De l’architecture aux divinités, en passant par le mode de vie des habitants, une conférence internationale tenue à Fès (centre) s’est penchée de manière inédite sur l’histoire du Maroc antique, une période pré-islamique riche mais longtemps considérée comme taboue.
« Lorsqu’on lit les manuels scolaires, on a l’impression que l’histoire du Maroc a commencé avec l’avènement de l’islam au VIIe siècle ou, au plus, avec la présence romaine à partir du Ier », déclare à l’AFP Mostafa Ouachi, un des premiers archéologues du Maroc antique.
Jusque dans un passé récent, « tout ce qui renvoyait à la période antérieure à l’islam était perçu comme un tabou, un facteur de désunion ou une menace pour l’unité du pays », explique-t-il.
Mais les choses changent.
Fin mars à Fès, « capitale spirituelle » du royaume, des experts marocains, algériens, français, espagnols ou encore tunisiens ont partagé les conclusions de leurs recherches « malgré les contraintes techniques, financières voire culturelles pesant toujours sur l’étude de cette période », relève Saïd Kamel, de l’association européenne Medistone, co-organisatrice.
« Aujourd’hui, des archéologues marocains connus mondialement commencent à être +découverts+ dans leur propre pays », se réjouit-il.
Ce colloque international, sur trois jours, a vraiment représenté « quelque chose d’inédit », insiste Mostafa Ouachi. « Dans les années 1970 à 90, une telle rencontre d’experts internationaux de la période était inimaginable », dit-il.
Autre preuve concrète de l’évolution, le roi Mohammed VI a initié en 2011, dans le sillage du Printemps arabe, une constitution qui reconnaît pour la première fois le berbère comme langue officielle, au côté de l’arabe.
Pour les spécialistes du Maroc antique, c’est un « coup de pouce juridique et politique vers une plus grande reconnaissance d’une histoire méconnue ».
Divinités multiples
Les Berbères sont considérés comme les premiers habitants du Maroc. Islamisés par les arabes, ils ont longtemps revendiqué une reconnaissance politique et linguistique, dans un pays où ils représentent plus de la moitié de la population.
A Fès, pour expliquer la marginalisation historique de la société nord-africaine pré-islamique, la plupart des chercheurs ont notamment évoqué la multiplicité de ses divinités et croyances.
Ces croyances païennes, avec leurs multiples statues de dieux, étaient vues avec méfiance par un islam monothéiste, religion d’Etat, omniprésente au Maroc, et qui interdit la représentation de Dieu.
Ces cultes « se pratiquaient dans des temples construits en blocs de pierre, que l’on retrouve essentiellement dans les grandes villes antiques, dont Volubilis » (centre), commente l’archéologue marocain Mohammed Makdoun.
« Il y avait beaucoup de divinités locales, comme Sérères, dieu agricole dont l’influence s’étendait jusqu’en Afrique de l’ouest », ajoute ce président de l’Association des amis de Volubilis.
Selon lui, « les croyances avaient une forte dimension éclectique: il y avait par exemple une juxtaposition des dieux romains avec les divinités locales ».
L’Afrique du nord antique est très présente dans les écrits gréco-romains anciens, enchaîne-t-il. « Le géographe grec Strabon cite près de 300 villes. Au Maroc, on en a identifié 23. Les principales sont Tamuda, Banasa, Thamusida… »
L’ouverture sur ce pan d’histoire semble susciter des vocations. A Fès figuraient ainsi parmi les participants des étudiants de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (Insap) de Rabat, créé en 1985.
« C’est par hasard que j’ai appris l’existence de cet institut. Lorsque j’ai eu mon bac; j’ai passé le concours sans hésiter. J’ai toujours été passionnée par l’Antiquité », a affirmé à l’AFP Saoussane Yahia, étudiante en 3e année.
« Au début, je m’intéressais à l’antiquité gréco-romaine et l’Egypte. Un jour, j’ai découvert qu’il y avait aussi un Maroc antique. Mon mémoire de fin d’étude portera sur cette période », a-t-elle ajouté.