Samedi matin, 09 heures, quartier Franciscain à Adidogomé, Banlieue nord-ouest de Lomé, un attroupement inhabituel devant une boutique située juste en face de la station MRS attire notre attention. Du monde, il y en avait tellement que nous ne pouvons pas nous empêcher de nous approcher des lieux, par simple curiosité. Querelle, dispute ou bagarre, c’est ce à quoi nous avons pensé dans un premier temps. Sauf que ce n’était rien de tout ça. Il s’agissait plutôt d’un petit marché qui s’animait devant la boutique de Monsieur André, et autour d’articles de toute sorte, étalés pour certains à même le sol.
A l’instar d’autres personnes qui se sont lancées dans la même initiative à Lomé, monsieur André vend des articles d’occasion, des articles hétéroclites, « venus de France » ou « venus d’Europe », comme on les appelle habituellement. Une chose inhabituelle quand on sait que, dans un passé récent, on ne pouvait trouver ces choses qu’au Port autonome de Lomé plus précisément dans le parc dénommé TP3. Voilà qui explique pourquoi il y avait tant de monde devant sa boutique. Et ça marche plutôt bien. Puisque les articles en question s’arrachent comme de petits pains.
Que trouve-t-on dans cette boutique ?
Toute sorte d’articles, sauf que ceux-là ne sont pas des chinoiseries. Ce sont des articles d’occasion, c’est-à-dire précédemment utilisés, venus la plupart du temps d’Europe ou des Etats-Unis : Ustensiles de cuisine, appareils électroménagers, appareils électroniques, machine à coudre, vélos, articles de gymnase, lits et matelas, fauteuils roulants, vêtements, tissus, tapis, moquettes, verres à boire, meubles, articles de décoration, rideaux, papiers-mouchoirs, produits de beauté, pâtes dentifrices, brosses à dents, produits cosmétiques, bref tout y est. Par moment, on y trouve des boissons et même des produits pharmaceutiques.
Monsieur André à la formidable chance d’avoir son grand-frère en France. Ce dernier lui envoie ces articles sous forme de marchandise dans un conteneur. Et bingo ! André se charge tout simplement du dédouanement, et le tour est joué.
« Comme vous le voyez, c’est ce que je fais depuis quelques mois. Et je peux vous dire que je ne me plains pas. Regardez par vous-mêmes l’affluence qu’il y a devant ma boutique ! Tout ceci, c’est grâce à mon grand-frère qui a eu l’ingénieuse idée de m’occuper avec cette activité. Il m’envoie un conteneur bien plein que je dédouane au Port autonome de Lomé. Après, je n’ai plus qu’à ramener le contenu ici à Adidogomé pour la vente », indique-t-il avant d’ajouter que la commercialisation dure au plus un mois et que la recette qui en découle sert à subvenir aux besoins de la famille. « C’est sa manière de nous aider, nous qui sommes restés au pays », dit André à propos de son frère qui fait une petite économie déjà pour s’acheter un petit quart de terrain, même si l’objectif premier celui d’assurer à la survie de la famille est malicieusement désorienté.
Le cas d’Aziz, rencontré au quartier Bè, à Lomé est légèrement différent. Lui, ce n’est pas son grand frère qui lui envoie sa marchandise, mais plutôt un ami qui habite à Londres, en Angleterre. Ainsi donc, après la vente, il retourne à son ami l’argent que ce dernier à dépensé en plus de son bénéfice. Mais ce n’est pas pour autant qu’Aziz ne trouve pas sa part dans ce « deal : « Mon ami et moi nous nous faisons beaucoup confiance. Il m’envoie le conteneur, je me charge de la vente, j’en tire mon profit puis je lui retourne ses fonds et sa part du bénéfice, puis le « cycle envoie et vente’’ recommence. Je vous assure, ça m’aide énormément et franchement, je n’ai plus besoin de me trouver un emploi si les choses peuvent continuer ainsi ».
