et sont souvent détournées par ceux qui n’ont consenti aucun effort pour les générer.
Une précarité ambiante
Depuis 2006, plusieurs ministres se sont succédé au département de la fonction publique et de la réforme administrative sans que les résultats de leur lettre de mission ne soient perceptibles. De Ninsao Gnofam à l’actuel locataire de ce département Kokou Djifa ADJEODA en passant par Solitoki Esso, les fonctionnaires sont demeurés sur leur soif. De surcroît, leurs conditions ont connu une dégradation avec la vie chère qui fait son chemin depuis 2007. Cette vie chère était née des inondations qu’a connues le Togo au cours de cette année où les prix des produits vivriers ont grimpé de façon exponentielle.
Le gouvernement n’a pas daigné secourir les travailleurs dont le pouvoir d’achat était écorché par cette inflation. Les produits viviers ne sont pas les seuls produits dont le prix est porté à la hausse. Les produits pétroliers ont également fait les frais rendant toujours difficiles les conditions des travailleurs qui ne savent à quel saint se vouer. Les salaires dérisoires qui comblaient à peine la quinzaine du mois sont sérieusement menacés et les travailleurs n’ont d’autres choix que de croupir dans la misère et la précarité qui est devenue ambiante au grand dam des gouvernants qui malgré tout, vivent dans l’opulence. Devant ce constat, les syndicats ne désarment pas et passent à l’offensive de la grève.
Les bonnes raisons d’un mot d’ordre de grève
Les travailleurs au sein de la fonction publique togolaise ont espéré que leur statut général serait adopté avant à la fin de l’année 2012. Ils étaient désagréablement surpris que la dernière séance de la dernière session ordinaire de l’Assemblée nationale ait lieu sans que ce statut ne soit adopté. Se sentant flouer, très tôt en Janvier 2013, les centrales syndicales ont accordé unanimement leur violon pour appeler les fonctionnaires de l’Etat à une grève de deux jours 21 et 22 Janvier. Pour prendre les agents de cours, l’assemblée nationale a, au cours d’une séance extraordinaire et spéciale tenue à la veille de ce débrayage, adopté ce statut qui constitue la pomme de discorde entre le pouvoir et les travailleurs. Mais en lisant entre les lignes les articles de ce nouveau statut, les fonctionnaires estiment qu’il comporte des ambiguïtés qu’il faille corriger afin de garantir leur bien-être. La Synergie des travailleurs du Togo (STT) soutient que les questions liées à l’immobilisme de la valeur indiciaire, la non révision de la grille salariale, l’âge de départ à la retraite, les différentes primes et indemnités sont relégués au second plan.
Une autre paire de manche est l’indifférence dont fait preuve le premier ministre Ahoomey-ZUNU. Selon les responsables de la Synergie, un courrier daté du 04 Février 2013 à lui adressé demandant l’ouverture d’un dialogue direct et une seconde correspondance de relance une semaine plus tard sont demeurés sans suite. C’est face à cette indifférence notoire qui la Synergie convie les travailleurs des secteurs public, parapublic et privé du Togo à observer une grève d’avertissement de 72 heures à compter du 04 Mars 2013 pour exiger la satisfaction du chapelet des revendications suivantes : le doublement de la valeur indiciaire ; l’adoption de la grille salariale redressée sur le SMIG avec ajout de 10 points à l’indice d’avancement des agents publics de la catégorie B ; la réinstauration du payement de l’indemnité de départ à la retraite à 12 mensualités sur le budget général; le relèvement de l’allocation familiale à 10 000 FCFA par enfant ; le payement d’une indemnité mensuelle de transport de 30000F à tous les agents publics, parapublics et privés ; le payement des arriérés des allocations familiales aux agents permanents ; l’harmonisation de l’âge de départ à la retraite ; l’amendement de certains articles du nouveau statut dont la formulation prête à confusion ( articles 221, 244, 246 et 252). Voilà ce qui donne de l’insomnie au gouvernement face son inaction et à sa mauvaise foi.
La grève a été suivie, contrairement aux contre vérités que le site de propagande du pouvoir a servies à ses visiteurs. Le secteur public comme privé était paralysé. Dans le secteur public, la démarche des fonctionnaires était plus celle d’un acte de présence, menacés par leurs supérieurs hiérarchiques de respecter le mot d’ordre de la Synergie. Dans la plupart des administrations publiques, certains fonctionnaires ont répondu à l’acte de présence, mais le travail n’a pas été effectif. Ceci est encore plus remarquable dans les secteurs de l’éducation et de la santé.
