Samedi, 16 Février, nous sommes accueilli au siège de l’ONG Initiatives des Jeunes pour Développement (IJD) par le maître des lieux. Posé, calme et connu comme un citoyen togolais préoccupé par la chose publique, il venait juste de procéder à la remise d’attestation à près de 150 étudiants formés dans divers domaines dont le management des collectivités locales. Pascal Edoh AGBOVE puisque c’est de lui qu’il s’agit est notre invité cette semaine. Expert Consultant en décentralisation et gouvernance locale, Directeur Exécutif de l’ONG Initiatives des Jeunes pour Développement (IJD) et Représentant Pays du Réseau Mondial de L’entraînement au Togo, avec lui, nous aborderons essentiellement la question des élections locales annoncées par le gouvernement lors de son conseil des ministres tenu à Tabligbo. Ceci afin de permettre la décentralisation. Lecture…
Bonjour Pascal Edoh AGBOVE
Pascal Edoh AGBOVE : Bonjour L’Indépendant Express
Depuis deux (02) ans, vous êtes très engagé pour accompagner le processus de décentralisation en cours dans notre pays je Togo. Nous voudrions en savoir plus sur ce nouveau concept de gouvernance. Que peut-on comprendre par la décentralisation ?
La décentralisation est un transfert de compétences de l’Etat vers des entités plus autonomes. Il s’agit pour l’État de confier à des collectivités territoriales, dans le cadre de la mise en œuvre de la politique de décentralisation, le soin de détenir et de gérer en ses lieux et place, des compétences initialement détenues et gérées par ses services publics centraux ou déconcentres, en vertu des attributions des Ministères dont ces services relèvent.
La décentralisation est différente de la déconcentration qui est un système d’administration par lequel l’autorité centrale délègue tout ou partie de ses pouvoirs et de ses fonctions à des représentants qu’elle nomme aux fonctions ainsi déléguées.
La décentralisation repose sur un principe démocratique en ce qu’elle permet aux populations organisées au sein d’une collectivité de gérer leurs affaires de façon autonome en tant que personne de droit public.
Il faut noter qu’il existe deux (2) types de décentralisation à savoir : la décentralisation Territoriales et la décentralisation technique ou fonctionnelle.
Selon vous, quels sont les enjeux de la décentralisation au Togo?
La décentralisation intervient dans un contexte où le système centralisé a quasiment échoué. Elle doit pouvoir corriger les insuffisances de ce système. Elle engage pour ce faire, des enjeux d’ordre politique, économique et socioculturels.
En ce qui concerne les enjeux politiques, il faut noter que l’instauration de la démocratie à la base est l’un des objectifs de la décentralisation. La démocratie locale implique la participation de tous à la gestion des affaires de la localité. Elle ne sera effective que lorsque certaines conditions sont remplies à savoir :
– les décisions concernant la localité ne viennent plus d’ailleurs, elles sont prises sur place par des représentants élus par leurs habitants de la localité;
– Il faut un programme de développement cohérent visant le bien être de la population ;
– Le verdict des urnes est vraiment pris en compte lors des élections.
La démocratie locale nécessite donc un changement de comportement et mentalité pour promouvoir le développement local.
Il y’a aussi des enjeux économiques du développement local:
Le développement local est une finalité de la décentralisation. Étant la finalité de la décentralisation, le développement local ne peut être réalisé que par la maîtrise de certains éléments en plus de ceux exigés pour la démocratie locale.
Il s’agit d’avoir : la capacité de générer des ressources financières et de les gérer convenablement ; la capacité de maîtriser le processus d’exécution des travaux; la capacité de maintenir en état les infrastructures créées. Il y a donc une impérieuse nécessité de créer et de renforcer au niveau des collectivités décentralisées, les capacités des ressources humaines qui interviennent à différents niveaux. Il faut noter qu’une décentralisation bien menée doit aboutir nécessairement à une autonomie administrative et financière réelle des collectivités locales. Les sujets de la décentralisation doivent être conscients de ces préoccupations et s’organiser en conséquence.
Enfin, il faut noter des enjeux socioculturels.
