Commencé depuis le 15 Mars 2013, le recensement électoral a pris fin le 31 Mars dans la zone 1 qui s’étend de la préfecture de l’Ogou à celle de Tône dans l’extrême nord du pays. Pendant que la présidente de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Angèle Dola Aguigah, s’enivre dans une satisfaction béate, les responsables du Collectif Sauvons le Togo (CST) et la Coalition Arc-en-ciel dénoncent des irrégularités notamment le recensement multiple de certaines personnes, le recensement des mineurs et des étrangers qui ont émaillé cette étape du processus. Angèle Aguigah balaie du revers de la main les irrégularités évoquées par l’opposition et lève par ailleurs l’équivoque sur le couplage des élections locales avec les législatives. Elle annonce le début des opérations de recensement dans la seconde zone à partir du 12 Avril prochain pendant que l’opposition réclame au préalable un audit du fichier électoral de la zone 1. Un véritable mépris de la classe politique représentative de l’opposition.
Les partis de l’opposition regroupés au sein du Collectif Sauvons le Togo et de la Coalition Arc-en-ciel ont informé les hommes de média vendredi dernier sur les irrégularités qui ont entaché l’enrôlement de la population togolaise dans l’optique des prochaines consultations électorales. Vingt-quatre heures après, la CENI avec en vedette sa présidente, Angèle Dola AGUIGAH monte au créneau. Objectif, échanger avec les journalistes sur les opérations de recensement électoral dans la zone 1 en vue de tirer les leçons et de mieux organiser les mêmes opérations dans la zone 2. Au cours de cette rencontre, la CENI a passé en revue les opérations dans la zone 1, les difficultés rencontrées, les résultats provisoires et le programme de recensement dans la zone 2. Mais pour un observateur averti, la conférence de presse de la CENI ressemblait fort à une contre attaque destinée à apporter des démentis aux informations révélées la veille par le CST et la Coalition aux hommes de médias. Concernant les retards constatés dans le démarrage des opérations, la CENI les a imputés au mouvement d’humeur des agents électoraux. Ce mouvement, soulignent les responsables de la CENI, a empiété sur le déploiement du matériel électoral des CELI vers les centres de recensement et de vote (CRV). A cela s’est ajouté des pannes d’ordre technique et dans certains cas la lenteur des opérateurs de saisie, ajoutent ces mêmes responsables. Mais ces problèmes, à en croire les membres de la CENI, ont trouvé des solutions dans les 48 heures qui ont suivi le démarrage de l’opération de recensement dans la zone 1. Selon les résultats publiés à l’issue de ce recensement qui a pris fin dans la première zone le 31 Mars, 92 % d’électeurs potentiels soit un chiffre de 1 200 000 personnes ont été enrôlées. Mais il sied de souligner que ce chiffre est susceptible d’ « évolution » étant entendu que toutes les données ne sont pas encore traitées. D’où la nécessité des acteurs politiques de l’opposition d’être vigilants puisque les chiffres pourraient gonfler à loisir. Selon les résultats du recensement général de la population et de l’habitat en 2010, la population électorale estimée dans la zone couverte par ce recensement est de 1 360 398 habitants. Et si 1 200 000 personnes sur ce total ont pu s’inscrire provisoirement sur la liste électorale dans cette zone, ce score mérite d’inciter à la vigilance de l’opposition surtout que cette première zone est traditionnellement favorable au régime en place.
Angèle Aguigah de plus en plus méprisante
En fin de semaine dernière, la présidente de la CENI s’est prononcée sur le processus électoral notamment le recensement qui s’est déroulé dans la première zone. Dans ses propos, elle était ravie de cette opération et se félicite de la situation normale qui a prévalu après les manquements des tout premiers jours de cette opération et promet un processus fluide en zone 2.
A une question concernant des cartes d’électeurs signées par son prédécesseur, Angèle Aguigah a répliqué que cela n’est pas un paramètre de blocage dans la mesure où certains matériels ont été commandés avant la mise en place de la nouvelle CENI. Pour elle, cet état de choses ne doit pas créer des suspicions car « c’est tout simplement la continuité des services de l’Etat ».
Sur le sujet des élections législatives couplées avec des locales que le gouvernement annonçait depuis belles lurettes, elle a tenu à lever l’équivoque : « nous ne couplons pas les deux élections, mais les élections locales ne sauraient tarder. C’est la première fois que des élections locales auront lieu au Togo. La CENI préfère prendre son temps pour les préparer. En tout état de cause, elles auront lieu juste après les législatives », a-t-elle précisé. Elle s’est montrée très téméraire en balayant du revers de la main les irrégularités soulevées dans plusieurs localités par les partis de l’opposition : « Si les mineurs et les étrangers ont été recensés, les portes de la CENI sont ouvertes, les partis de l’opposition qui clament des irrégularités n’ont qu’à venir avec leurs preuves. Quotidiennement la liste de ceux qui sont recensés est affichée et s’il y a des mineurs, les habitants des localités concernées pouvaient dénoncer ces cas », avait-elle affirmé à son auditoire. Elle ajouta par ailleurs que le fichier actuel ne souffre d’aucune irrégularité et qu’aucun audit ne sera fait avant le démarrage des opérations dans la deuxième zone le vendredi prochain et ce, pour une dizaine de jours. Le mépris des autres acteurs dont fait montre la présidente de la CENI, Angèle Aguigah mène dangereusement le Togo vers des élections frauduleuses qui déboucheront sur des contestations et des revendications violentes. Une impasse dont personne ne peut deviner les conséquences.
