Première sortie médiatique de l’homme depuis qu’il a cessé d’être Premier ministre au Togo. Dans une interview accordée il y a deux semaines à nos confrères du site Afrik.com, l’ancien Premier ministre togolais, Gilbert Houngbo, n’est pas passé par quatre chemins. A la question de savoir s’il compte un jour s’engager à nouveau dans la vie politique au Togo, il a été clair, précis et sans ambages. « Non, c’est terminé », a-t-il répondu fermement. Voilà une réponse franche, directe et catégorique qui mérite de faire réfléchir plus d’un sur la difficulté qui réside dans le fait de collaborer avec le pouvoir de Lomé. Si Gilbert Houngbo, qui vantait encore il y a moins d’un an les mérites de Faure Gnassingbé, en vient à être dégouté à ce point de la politique au Togo, c’est dire à quel point il a été horrifié par les pratiques du pouvoir qu’il a servi quatre années durant, pratiques qui ont fini par avoir raison de lui-même. Comme quoi, au Togo, un bon technocrate n’est pas toujours un bon Premier ministre.
Les Togolais ne savaient pas ce qu’il était devenu depuis qu’il a été « renvoyé » de la primature en juillet 2012 au profit d’Anselme Séléagodji Ahoomey-Zunu. Beaucoup se demandaient s’il était toujours au pays en attente d’une nomination à un autre poste important ou à l’extérieur en vue d’aller monnayer son talent ailleurs. Eh bien, ils ont eu la réponse la semaine dernière.
Gilbert Fossoun Houngbo n’est plus au Togo. Depuis février dernier, le natif d’Agbandi (dans la préfecture de Blitta) a repris avec ses anciennes amours, le système des Nations Unies. Il a été nommé Directeur-adjoint de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Il y a un peu plus de deux semaines, il a été dépêché à Dhaka au Bengladesh pour aller s’enquérir de la situation sur le terrain après l’effondrement d’un immeuble de huit étages qui a tué plus de 1.000 ouvriers travaillant dans le secteur du textile. C’est d’ailleurs dans le cadre de cette mission à lui confiée par cette organisation onusienne qu’il a été interviewé par le site Afrik.com qui en a profité pour lui poser une ou deux questions sur son avenir politique au Togo.
A la question de savoir s’il compte un jour s’engager à nouveau dans la vie politique dans son pays, l’ancien chef du gouvernement a été on ne plus clair : « Non, c’est terminé », a-t-il répondu fermement et sèchement. Et pourquoi ?, lui a de nouveau demandé Afrik.com. « J’ai mes raisons », a indiqué Gilbert Fossoun Houngbo qui, décidément, a donné l’impression qu’il ne voulait pas trop s’attarder sur cette préoccupation.
Voilà qui vient démentir ceux qui pensent et disent que Gilbert Houngbo reviendra en politique à la faveur des prochaines élections législatives. En effet, nombreux sont ceux qui ont vu à travers la démission brusque et inattendue de l’ancien fonctionnaire du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en juillet dernier, la préparation d’un nouveau scénario politique à la togolaise. Pour eux, le départ de Houngbo de la primature ne signifiait pas la fin de sa carrière politique. C’est trop facile, se disaient-ils, estimant que ce dernier ne pourrait pas être remercié de cette manière après sa fidélité au régime de Lomé et tous les services rendus au pouvoir de Faure Gnassingbé pendant quatre années.
Le scénario consisterait donc, de l’avis de certains observateurs de la scène politique togolaise, à remplacer Gilbert Houngbo par quelqu’un d’autre en vue de la formation d’un nouveau gouvernement, ceci pour satisfaire les exigences des partenaires internationaux et de l’opposition. Le natif d’Agbandi serait donc mis en stand by en attendant de déposer sa candidature lors des prochaines élections législatives dans le compte du parti Union pour la République (UNIR). Il serait à coup sûr élu député de sa localité puis, par la suite, président de l’Assemblée nationale pour le compte de la législature 2013 – 2018.
Joli schéma que pourraient envisager Faure Gnassingbé et les siens pour manifester leur reconnaissance à celui qu’ils ont débauché du système des Nations Unies et qui, d’une manière ou d’une autre, leur a servi d’interlocuteur de poids auprès des partenaires internationaux grâce à son carnet d’adresse suffisamment garni. Seulement, c’est sans compter avec les calculs politiques et l’imprévisibilité du système RPT/UNIR. Un système qui a parfois l’habitude de se débarrasser de ses plus fidèles serviteurs après s’être servi d’eux à suffisance.
Gilbert Houngbo : dégoût pour la politique au Togo ?
La réponse donnée à nos confrères d’Afrik.com viendrait d’une autre personnalité togolaise qu’elle n’étonnerait personne. Mais venant de celui qui était le patron de la primature seulement l’année dernière et qui a servi Faure quatre années durant, il y a de quoi être stupéfait. Mieux, il y a de quoi penser que derrière ce refus catégorique de Houngbo de revenir en politique dans son pays, se cachent des motifs qu’il ne voudrait pas évoqués et qu’il a certainement résumé à sa réponse : « j’ai mes raisons ».
