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Opposition togolaise : Quelle stratégie de combat ?

 

 

Opposition togolaise, certains, notamment les plus pessimistes, en ont déjà assez et n’hésitent plus à l’afficher ouvertement lors des causeries et discussions. Ils lui reprochent son inertie et son manque flagrant de stratégie dans la lutte qu’elle mène contre le pouvoir en place. Peut-être ont-ils en partie raison. Mais, quelle stratégie peut bien encore adopter cette opposition  togolaise face à un pouvoir qui a la main mise sur tout, confisque tout, maîtrise tout et ne se situe nullement dans une logique d’alternance ? Voilà la question à se poser avant de pointer du doigt quelques opposants que ce soit. Car, s’il est vrai que  l’opposition fait parfois des erreurs, aucune œuvre humaine n’étant parfaite, il n’en demeure pas moins qu’elle ne bénéficie pas encore, comme c’est le cas dans certains pays, de la mobilisation de la population togolaise qui, pourtant, dans sa majorité, rejette le pouvoir UNIR obligé de recourir à la fraude à chaque consultation électorale. A cinq mois des législatives de 2012 et à moins trois ans des prochaines présidentielles, un certain nombre de réflexion s’impose. Quelles stratégies doit désormais adopter l’opposition pour venir à bout du camp d’en face ? Au même moment, quelle tactique doit être celle des militants et sympathisants de l’opposition pour aider cette dernière à arracher enfin ‘’sa victoire’’ ?

La lutte a commencé depuis vingt-deux ans déjà. Mais jusqu’alors, le résultat escompté n’a pas encore été obtenu. Même si elle est arrivée  de haute lutte à arracher quelques acquis démocratiques après le soulèvement d’octobre 1990, l’opposition togolaise, de l’avis de certains de ses sympathisants, peine encore à atteindre l’objectif principal : le déracinement du puissant régime des Gnassingbé incarné d’abord par Eyadéma pendant 40 ans, et depuis 2005 par son fils Faure.  Est-ce sa faute ? Oui, pourraient tenter de répondre ceux qui pointent souvent du doigt les opposants pour leurs errements et leur manque de tactiques. Toutefois, s’il est vrai que l’opposition n’est pas exempte de tout reproche, il est tout aussi vérifié qu’il n’est pas aisé d’affronter un régime aussi dictatorial que celui des Gnassingbé. Vomi et rejeté par le peuple togolais dans sa majorité, malmené dans les urnes par l’opposition lors des élections présidentielle de 1998, 2003, 2005 et 2010, ce régime a tout de même réussi à se maintenir au pouvoir contre vents et marrées grâce à sa main mise sur une armée créée de toute pièce par Gnassingbé Eyadéma. Une armée composée majoritairement non seulement de soldats issus de son ethnie, mais aussi d’hommes originaires de la partie septentrionale du pays. Même l’union de l’opposition à certains moments donnés n’a pas eu raison de ce régime.

Aussi têtu que celui de son père, le pouvoir incarné par Faure Gnassingbé semble emprunter le même chemin. Marches de protestation, veillée à la bougie, profession de foi, aucune de ses actions n’est arrivé à ébranler ce régime au pouvoir depuis sept ans.

Face à un pouvoir aussi opiniâtre, que faire ? Devenir une opposition armée pour chasser ceux qui sont actuellement aux affaires ? Cette hypothèse est peu probable voire nulle. Mais alors, quelles stratégies l’opposition pourra-t-elle encore adopter étant donné que celles mises en œuvre jusqu’alors n’ont rien engendré, du moins en ce qui concerne l’alternance ? A quelques mois des législatives de 2012 et à moins de trois ans de la présidentielle de 2015, une réponse à cette question serait la bienvenue. Mais, le futur se construisant parfois sur le passé, il serait bien de revisiter certains événements passés qui, de l’avis de bon nombre de Togolais, n’ont pas permis aux opposants d’avoir la victoire sur le pouvoir RPT.

Tirer des leçons  de certaines erreurs

Dans les pays  démocratiquement avancés où le jeu électoral est généralement clair, il est beaucoup plus facile à l’opposition, fut-elle désunie, de parvenir au pouvoir. Mais, dans des pays comme le Togo, où le parti au pouvoir est hostile à toute changement et met tout en œuvre pour qu’il ne soit pas possible, l’union et la solidarité entre les partis de l’opposition est nécessaire pour arracher la victoire. Malheureusement, cela n’a pas toujours été la préoccupation majeure des opposants togolais. De l’avis de certains, c’est cette désunion de l’opposition qui a renforcé le pouvoir de Gnassingbé Eyadéma, pourtant moribond au début des années 90. Pour tout comprendre, il est nécessaire de revenir sur l’une des premières grandes erreurs qu’a commises l’opposition au début de l’ère démocratique.