C’est d’ailleurs pourquoi, du côté de l’opposition, des doutes demeurent sur le processus électoral surtout en ce qui concerne le recensement.
Le CST et la Coalition Arc-en-ciel persistent et signent
La semaine dernière, les deux mouvements ont animé une conférence de presse au cours de laquelle elles ont fait part de leurs préoccupations sur le recensement électoral. Leurs observations ont porté sur la sensibilisation et des communications vers les populations ; les ressources humaines et matériels déployés et les irrégularités et manœuvres frauduleuses du pouvoir. Au titre de la sensibilisation et des communications vers les populations, les deux entités ont déploré le déficit de communication préalable de la part de la CENI sur l’opération de recensement, entraînant une faible mobilisation de la population dans la plupart des préfectures ; puis la diffusion de fausses informations et de rumeurs sur la non participation de certains partis de l’opposition afin de démobiliser leurs électeurs potentiels pour le recensement.
Concernant les ressources humaines déployées, la faible maîtrise de l’utilisation des kits par les agents recenseurs et leurs mauvaises conditions de travail sont pointées du doigt. Ceci, soulignent le CST et la Coalition, a pour conséquence, le temps consacré à l’enregistrement d’une seule personne qui atteint parfois 20 à 30 minutes.
Evoquant le déploiement des matériels et leur fonctionnement, ils ont déploré la dotation insuffisante de kits au niveau de plusieurs centres de recensement, alors que la population en âge de voter a augmenté, ce qui entraîne ainsi la lenteur dans l’établissement des cartes et une exaspération des personnes venues se faire recenser; la répartition peu judicieuse des kits dans plusieurs centres des localités jugées favorables à l’opposition, avec une dotation de kits inférieure à celle de la révision de listes électorales en 2010 ; le mauvais fonctionnement et pannes des kits de recensement dont certains sont ceux qui furent utilisés lors des révisions de listes électorales de 2007 et 2010 ; les problèmes d’imprimantes pour l’impression des cartes dont certaines sont floues après leur édition ; le déploiement tardif de plus d’une centaine de groupes électrogènes, à compter du mercredi 20 mars 2013, soit cinq jours après le début des opérations ; les pannes répétées de groupes électrogènes dont un grand nombre fut hors d’usage dès les premiers jours de l’opération ; les problèmes de ravitaillement en carburant entraînant l’arrêt des opérations pendant plusieurs jours, dans certaines zones difficiles d’accès.
Les deux organisations ont enfin émis des réserves sur les cartes d’électeurs délivrés avec la signature de Taffa TABIOU, ancien président de la CENI et membre de l’actuelle CENI, ce qui pose selon elles, un problème juridique alors même qu’il est techniquement possible de changer la signature dans le logiciel des kits, confirmant ainsi les informations relatives aux possibilités de fraudes électroniques, tout comme en 2010, lors de la révision des listes; les inscriptions de mineurs, notamment dans les localités de Tiampialim et Tomangue (préfécture de Tandjoaré), Krikri et Kambolé (préfecture de Tchamba) ainsi que dans les préfectures de Blitta, Binah, Kozah et la sous-préfecture de Mô ; le refus d’inscription de militants proches de l’opposition dans la préfecture de Sotouboua en l’occurrence, dans les cantons de Tabindé et de Déréboua; les inscriptions de nomades non Togolais effectuant la transhumance de bétails, à Warkamou à la frontière Togo-Ghana dans la préfecture de Tandjoaré ainsi que dans les localités de Boko (préfecture de l’Ogou) et de Morétan (Est-Mono) ; la saisie des noms des ascendants des personnes recensées, sans mention de leurs prénoms, ce qui est de nature à rendre inefficaces les traitements lors de la finalisation du fichier électoral.
Devant ces constats, irrégularités et manœuvres frauduleuses, le Collectif « SAUVONS LE TOGO » et la Coalition ARC-EN-CIEL ont estimé que la prolongation du recensement dans la zone1 d’une semaine, résulte de la précipitation et de l’impréparation qu’ils ont toujours dénoncées. Eu égard aux dysfonctionnements et aux irrégularités précités, et en l’absence d’un consensus de la classe politique sur le processus électoral, le Collectif « SAUVONS LE TOGO » et la Coalition Arc-en-ciel, exigent qu’un audit des opérations de recensement dans la zone 1, soit effectué par une institution indépendante compétente en matière électorale, avant la poursuite de la deuxième phase.
