Les périodes électorales riment souvent avec la violence au Togo. Rien qu’à se référer à l’histoire électorale et aux manifestations publiques pour s’en enquérir. Certaines sont parfois sanglantes et d’autres meurtrières. A cette veille d’un scrutin qui s’annonce tout feu, tout flamme dans une situation sociopolitique délétère, il urge d’appeler les uns et les autres à la retenue, à l’acceptation de l’autre, bref à la tolérance. Ce travail qui incombe en premier lieu aux responsables de partis politiques envers leurs militants, devrait aussi retenir l’attention des organisations de la société civile et des médias en particuliers.
Un regard sur les élections présidentielles de 1993, 1998, 2003 et surtout 2005 laisse croire que le Togo est un pays à démocratie fragile. La preuve de cette fragilité a été donnée par les événements sanglants qui ont émaillé le scrutin présidentiel d’Avril 2005 où un rapport onusien fait état de près de mille morts.
Mais lorsque beaucoup de Togolais croyaient être à l’abri des violences à caractère politique au Togo surtout avec la déclaration du Chef de l’Etat Faure Gnassingbé en 2006 à Atakpamé qui disait «plus jamais çà sur la terre de nos aïeux », ce sont les miliciens de sa propre formation politique Union pour la république (UNIR) qui apportent le démenti.
Lors de la marche organisée le 15 Septembre dernier par le Front républicain pour l’alternance et le changement (FRAC) appuyé par le Collectif Sauvons le Togo (CST) dans le quartier Adéwui à Lomé, l’intolérance a repris tous ses droits.
Des miliciens de UNIR descendus avec armes blanches (machettes, gourdins cloutés, haches, coupe-coupe et consorts) s’en sont violemment pris aux manifestants. Ils ont fendillé la tête à certains manifestants, coupant les oreilles ou autres organes aux autres. N’eût été la sagesse des responsables de l’ANC et du CST, la riposte des manifestants qui étaient pris au dépourvu, allait conduire le pays à une guerre civile. Les indicateurs ont viré au rouge et les images de ces miliciens qui ont le tour du monde, ont poussé les experts de la CEDEAO chargés d’alerte précoce et de la prévention des conflits ont faire le déplacement de Lomé pour rencontrer les décideurs politiques et organisateurs de la société civile à la retenue.
De septembre 2012 à Juillet 2013, il n’y a eu pas à proprement parler une baisse sensible de la tension, au contraire, le risque d’une guerre civile reste omniprésent dans les esprits. Face à ce danger, une sensibilisation à la tolérance et à la paix s’impose aux acteurs étatiques et non étatiques et à la population dans son ensemble.
Un travail d’éducation à la tolérance
Nombreuses sont ces organisations de la société civile qui appellent les uns et les autres à cultiver l’esprit de tolérance et de paix. Une conférence organisée la semaine dernière par l’ONG SADD (Solidarité Action pour la démocratie et le développement), le GRAD, la Commission Justice et paix de l’Eglise catholique, appelle le Président de la République, dans un souci d’apaisement et de consensus à : suspendre le processus électoral et organiser un dialogue franc, inclusif et sincère avec les parties prenantes sous l’égide d’un médiateur national ou international ; appelle la communauté internationale notamment, les Nations
Unies, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union Africaine (UA), l’Union Européenne (UE) et les différentes instances diplomatiques présentes au Togo à : œuvrer dans le sens d’une élection transparente et apaisée basée sur un accord politique consensuel ; exhorte la population à : privilégier l’esprit de tolérance, de pardon et de non violence pour éviter d’exacerber la tension politique que connaît le Togo.