La mise en oeuvre de la décentralisation créera de nouveaux espaces de développement et d’émergence d’initiatives nouvelles. Ces initiatives, portées par des hommes et des femmes, doivent prendre en compte la diversité culturelle de ces espaces en vue de promouvoir une nouvelle citoyenneté. La décentralisation doit permettre également une exploitation des ressources intellectuelles et culturelles des territoires pour proposer des réponses adaptées aux problèmes des citoyens.
Parlant des élections locales, comment s’y prendre pour éviter des ratés dans l’organisation vis-à-vis des besoins de la population?
Il faut noter que c’est à partir des élections locales que les citoyens vont choisir librement leurs représentants locaux qui seront chargés de gérer des affaires locales c’est à dire s’occuper des questions de développement local dans les domaines économique, social et culturel.
Afin de réussir cette phase importante du processus de décentralisation, il faut que certaines conditions soient réunies: (1) Un minimum consensus entre les leaders politiques pour un scrutin inclusif, (2) la sensibilisation des citoyens candidats potentiels et ceux qui vont voter, (3) la mise en confiance des citoyens pour un processus électoral inclusif, transparent et crédible pour réduire les risques de contentieux post-électoraux.
Les élus étant dans la communauté, si leur élection est contestée, ils n’auront pas l’adhésion des citoyens de la communauté ainsi que le soutien de ces derniers aux programmes et projets de développement local. D’où l’impérieuse nécessité pour les formations politiques de savoir choisir leurs candidats à ces élections d’une part et la composition inclusive et le travail de confiance des institutions en charge de l’organisation du scrutin. Par dessus tout, il faut une forte implication et une participation active de tous les citoyens au processus d’organisation des élections locales.
En tant qu’Expert du domaine, pensez-vous que les populations pourront s’en sortir et faire leur auto-développement?
Je reste optimiste. Mais pour que cela réussite, il faut relever quelques défis :
(1) Appropriation et adhésion des populations à cette nouvelle approche de gouvernance du pays; (2) Elections locales crédibles; (3) Compétences en management des élus locaux pour assurer une administration efficiente; (4) Transfert effectif et suffisant des ressources de l’État aux Collectivités territoriales; (5) Capacité des élus locaux à mobiliser des ressources endogènes et exogènes pour la réalisation des projets de développement local ; (6) Implication des citoyens de la communauté dans les initiatives de développement local; (7) Faible influence des leaders des formations politiques dans la gestion des élus locaux; (8) Forte implication de la société civile dans la gouvernance locale; (9) capacités des citoyens à contrôler les actions des élus locaux; (10) Forte valorisation des potentialités locales pour la création de la richesse; etc.
En tant qu’organisation de la civile, que fait votre ONG-IJD pour accompagner l’État dans ce processus de décentralisation ?
Connaissant les enjeux de ce processus de décentralisation, nous avons compris qu’il fallait accompagner l’État dans cette notre noble mission de rendre effective la décentralisation. C’est ainsi que depuis juillet 2017, nous avons lancé un vaste programme de formation et de sensibilisation des citoyens sur ce nouveau concept de gouvernance de notre pays.
Nous faisons des sensibilisations dans les villages pour amener la base à comprendre les avantages et les contraintes liés à la décentralisation ; nous faisons à Lomé et à l’intérieur du pays trois (3) types de formation à savoir (1) le Management des Collectivités territoriales, (2) Management des projets et (3) Coaching en développement.
Ces formations visent à rendre disponibles des ressources humaines qualifiées capables de soutenir la gestion administrative des collectivités et la gestion des programmes/projets de développement local.
Nous avons déjà organisé des formations de Lomé jusqu’à Kara. Environ trois (300) personnes sont déjà formées et sont prêtes à aider l’État et les collectivités territoriales. Notre ONG Initiatives des Jeunes pour le Développement (IJD) compte intensifier ses actions à toutes les préfectures du pays en vue d’une meilleure appropriation des concepts de décentralisation, de gouvernance locale et de développement local par les populations à la base. Jusqu’ici, nous avons réalisé toutes ces actions sur nos fonds propres de l’ONG.
Nous avons besoin de l’accompagnement et des partenaires qui accompagnent ce processus. Nos concitoyens qui sont intéressés par nos actions sur le terrain peuvent nous soutenir. Ensemble nous allons relever les grands défis de développement de notre pays.
Pascal AGBOVE merci beaucoup.
C’est moi qui vous remercie, merci aussi à vos lecteurs.
Interview réalisée par Richard AZIAGUE