A la sortie du gouvernement Ahoomey-Zunu II le 17 septembre dernier avec une équipe de 26 Ministres, nombreux étaient-ils à saluer le nombre plus ou moins acceptable de cette composition. D’aucuns arguaient que cette réduction allait contribuer à l’allègement des dépenses publiques. Trois semaines après la sortie hésitante de l’équipe gouvernementale, Faure Gnassingbé crée la surprise par un décret présidentiel nommant trois autres ministres dont Kako Nubukpo, Christian Trimua et un outsider. Le ministère de la santé, lui reste muet. Un bricolage sans fin qui continue de produire ses fruits.
On s’attendait le moins à la nomination vendredi dernier de Kako Nubukpo et de Christian Trimua respectivement comme Ministre auprès du président de la République chargé de la Prospective et des politiques publiques puis de Secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Justice, chargé des relations avec les Institutions de la République.
Kako Nubukpo: du Professeur agrégé
L’homme est connu par le sens très poussé et pointé de ses analyses économiques. Il fallait le suivre dans ses raisonnements pour se rendre à l’évidence qu’il est » une tête bien faite »: les grandes argumentations et démonstrations intellectuelles très solides dont il a toujours fait preuve lors des rencontres nationales et internationales, surtout devant les responsables d’institutions comme l’UEMOA, la CEDEAO, la BCEAO, la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International sont une illustration. Quatre jours avant sa nomination, il était invité à une vidéoconférence sur la publication du rapport semestriel » Africa Puls » liée à la croissance économique en Afrique au siège de la Banque Mondiale à Lomé. De par ses talents, il a su ébranler les experts de cette institution de Bretton Woods par ses questions pertinentes. En marge de cette vidéoconférence et répondant à une question de journaliste sur le système LMD ( Licence Master Doctorat) en cours au cours depuis 2008, le Professeur nommé Ministre répondait en substance: » Le système LMD était une directive de l’UEMOA que les pays membres devraient exécutée. Mais les Etats n’ont pas les moyens nécessaires. Le Togo s’est précipité pour le faire et il y a maintenant d’énormes difficultés. Le Burkina Faso qui abrite même le siège de la Commission de l’UEMOA n’adopte pas ce système. Imaginez la FASEG ( ndlr: Faculté des Sciences économiques et de gestion) où j’enseigne, il y a 15 mille étudiants, comment les professeurs peuvent s’y prendre pour corriger les copies de ces étudiants? Le Togo devrait adopter ce système depuis les années 80 où ses ressources naturelles coutaient cher à l’international. Maintenant, c’est difficile d’adopter ce système. »
En clair, le professeur Nubukpo dans ses sorties médiatiques ne ménage aucunement les pouvoirs publics sur la façon dont ils gèrent le pays. Il l’a également fait comprendre lors des Journées Portes Ouvertes organisées il y a quelques mois par le Bureau-Togo de la Banque Mondiale à son nouveau siège dans la cité OUA à Lomé. Il a formulé des critiques très acerbes à l’égard du gouvernement quand certains financements des bailleurs ne sont pas absorbés notamment dans le secteur de la santé où gît d’énormes problèmes et où la population a du mal à accéder aux soins de santé primaires.
Bref ses prises de position ont toujours été appréciées par son auditoire. En témoigne les ovations nourries dont il a été l’objet après son intervention lors de la conférence publique ayant sanctionné ces Journées Portes Ouvertes.
Depuis vendredi 11 Octobre, Kako Nubukpo a rejoint la liste des ministres du Togo. Mais la question qui taraude les esprits de ceux qui l’ont connu et aimé dans ses prises de position vis-à-vis du pouvoir de Lomé est de savoir s’il ira mettre son savoir-faire au profit de l’équipe gouvernementale pour changer en bien le cours des choses ou fera -t-il le jeu du pouvoir? Autrement dit va-t-il s’embourber dans les magouilles, la corruption, le mensonge et autres gangrènes qui font le nid du pouvoir ?
S’il y est allé pour mettre son savoir-faire au profit de l’équipe gouvernementale, il lui faudrait être sur le-qui-vive et savoir démissionner à temps lorsque ses propositions vont commencer par buter les caciques du régime. Il se serait sauver la tête et conserver l’honneur qu’il a auprès de la population et surtout auprès de ses étudiants. Mais prendre goût du pouvoir et avancer les yeux fermés lui serait fatal vu qu’il est relativement jeune (45 ans). Il doit avoir à l’esprit que le pouvoir en place use de ses ruses pour dénicher les talents qui le dérangent et les faire taire à jamais. Une vigilance s’impose donc.
Notons en rappel que Kako Nubukpo fut Conseiller économique de l’ancien Premier ministre, Gilbert Houngbo et dirigeait depuis 2 ans, le Centre autonome d’études et de renforcement des capacités pour le développement au Togo (CADERDT). Il fut le chef de service à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), avant de rejoindre le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.
Ses différents travaux portent sur l’efficacité des politiques macroéconomiques dans l’Espace l’UEMOA, en particulier la politique monétaire, le développement de la filière coton en Afrique, et, plus généralement, l’impact du risque et de l’incertitude sur les performances des économies africaines. Il est l’auteur de nombreux ouvrages économiques dont le plus récent est intitulé: ‘L’improvisation économique en Afrique de l’ouest’ sorti il y a près de deux ans à l’Institut français de Lomé.
Une autre nomination est celle de Christian Trimua
Ce professeur de Droit public aux Universités de Lomé s’est illustré en vedettes lors des dernières élections législatives. Des sorties médiatiques tous azimuts soit pour expliquer le mode scrutin, soit en débat politique. Depuis la nuit électorale le 25 Juillet jusqu’au sortir de l’équipe gouvernementale Ahoomey-Zunu II le 17 Septembre, près d’une dizaine de sorties médiatiques. Durant ces sorties, il a toujours déclaré lorsque la question lui est posée qu’il n’est pas intéressé par les portefeuilles ministériels.
Il a souvent soutenu la thèse selon laquelle le parti Union pour la République (UNIR) ayant gagné la majorité absolue des sièges de l’assemblée puisse gouverner seul et que l’opposition reste dans son rôle pour l’équilibre du jeu démocratique. Mais selon les indiscrétions, il lorgnait depuis belles lurettes le gouvernement. Et maintenant que l’opportunité est offerte, il s’y est jeté sans autre forme de procès, oubliant des propos tenus sur les antennes. Chrsitan Trimua est cité dans l’affaire des jeunes filles décapitées en cascade en début d’année 2012 dans les banlieues Ouest et Nord de Lomé. Il aurait même été entendu par les services judiciaires. Ou en est t on de cette poursuite ? Nul ne le sait avant sa nomination.
Vient enfin la nomination de Komi Assogba comme Secrétaire d’Etat chargé de l’Industrie auprès du ministre de l’Enseignement technique, de la Formation professionnelle et de l’Industrie. Lui, est sorti du néant puisque la population togolaise le connaît vaguement.
Curieusement le département de la santé qui connaît d’énormes problèmes est toujours oublié et n’a pas de titulaire. Il est demeuré rattaché » provisoirement à la Primature ». On doit s’attendre donc à une ou d’autres nominations dans les jours ou semaines à venir. Ce qui portera l’équipe gouvernementale à une trentaine voire plus de membres comme auparavant. Où est alors le changement clamé sur tous les toits. Où est alors la réduction des dépenses publiques?
Jean-Baptiste ATTISSO