Il y a également un troisième schéma dans ce commerce. Dans ce dernier cas, ce sont des togolais de la diaspora, plutôt cupides ou avares, méfiants à l’endroit de leurs proches au pays qui débarquent eux-mêmes avec les conteneurs de produits. Ils se mettent en jeans, un sac en bandoulière et se jettent dans le marchandage des produits. Très regardants, ils suivent de près les entrées et les sorties, et surveillent comme du lait sur le feu tout proche qu’ils associent à ce business. Pablo, qui vit à Paris a essayé cette formule. Il s’en frotte les mains. Ça a marché à part une déception : le camion qui transportait les produits a été cambriolé. Vins et champagnes ont été volés. Toutes les démarches pour se faire justice ont échoué. Mais il n’a pas perdu. De boutique en boutique et de bouche à oreille, il a coulé les produits, le véhicule aussi. Beaucoup de togolais vivant en France, Allemagne, Belgique, Suisse, Hollande et même Etats Unis se jettent dans ce commerce, après avoir, bien entendu obtenu leur précieux titre de séjour.
Raisons de ce nouveau commerce
Les raisons sont multiples, nous apprend Beaugard, qui étale ses articles dans les rues du quartier Bè-Kpota. La première, concerne les taxes jugées trop élevées au port : « Il y en a tellement que nous ne les supportons plus. Continuer à vendre là-bas signifie courir à notre perte », dit-il justifiant du coup l’objectif du gouvernement de redynamiser la Délégation du secteur informel dirigée par dame Ingrid Awadé.
Bref, le payement de trop de taxes pousse les commerçants qui sont dans l’enceinte du TP3 à faire sortir les marchandises pour les revendre dehors.
Autre raison, fait savoir Beaugard, sont les vols fréquents remarqués au niveau du TP3 : « Il n’y a en réalité aucune mesure de sécurité prise par les responsables de ce terminal pour protéger les vendeurs. C’est ainsi qu’on se fait voler tous les jours. Au finish, on s’en sort parfois perdant ».
A ces deux mobiles, s’ajoute la mévente.
Beaugard, qui s’est spécialisé dans la vente des appareils électroniques (postes téléviseurs, radios, amplificateurs, lecteurs DVD etc.) n’est d’ailleurs pas le seul à vendre de ces marchandises venues du Terminal du port. Il a à quelques centaines de mètres de lui sa petite sœur, Angèle. Elle autre se retrouve dans l’électroménager. Micro-ondes, fers à repasser électriques, cuisiniers, verres à boire, plats, tasses à café, tout se vend chez elle.
Contrairement aux autres, Angèle va au TP3 où elle achète les produits en gros, les fait sortir malgré les taxes souvent élevées, pour les revendre dans sa boutique. Ce commerce lui apporte le minimum vital. Elle s’y sent tellement bien qu’elle ne songe pas tenter l’aventure au TP3.
D’autres personnes, a-t-on appris, achètent ces articles au Togo et vont les revendre au Bénin voisin, en passant par la frontière de Hilakondji. Pour l’une d’entre elles rencontrée dans les environs du port, ces marchandises sont très sollicitées au pays de Yayi Boni.
Du pain béni pour les clients
La vente de ces produits ne profite pas seulement aux commerçants mais également aux clients. Ces derniers ne se déplacent plus jusqu’au Port autonome de Lomé pour acheter ce dont ils ont besoin. Ils se contentent tout simplement de se les procurer des fois à quelques mètre de chez eux.
Mr Victor, rencontré à Bè en compagnie de son fils, est venu acheter un vélo pour ce dernier en signe d’encouragement. Le gamin vient de réussir au CEPD.
« Ici, c’est plus proche de mon domicile, les articles sont les mêmes et parfois moins chers qu’au TP3. Pourquoi se déplacer jusqu’à cet endroit si je veux éviter les tracasseries de dédouanement et tout autre protocole pour un simple vélo », nous dit-il, visiblement content.
Ainsi donc, ils sont très nombreux aujourd’hui ces commerçants ou vendeurs qui désertent peu à peu le port pour les rues de Lomé et ce genre de commerce prend de l’ampleur au fil des jours. Même le carrefour Dekon, reconnu comme le point de vente des portables neufs et d’occasion, s’est délocalisé dans les rues de Lomé, où on peut facilement rencontrer, surtout la nuit, des vendeurs qui étalent leurs téléphones à même le sol. Et c’est le secteur informel qui en sort redynamisé.
En amont, le lieu de provenance de ces produits, les tracas sont au rendez-vous. Une prochaine enquête nous amènera dans les capitales occidentales où en été comme en hivers, les togolais arborent les rues, les marchés à puces et les brocantes à la recherche de venus d’Europe à exporter vers leurs pays pour de bonnes affaires.
Richard AZIAGUE