En effet, Gilbert Houngbo a été nommé en septembre 2005 alors qu’il assurait les fonctions de Directeur du bureau Afrique du PNUD depuis le 29 décembre 2005. Directeur de cabinet du PNUD à New York (USA) en 2003, M. Houngbo a été membre de l’équipe de gestion stratégique et Directeur administratif et financier de cette organisation onusienne. En 2006, il a occupé les fonctions de Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique à Addis-Abéba (Ethiopie). Le successeur de Komlan Mally avait également une considérable exprience dans le secteur privé pour avoir travaillé pour la société Price Waterhouse au Canada où il a vécu. Nanti d’une Maîtrise en gestion des entreprises de l’Université de Lomé, d’une licence et d’un DESS en comptabilité et finance de l’Université de Quebec, Gilbert Houngbo est membre de l’Institut canadien des comptables certifiés. Ceux qui avaient connu le nouveau Premier ministre d’alors disaient de lui qu’il est un vrai technocrate, un homme averti qui allie une philosophie du travail lucidement centrée sur les résultats à une forte intégrité personnelle ainsi qu’un respect à l’égard de chaque individu et une parfaite maîtrise des missions qui lui sont confiées.
En somme, Gilbert Houngbo n’avait aucune coloration politique a sa nomination et en était d’ailleurs très fier. Il se plaisait à dire qu’il est un Premier ministre neutre nommé pour travailler dans l’intérêt du Togo et de tous les Togolais. Mais c’est sans compter avec les métamorphoses qu’on subi lorsqu’on collabore avec le pouvoir de Lomé. Au bout de quelques mois, le « technocrate chevronné » va se muer en fin politicien n’hésitant pas à saluer les œuvres ainsi que « la politique de paix, de dialogue et de réconciliation » de son mentor, le chef de l’Etat. On le voyait à certaines rencontres purement politiques qui ne concernaient que le parti au pouvoir. Mieux, en Avril 2012, alors que le nouveau parti UNIR venait de naître, Gilbert Houngbo a été l’un des premiers à proclamer solennellement son adhésion à cette nouvelle formation politique du pouvoir, invitant les Togolais à y adhérer massivement au nom de la vision du président de la République pour le Togo, vision dans laquelle il se retrouve.
Comment expliquer alors ce brusque dégoût qu’il ressent pour la politique alors qu’il a adhéré à UNIR il y a à peine un an ? Comment expliquer qu’il ne veuille plus jamais s’engager dans la politique au Togo alors qu’il a passé quatre années à saluer la politique de Faure Gnassingbé ? Ce désintérêt et ce dégoût ne peuvent s’expliquer que par une chose : les difficultés qu’il a connues à son ancien poste.
En effet, bien que décidé à sa nomination à donner une nouvelle image à son pays, l’ancien directeur Afrique du PNUD n’a jamais réussi son pari. La preuve, les quatre ans qu’il a passé à la primature ne lui ont pas permis de changer grand’ chose surtout sur le plan économique et social. Des mois après son départ, le pays en est encore à se chercher dans ces deux secteurs. La situation économique n’est pas des plus reluisantes. La situation sociale encore moins. Et que dire du contexte politique tendu dans lequel se préparent les prochaines élections législatives ?
Les puissants barons corrompus du régime, le comportement des supers ministres amis du chef de l’Etat qui n’aiment pas rendre compte au Premier ministre, l’obligation de travailler toujours pieds et mains liés, sans marge de manœuvre, les humiliations subies par ci et par là, ajoutés à la manière dont il a été contraint à la démission en juillet dernier sont autant de choses qui l’on dégoûté et lui ont fait changer d’opinion.
Etre « technocrate chevronné » ne suffit pas…
La nomination de Gilbert Houngbo en septembre 2008 comme Premier ministre avait rappelé celle d’un autre Togolais, Eugène Koffi Adoboli. Ancien haut fonctionnaire du PNUD lui aussi, il a été nommé chef du gouvernement en mai 1999. Le Togo était alors sous le règne de Gnassingbé père. Seulement quinze mois après cette nomination, M. Adoboli a été contraint à la démission en août 2000 pour insuffisance de résultats par l’Assemblé nationale RPT dirigée alors par Agbéyomé Kodjo, aujourd’hui dans l’opposition.
L’arrivée d’Eugène Koffi Adoboli à la tête du gouvernement au lendemain des élections présidentielles très contestées de 1998 et des législatives bidons de 1999 (boycottées par l’opposition) était alors présentée par le régime Eyadéma comme le moyen le plus sûr de faire revenir les partenaires au développement du Togo notamment l’Union Européenne (UE) qui avait rompu ses relations avec le pays. Mais quinze mois après, Eyadéma et les siens ont estimé qu’Adoboli n’a pas satisfait à leurs attentes et se sont débarrassés de lui.
Comme Houngbo, Adoboli a connu une carrière réussie dans le système des Nations Unies, mais n’a jamais réussi à s’imposer au Togo. Il en est de même pour les multiples Premiers ministres nommés par Faure Gnassingbé, des PM qui sont intellectuellement aussi bons les uns que les autres : Edem Kodjo, Komlan Mally, Yawovi Agboyibor. Ils ont tous échoué. Pas parce qu’ils n’ont pas la compétence pour réussir leur mission, mais parce qu’ils ont eu la malchance de travailler, non avec un régime, mais avec un système complètement verrouillé, suffisamment pourri et vieux de presque 50 ans, qui leur met du bâton dans les roues. Et si de tels ténors ont connu des échecs, ce n’est pas Ahoomey-Zunu qui réussira. Si tant est que ces échecs sont déjà patents et très retentissants.
Somme toute, Gilbert Houngbo l’a compris. En refusant de revenir s’engager en politique au Togo, il s’est sûrement évité de nouvelles humiliations. Technocrate qu’il est, il vaut mieux pour lui évoluer dans le système des Nations Unies que de s’engager dans la politique au Togo et pire encore aux côtés de ce régime. Un régime qui n’offre aucun avenir à ceux qui contribuent à son maintien.
Rodolph TOMEGAH