Une mauvaise foi révélée au grand jour
Le 21 Février dernier, le ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative a organisé un atelier de validation technique de l’avant-projet de décret d’application du nouveau statut général de la fonction publique. L’objectif de cet atelier était d’amener les participants à accorder leur violon pour valider l’avant projet de décret. Ceux-ci se sont regroupés en commissions et ont pu parcourir le document soumis à leur appréciation. De leur restitution, il ressort que certaines dispositions de l’avant-projet de décret disposent que l’avancement par échelon des agents de l’Etat ne sera plus automatique. De plus, ce sont les responsables hiérarchiques qui noteront chaque agent et c’est cette note qui déterminera l’avancement des agents. Beaucoup de participants ont déploré le manque d’outils informatiques dans les différents départements ministériels malgré les réformes engagées depuis 2006. Ces matériels étant nécessaires pour suivre pour le suivi facile du plan de carrière des agents. Les travaux en commission ont permis de s’en rendre compte que certaines dispositions du décret d’application sont contraires au statut général adopté un mois plus tôt.
La malsaine ruse du pouvoir
Quand on remonte l’histoire du Togo, on comprendrait pourquoi le gouvernement s’active à faire adopter le décret d’application d’une loi qui continue de provoquer des grincements de dents au sein de la population à laquelle elle destinée. Des lois sont votées à l’Assemblée nationale, ont passé des années sans voir leur décret d’application adopté.
Le cas de la loi portant importation, commercialisation et production du tabac et de ses produits dérivés en est une illustration. Cette loi a passé près de deux ans dans les tiroirs avant de voir adoptés ses décrets d’application ; il en est de même pour le Code forestier et bien d’autres encore notamment la loi sur l’investissement des sociétés et sur la zone franche. En clair, la précipitation du gouvernement à faire adopter le décret d’application d’une loi qui suscite encore des remous est révélatrice d’intentions cachées.
En fait, le gouvernement veut dribler les agents qui, la plupart du temps, tardent à s’approprier les lois du pays et qui les intéressent au premier plan. Conscient de cette stratégie, les responsables des 6 centrales syndicales du Togo ont unanimement rejeté la validation de l’avant-projet de décret d’application qui mettra les fonctionnaires devant le fait accompli. C’est ce qui justifie également l’action initiée par la Synergie qui exige la relecture de certains articles du statut adopté sous pression le 20 Janvier dernier.
Un gouvernement aux abois
Cette assertion se vérifie toujours quand les membres du gouvernement font leur sortie médiatique. C’est en cela qu’on peut qualifier la sortie du ministre Kokou ADJEODA sur la télévision nationale le week-end dernier sur le mot d’ordre lancé par la Synergie. « Depuis 2008, le gouvernement cherche tous les moyens pour améliorer les conditions de vie et de travail des fonctionnaires. Le nouveau statut de la fonction publique, voté récemment, en est un exemple. Nous mettrons tout en œuvre pour donner satisfaction aux agents de l’Etat dans la mesure de nos moyens », a-t-il lancé avant de brandir que de 2008 à 2012, la valeur indiciaire était passée de 947 à 1039,5 avec 30 points supplémentaires cette année. Une démonstration mathématique qui se démonte facilement lorsque qu’on sait qu’une valeur indiciaire de 1039 équivaut en envire 1000 FCFA sur l’augmentation du salaire.
Pour Kokou ADJEODA, le cadre idéal pour trouver une issue aux revendications devrait être autour d’une table de dialogue ; comme s’il n’était pas au courant des correspondances que la synergie des syndicats a adressées au premier ministre réclamant un dialogue direct et dont il avait les ampliations. C’est dire que le gouvernement togolais attend toujours le feu aux fesses avant d’agir. Une attitude qui ne reflète pas la sincérité d’un gouvernement qui est appelé à être à l’écoute des administrés. Quand on reproche aujourd’hui des maux comme la lenteur, la lourdeur, la corruption et autres à l’administration, cela est dû en partie à la politique que mène les dirigeants qui s’obstinent à faire sourde oreilles et à fermer les yeux sur les vraies réformes à amorcer pour mettre le pays sur la voie du développement. Il est temps que les gouvernants jouent franc jeu pour susciter l’engouement et l’ardeur auprès des agents de l’Etat dont le travail constitue un levier pour l’économie togolaise.
Jean-Baptiste ATTISSO