Avant toutes ces entités de la société civile, l’Association togolaise pour la défense et la promotion des droits de l’homme (ATDPDH) a devancé les événements par le lancement en Juin 2011 d’un projet de promotion de la culture de la paix par l’éducation à la tolérance.. Les activités de cette association sont en cours mais ne suffisent pas à faire changer les comportements des uns et des autres. D’autres organisations telles que le Réseau africain des journalistes sur la sécurité humaine et la paix (RAJOSEP) n’ont cessé d’interpeller les gouvernants afin qu’ils créent les conditions de paix et d’acceptation mutuelle au Togo. Les gouvernants ont l’obligation de préserver l’ordre public qui est caractérisé par l’égalité d’accès aux avantages sociaux, aux activités publiques et aux possibilités éducatives et économiques pour tous les groupes raciaux, ethniques, religieux; pour les hommes et les femmes, les jeunes et les vieux ; pour toutes les classes sociales etc. C’est en ce faisant que la tolérance sera une réalité dans le pays. Les Togolais dans leur ensemble doivent œuvrer dans ce sens pour « rendre la paix possible », pour parler comme Kofi Annan, l’ancien secrétaire Général des Nations Unies.
Une pédagogie sur l’intolérance
Les symptômes de l’intolérance sont palpables. Un appel à une éducation sur les signes peine de publier une liste non exhaustive de ces signes ou comportements qui sont préjudiciables au bon vivre communautaire. Il s’agit de la moquerie, les préjugés, les stéréotypes, la désignation du bouc émissaire, la discrimination, l’ostracisme, les brimades, la profanation, la dégradation, l’expulsion, l’exclusion, la ségrégation, la répression, la destruction, le sexisme, l’ethnocentrisme, le nationalisme, la xénophobie, l’exploitation etc.
Devant ce constat, il est plus que nécessaire de lutter contre l’intolérance. Et par quels moyens procéder? Plusieurs moyens sont à explorer à savoir la nécessité des lois en la matière, l’éducation, l’accès à l’information, la prise de conscience individuelle, des solutions locales et bien d’autres.
L’Etat a la responsabilité de renforcer la législation relative aux droits de l’homme, d’interdire et de punir les crimes motivés par la haine ainsi que la discrimination à l’encontre des minorités, qu’ils soient commis par ses propres agents, des organisations privées ou des individus. Il doit garantir un accès équitable aux tribunaux et aux organismes de défense des droits de l’homme ou de médiation afin que les citoyens ne se fassent pas justice eux-mêmes et ne recourent pas à la violence pour régler leurs différends.
Les lois sont nécessaires mais insuffisantes quand il s’agit de contrecarrer l’intolérance dans les attitudes individuelles. L’intolérance a souvent pour causes l’ignorance et la peur : peur de l’inconnu, des autres cultures, nations et religions. C’est pourquoi, il faut recourir aussi à l’éducation qui est processus qui se prolonge toute la vie ; il ne commence ni ne s’achève avec l’école. Les tentatives d’inculquer la tolérance au moyen de l’éducation ne réussiront que si elles touchent tous les âges et partout : à la maison, à l’école, sur les lieux de travail, dans les formations juridiques et celles dispensées aux personnes chargées de faire respecter la loi.
L’intolérance est extrêmement dangereuse quand elle est exploitée pour servir les ambitions politiques et territoriales d’un individu ou groupe d’individus. Les incitateurs à la haine commencent souvent par identifier le seuil de tolérance de l’opinion avant de développer des arguments fallacieux, de jouer avec les statistiques et de manipuler le public en s’appuyant sur de fausses informations et des préjugés. Il revient donc à la population d’être aux aguets et d’œuvrer pour la liberté de presse et son pluralisme.
L’intolérance d’une société est la somme de l’intolérance de ses membres. Aussi chacun est-il convié à combattre l’intolérance par une prise de conscience au niveau personnel et local.
Point n’est besoin d’attendre les gouvernements ou des institutions pour qu’ils agissent seuls sur le chantier de la lutte contre l’intolérance. Les Togolais, quels qu’ils soient et où qu’ils soient, sont conviés à être partie prenantes à l’éducation à la tolérance. Le pays en a besoin pour l’encrage de sa démocratie.
Jean-Baptiste ATTISSO