Presque personne ne semble lui accorder de l’importance. Pire, beaucoup ont tendance à fermer les yeux dessus, faignants de ne rien constater. Pourtant, il existe bel et bien et semble même s’officialiser dans les établissements scolaires du Togo. Il s’agit des relations intimes qu’entretiennent enseignants et élèves en milieu scolaire. Avec pour corollaires les « Notes sexuellement transmissibles » ou « Moyennes sexuellement transmissibles », c’est selon. Avoir 15, 16 ou 17 sur 20 dans une matière contre une partie de jambes en l’air offerte au professeur qui s’en occupe est devenu malheureusement monnaie courante dans les établissements scolaires du Togo.
Les réjouissances organisées très souvent dans les établissements scolaires sont révélatrices des liens étroits et intimes qu’entretiennent élèves et enseignants dans les établissements scolaires tant publics que privés. Des professeurs et leurs élèves filles dansant bien collés et bien serrés sur des rythmes Zouk ou Slow jusque tard dans la nuit, le constat est saisissant.
Quand on sait qu’il y a encore quelques années, à peine on peut oser regarder son instituteur ou son professeur dans les yeux, il y a donc bien de quoi se poser la question de savoir ce qu’est devenue la nature des relations entre enseignants et élèves de nos jours. Petit à petit, les relations forcées et harcèlements sexuels dont on accusait les enseignants ont laissé leur place à des relations consenties et acceptées par les jeunes filles elles-mêmes, parfois en échange de récompenses. Et pas n’importe laquelle.
Des relations quasi officielles…
Bien que déconseillées, les relations amoureuses entre les jeunes filles et leurs enseignants sont devenues monnaie courante dans les établissements scolaires du Togo. La plupart du temps, ces relations sont même quasi officielles et sues de tout le monde, même des chefs d’établissements. Tout le monde en parle et ce n’est plus un tabou.
« Les choses se passent ainsi dans notre établissement. Dans notre classe par exemple, tout le monde sait que certaines de nos camarades entretiennent des relations intimes avec certains de nos professeurs. Et ces derniers également savent que nous le savons. Même nos camarades filles qui le font ne le cachent pas. Ceci, pour éviter qu’une autre de leurs camarades ne leur mette le bâton dans les roues », témoigne un garçon fréquentant un lycée public d’Adidogomé, banlieue Nord-ouest de Lomé.
Et à un autre de renchérir en indiquant que très souvent, même les professeurs ne cachent pas à leurs collègues les relations qu’ils entretiennent avec telle ou telle jeune fille. Mieux, ajoute-t-il un peu mécontents, ils se les partagent.
« Dans notre classe, tous les professeurs qui interviennent savent que la fille qui est à côté de moi est la copine ou la petite amie de notre prof de physique. Ainsi, ils évitent de se piquer leur copine ou de se faire des coups sans le savoir », affirme le jeune élève.
Qui fait la cour à qui et qui harcèle qui ???
L’on a longtemps pointé du doigt les enseignants les accusant des techniques de harcèlement pour contraindre les jeunes filles de leurs établissements à entretenir des relations intimes avec eux. Cela a même fait l’objet d’un long débat et de campagnes de sensibilisation. Mais aujourd’hui, les données ont changé. Ce ne sont plus les enseignants qui harcèlent les jeunes filles, mais ce sont plutôt ces dernières qui leur font la cour, parfois par tous les moyens et ouvertement. Et d’après un professeur de Français du lycée moderne d’Adidogomé, il n’est pas facile d’être enseignant de nos jours, surtout quand on est jeune.
« C’est un véritable problème ce phénomène. Les jeunes filles de nos établissements et de nos classes ne connaissent plus la honte. Des fois tu reçois des messages sur ton portable et c’est une de tes élèves qui te l’a envoyé. Tu ne sais même pas où elle est passée pour avoir le numéro et en plus elle t’envoie des sms que toi-même tu as du mal à réaliser. Des déclarations d’amour de deux, trois voire quatre filles d’une même classe, j’en ai tellement reçu. Elles te font la cour sans aucune honte », témoigne-t-il, en souriant.
Un de ses collègues, jeune lui aussi, se dit chaque jour victime de harcèlement de la part de ses élèves. Une autre forme de harcèlement qui n’a rien à voir avec des sms.
« Certaines filles sont prêtes à tout pour montrer au professeur qu’il leur plaît. Au lieu de suivre le cours, elles te fixent et te font des yeux doux. Pire, certaines sont prêtes à dépasser les bornes. Et en quoi faisant ? En écartant les jambes pour que tu les remarques. Et après elles n’hésitent pas à t’approcher pour te dire face à face que tu leur plais », dit avec dédain le jeune prof de Mathématiques. « Après tout, nous sommes des humains. Et si tu ne te retiens pas, tu cèderas, c’est sûr », poursuit-il.
En somme, pour ces deux enseignants, c’est vivre chaque jour de véritables cauchemars que d’être un jeune professeur surtout au lycée. Le harcèlement y est vécu au quotidien.