Enfin, le Collectif « SAUVONS LE TOGO » et la Coalition ARC-EN- CIEL interpellent les instances de la CEDEAO, de l’Organisation des Nations Unis, de l’Union Européenne, ainsi que le corps diplomatique accrédité au Togo, pour qu’ils usent de tous leurs moyens d’action vis-à-vis du pouvoir en place, en vue de faciliter une sortie de crise pacifique au Togo en faisant économie d’une nouvelle tragédie postélectorale.
Des inquiétudes bien fondées
Dès les premières heures du recensement électoral, le Collectif « SAUVONS LE TOGO » et la Coalition Arc-en-ciel ont appelé les populations togolaises à aller se faire recenser et ont demandé aux responsables locaux de partis membres des deux organisations, de se regrouper en comités de vigilance, dans toutes les préfectures et hameaux les plus reculés afin de dénoncer les irrégularités constatées, et de faire échec, dans le strict respect de la loi, « aux manœuvres frauduleuses » qui pourraient avoir lieu dans les centres de recensement. Aujourd’hui, ces deux structures peuvent se féliciter d’avoir accompli une tâche énorme qui a permis de démasquer les manœuvres du pouvoir. Mais pour beaucoup de citoyens, l’inquiétude de l’opposition est avérée. Déjà la délivrance de la nouvelle carte d’électeur portant la signature de l’ancien président de la CENI serait un boulevard pour les fraudes. En effet des pseudos électeurs pourraient se servir de celle de 2010 (qui n’est plus valable en 2013) à des fins inavouées. Si Taffa Tabiou était reconduit à la tête de la CENI, cela pourrait se comprendre. Mais du moment où il est remplacé, il est souhaitable que les nouvelles cartes portent la signature de l’actuelle présidente surtout que cela est techniquement possible. Se dérober de cela crée la confusion dans les esprits et cache, comme le soutiennent beaucoup d’observateurs des ambitions inavouées. D’ailleurs nombreux sont-ils, ces citoyens qui balaient du revers de la main l’argument de « continuité de l’Etat » qu’avance l’actuelle présidente de la CENI pour justifier la signature des cartes par son prédécesseur. Certains vont plus loin même en se demandant si elle est réellement en phase avec le concept de « continuité de l’Etat ».
Une autre paire de manche est le refus obstiné du gouvernement à coupler les législatives et les locales. Angèle Aguigah en disant tout haut qu’il n’y aura pas d’élections couplées, a levé le voile sur un sujet qui tient beaucoup à cœur aux Togolais.
En effet, le régime Gnassingbé ne trouve aucun intérêt à voir les collectivités territoriales dirigées par des élus locaux. Il préfère qu’elles soient régentées par les délégations spéciales en place depuis plus de dix ans. En témoigne le processus de décentralisation qui piétine aussi des années durant. Donc cette révélation de la militante avérée de UNIR qui se cache sous le chapeau d’une organisation de la société civile ne traduit que l’expression de la volonté du régime en place. Ce ne sont que faux alibis de temps pour « mieux organiser » ce qu’elle appelle « un scrutin historique ». Pour ceux qui savent lire le cours des événements, ces élections locales devraient être organisées depuis longtemps. Mais le pouvoir étant hostile à la démocratie à la base, a préféré conserver le statu quo qui lui profite à tous égards. Le non couplage des élections législatives et des locales constitue un désir continuel de gérer le pays dans l’obscurantisme et les magouilles.
L’opposition devra faire preuve de lucidité et exiger le couplage de ces deux élections. Le Kenya vient de sortir d’un processus électoral où il y a les élections générales avec près de six scrutins en un seul jour. Repousser les locales aux calendes grecques serait encore un boulevard au pillage des ressources à travers la mal gouvernance et la gestion hasardeuse qui caractérisent la gouvernance du pays depuis des décennies. Ce serait encore une volonté manifeste de refus de l’alternance et un mépris flagrant des principes démocratiques. Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Dit un adage. Le pouvoir devrait être à l’écoute du peuple et prendre le temps nécessaire qu’il faudra pour mieux organiser ces scrutins que les Togolais attendent depuis belles lurettes. Les ténors de l’opposition en l’occurrence Jean-Pierre Fabre de l’ANC, Dodji Apévon du CAR et Brigitte Adjamagbo-Johnson de la CDPA qui sont actuellement en tournée en Europe gagneraient beaucoup en mettant les bouchées doubles pour accentuer la pression sur le pouvoir de Lomé afin d’obtenir des conditions minima de transparence, d’équité et de crédibilité aux prochains scrutins.
Jean-Baptiste ATTISSO