En effet, le pouvoir d’Eyadéma était sorti très affaibli  du soulèvement populaire de 1990 et de la conférence nationale souveraine qui s’en est suivi. C’est dans ces conditions que des élections législatives ont été organisées en février 1994. Tous les grands partis d’alors ont participé au scrutin. Sur les 81 sièges, la coalition RPT-UJD qui représente la sensibilité présidentielle en remporte 37 ; le Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) de Me Yawovi Agboyibo obtint 36 ; l’Union Togolaise pour la Démocratie (UTD) d’Edem Kodjo remporte 7 et la Coordination des Forces Nouvelles de Joseph Kokou Koffigoh 1. L’opposition avait donc mathématiquement réuni 43 sièges et la coalition soutenant le chef de l’Etat 37. En vertu  de l’article 66 de la Constitution qui dispose que « le chef de l’Etat nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire », Maître Agboyibo était favori pour être le Premier ministre. Mais il a été dribblé par Edem Kodjo qui, prétendant être un parti charnière, usa de ruse, d’astuce et de mesquinerie pour se pencher du côté du RPT en lui ajoutant les sept députés pour se faire nommer Premier ministre. Il avait franchi le Rubicon. Ne disposant que de 7 députés au parlement, l’UTD  qui avait troqué les voix de l’opposition contre la Primature n’avait aucune marge de manœuvre politique. Conséquence : les négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement auront duré indéfiniment car les partisans du CAR refusent de se voir imposer un chef de gouvernement appartenant à une famille politique qui ne dispose que de sept députés. Les uns et les autres s’accusent mutuellement de trahison. Il faut attendre quatre mois plus tard pour voir annoncer le gouvernement d’Edem Kodjo. Cette situation mettra Me Agboyigbo et Edem Kodjo dans un antagonisme sans fin.

Ceci fut la première grosse erreur de l’opposition togolaise qui n’a pas su profiter de la force qu’elle avait à l’époque pour basculer les choses et contribuer au départ de ‘’Gnass’’. Malheureusement, aucune leçon ne sera tirée de ces erreurs du passé. Même s’ils sont arrivés à parler d’une seule voie en 2005 en présentant un candidat unique pour faire face à Faure Gnassingbé, les rivalités ont encore refait surface en 2010 avec le refus des opposants de présenter un candidat unique. Certains partis qui ne font pas le poids dans le giron politique, au lieu de se joindre à celui qui a le plus de base électorale, ont préféré faire cavalier seul. Or, il fallait une synergie pour battre Faure Gnassingbé dans ce scrutin qui était à un seul tour.

Finalement, aujourd’hui, deux catégories d’opposition se distinguent. D’une part, une première catégorie dite radicale et de l’autre une seconde dite modérée qui participe aux affaires avec le pouvoir. Au milieu, il y a une troisième catégorie qui n’est ni radicale ni modérée. Entre les opposants radicaux, ce n’est pas la grande amitié. Entre les radicaux et les modérés, les hostilités sont encore plus poussées : coups bas, trahison, points de vue antagonistes sur presque tous les sujets, voilà ce qui rythme leur relation au quotidien. Pourtant, tous disent lutter pour la même cause.

Changer de stratégie pour gagner les futurs combats

Ceci constitue un impératif catégorique si l’opposition togolaise veut réellement atteindre son objectif premier : parvenir enfin à l’alternance en écartant le régime de Faure Gnassingbé. Car, elle ne doit pas perdre de vue une chose : avec le nouveau parti UNIR brandi comme un trophée de guerre et dont on dit qu’il contribuera à ramener beaucoup de Togolais dans le camp du chef de l’Etat, le pouvoir se prépare à mettre tout en œuvre, à frauder s’il le faut, pour ratisser large lors des prochaines législatives. D’ailleurs, les Togolais sont si habitués à ses tactiques frauduleuses qu’ils imaginent déjà le scénario qui se prépare. Ce scénario, disent-ils, consistera à donner la majorité absolue à UNIR, à voler de nombreuses voix pour l’Union des Forces de Changement (UFC) de façon à faire croire aux Togolais que la formation de Gilchrist Olympio est réellement la première force de l’opposition togolaise. En somme, UNIR et l’UFC vont se partager la grande partie des sièges au parlement et laisser les miettes aux autres formations.  