Les statistiques ne leur donnent forcément pas raison. Selon les enquêtes, 90% des enseignants des établissements scolaires du Togo avouent n’avoir jamais vécu le harcèlement sexuel orchestré par les filles. Par contre 10% confirme cette évidence et avouent avoir marqué leur distance par une douce opposition ou par des conseils donnés à ces filles. Ceux que beaucoup de personnes ne croient pas en l’occurrence les jeunes élèves garçons.
Pour ces derniers, il est plus qu’évident que ce sont les profs qui font la cour aux jeunes filles et non le contraire.
« Dès la rentrée déjà, on les voit river les yeux sur les plus belles filles de la classe. Et c’est ainsi que ces filles deviennent leurs amantes et leurs copines quelques semaines après. Ils leur promettent de les aider dans telle ou telle matière pour leur réussite en fin d’année », affirme un élève de Terminale du Lycée Essor à Adidogomé.
Thèse confirmée par une fille ayant déjà subi les avances d’un de ses professeurs. D’après cette dernière, certains enseignants, très audacieux, n’hésitent pas à leur proposer de bonnes notes dans leur matière en échange d’une relation intime. Ces genres de situation, poursuit-elle, se rencontrent très souvent dans les classes de passage.
« Une de mes amies en a été victime. Le professeur l’a eu en fin de compte mais il ne lui avait rien donné en retour. Elle a même redoublé la classe », dit-elle.
Par ailleurs, les élèves (garçons et filles) enquêtés dans les établissements scolaires estiment que la sollicitude d’un enseignant à l’égard d’une fille suffit pour montrer qu’il en est amoureux ou qu’il aurait des liaisons intimes avec elles. Ils pensent que les attitudes telles que les clins d’œil, les gestes, les attouchements des enseignants envers les filles éveillent et désorientent les filles, les déconcentrent et les conduisent à l’échec.
Selon la même enquête, les garçons, de leur côté, pensent que les enseignants demandent plus de services aux filles. Les signes de cette sollicitude à l’égard des filles sont : regard régulier, meilleur traitement ou une punition plus clémente pour les filles. Seuls 8,3% reconnaissent l’impartialité des enseignants.
En dehors de Lomé et dans les coins les plus reculés du pays, ce sont les intérêts extra scolaires des enseignants qui sont les socles des relations intimes qu’ils entretiennent avec les élèves. D’après les statistiques, 47,5% des enseignants reconnaissent qu’ils demandent parfois des services aux élèves : activités domestiques, travaux champêtres. Beaucoup de ces occasions de service rendu se transforment en opportunité de relations intimes entre enseignants et élèves.
Cela semble évident que les enseignants entretiennent souvent des relations intimes avec leurs élèves. Mais ils ne l’acceptent pas pour autant. Les enquêtes ont révélé que la majeure partie des enseignants, 92,5%, nient avoir entretenu des relations sexuelles avec des élèves. 6,5% reconnaissent l’évidence de ses relations mais n’y précisent pas la nature. Seul 1% souligne le caractère amical de ces relations.
Notes et moyennes sexuellement transmissibles, promotion canapé…
Favoritisme, indulgence, tricherie, paresse et échec, voilà quelques unes des conséquences qui découlent des relations intimes entre enseignants et élèves. Ces conséquences proviennent le plus souvent des fausses notes ou moyennes dont les enseignants gratifient les élèves avec qui ils couchent.
On les appelle généralement Notes ou Moyennes sexuellement transmissibles et c’est dans les classes de passage qu’elles marchent le plus. Mais pour combien de temps ? Voilà toute la question. Puisqu’à force de réussir avec l’aide des professeurs et donc d’entretenir la paresse durant plusieurs années, certaines filles ressentent finalement d’énormes difficultés à réussir en classe d’examen. Il n’est donc pas étonnant de les voir doubler, redoubler, tripler, voire quadrupler les classes de 3ème, 1ère et Terminale.
Et si par une magie ou par la grâce de Dieu elles finissent par réussir et entrent dans la vie active, elles deviennent des filles de la « promotion canapé ».
Cette expression familière désigne un avantage ou une promotion qu’une personne a obtenue en consentant à avoir des relations sexuelles avec une personne ayant le pouvoir de lui attribuer cet avantage. Normal. Quand, dès le bas âge, on s’habitue à obtenir des notes faciles en couchant avec son prof, rien ne peut empêcher de faire la même chose pour obtenir un boulot.
En plus d’encourager la paresse, les relations enseignants-élèves peuvent aussi avoir des répercussions sur les jeunes garçons. C’est ainsi qu’il n’est pas rare de voir certains d’entre eux subir les foudres d’un professeur parce que celui-ci les soupçonne de faire la cour à la fille qui lui plait dans la classe.
Au Togo, un rapport accablant publié récemment a révélé que 5.343 cas de grossesses ont été enregistrés en milieu scolaire sur toute l’étendue du territoire national entre 2009 et 2012.
Les experts qui ont mené l’étude se sont malheureusement rendus compte que les petites filles du cours primaire dont l’âge est souvent compris entre 08 et 12 ans sont aussi victimes de ces grossesses précoces. Le pire est que les rapports sexuels entre enseignants-élèves y sont aussi à l’origine. Il y a donc de quoi prendre le problème très au sérieux.
Rodolph TOMEGAH