Voilà autant de raisons pour lesquelles l’opposition doit changer de fusil d’épaule. Pour ce faire, les opposants, du moins ceux qui en sont les vrais, doivent d’abord éviter de s’affronter entre eux et de se faire des coups bas. Leur véritable ennemi, c’est plutôt le pouvoir. Qu’ils s’efforcent de mettre sous éteignoir leurs intérêts égoïstes, d’éviter les guerres de leadership et les nombreux vacillements qui consistent à être opposant aujourd’hui, puis à travailler avec le pouvoir demain. Bref, on ne doit plus avoir d’opposition dans l’opposition. Certains d’entre eux commencent d’ailleurs à en prendre conscience. Invité à une émission sur une radio de la capitale début avril dernier, le président de l’OBUTS (Organisation pour bâtir dans l’Union un Togo solidaire), Agbéyomé Kodjo, a indiqué que les principaux opposants du Togo vont fédérer, dans les prochains jours, leurs énergies dans une nouvelle coalition qui se donne pour ambition de ratisser large. L’ancien Premier ministre n’a pas été très explicite sur le sujet mais a promis que les acteurs de cette nouvelle plateforme vont en dire plus le moment venu. A travers cette plate-forme annoncée, M. Kodjo et ses camarades de lutte entendent arracher des gages d’une organisation juste des prochaines élections au Togo notamment les législatives et locales de 2012 et la présidentielle de 2015.

De même, dans une interview accordée à un journal de la place la semaine dernière, Yawovi Agboyibo, le fondateur du CAR, a appelé à une union de l’opposition, seule condition, selon lui, pour parvenir à une alternance en 2015. Pourvu que ce ne soit pas seulement des paroles.

L’autre préoccupation sérieuse sur laquelle doit se pencher l’opposition, c’est la question de moyens. L’argent est le nerf de la guerre, dit-on souvent. On ne peut donc prétendre faire la politique sans avoir les moyens nécessaires. Les formations de l’opposition qui veulent participer aux législatives prochaines doivent en prendre conscience dès maintenant et, contrairement au passé, chercher des sources de financement pouvant leur permettre d’avoir au moins un représentant dans chaque bureau de vote. Ceci contribuera sans doute à éviter les fraudes et les bourrages d’urnes auxquels se livre très souvent le parti au pouvoir.

En plus de cela, l’opposition doit obtenir la garantie qu’on donne à la société civile et surtout aux journalistes, l’autorisation de publier les résultats issus des Bureaux de vote.  Arracher cette garantie est primordial car c’est généralement lors du transfert des chiffres électoraux des Bureaux de vote vers les Commissions électorales locales indépendantes que s’opèrent les manipulations. Cette méthode a montré son efficacité au Sénégal où les résultats sont tombés seulement quelques heures après la fermeture des bureaux de vote.

L’opposition a besoin de plus de mobilisation populaire

Si l’alternance a été possible au Sénégal cette année, ce n’est pas seulement grâce à l’effort des leaders de l’opposition. Le courage et la mobilisation de leurs militants et sympathisants y a également joué un rôle majeur. Ces derniers n’ont pas été attentistes. Au contraire, ils ont su se mobiliser pour contraindre le camp Wade à éviter toute tentative de fraudes et à accepter le verdict des urnes. C’est le cas des jeunes regroupés au sein des collectifs M23 et « Y en a marre ».

Au Togo, les militants et sympathisants de l’opposition se mobilisent-ils de la même façon ? Non. On veut le changement, mais personne ne veut se battre pour qu’il soit possible, personne ne veut mourir pour ça. On veut faire des omelettes sans casser les œufs. On se contente juste de critiquer l’opposition et de la traiter de tous les noms d’oiseau. Certes, les jeunes participent aux marches et autres mouvements de contestation. Mais, ils n’ont jamais défini une stratégie réelle de lutte contre les fraudes électorales du pouvoir. Pourquoi ne se constitueraient-ils pas en un mouvement puissant et solide comme « Yen a marre » au Sénégal. Le soulèvement populaire de 1990 n’a pas réussi à emporter le régime Eyadéma. Mais, il aura contribué au moins à prouver aux Togolais qu’une véritable mobilisation populaire peut apporter un début de changement. Rien ne sert donc de critiquer l’opposition à longueur de journée sans lui proposer d’autres approches de solution. Etre opposant à un régime comme celui du Togo n’est pas chose aisée. Les adeptes du changement feraient mieux de le comprendre ainsi et de se mobiliser véritablement derrière les leaders de l’opposition. Car, ils ne peuvent jamais à eux seuls mener le combat jusqu’à l’obtention de la victoire.

Rodolph TOMEGAH

 

 

ANCFabreOpposition*TOGOUnir
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