« Dans l’armée, on est payé pour exécuter les ordres et non pour réfléchir », dit-on souvent. Pourtant, même si les militaires sont obligés de se soumettre aux ordres de leurs supérieurs, compte tenu du rigoureux respect de la hiérarchie qu’impose leur fonction, ils sont avant tout des citoyens. A ce titre, ils disposent, tout comme les civils, de certains droits. Il est à remarquer que les forces armées africaines se livrent le plus souvent à des exactions graves. Le cas de beaucoup de pays et plus précisément celui du Togo en 2005 est encore présent dans les esprits. Et cela pousse à se poser des questions sur le véritable rôle des forces armées dans un pays. Quels sont les droits des hommes en treillis ? Quelles peuvent être les limites de l’exercice de ces droits étendus à l’armée qui, par définition, se caractérise par son unité, sa cohésion, sa discipline, son devoir de réserve et de neutralité propres à la condition militaire ? Quelles est la place qui revient aux militaires dans un Etat démocratique ? L’ « Indépendant Express » vous propose de le découvrir à travers ce dossier.
Qu’appelle-t-on droits civils et politiques ?
Les droits civils et politiques sont les premiers droits de la personne humaine. Ce sont les droits qui protègent la personne humaine et ses biens et lui garantissent l’exercice de la citoyenneté. Ces droits consacrent d’une part les droits de l’individu face à l’Etat (respect de la vie privée, de la vie familiale, de la propriété) et d’autre part assurent sa capacité à participer à la vie collective (par le droit de vote et la jouissance des libertés fondamentales). Ces droits sont affirmés dans plusieurs instruments juridiques internationaux dont les plus importants sont la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966. Naturellement, ces droits, dits universels, s’appliquent à toutes les personnes quelles qu’elles soient. Cependant, appliquées aux militaires, ils comportent des restrictions notamment en ce qui concerne la liberté d’expression et de réunion, les droits politiques (capacités d’être électeur ou candidat), le droit d’association, le droit de créer des instances de concertation.
A ce propos, l’examen des règles dans la plupart des Etats modernes, qu’ils soient européens ou africains, fait apparaitre que ces droits sont partout similaires, parce que s’exerçant dans les limites fixées par la loi et/ou les règlements. L’expression collective de leurs intérêts professionnels s’exerçant par contre selon des modalités différentes. Mais, qu’en est-il de nos Etats confrontés depuis plus de deux décennies à la vague de démocratisation. Et comment concevoir la place et le rôle des Forces Armées dans un Etat démocratique ?
Place et rôle des forces armées dans un Etat démocratique
Durant de longues années, les régimes africains au pouvoir ont été caractérisés pour l’essentiel par le monolithisme et le non respect des droits et libertés des citoyens au nom de la sauvegarde de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale.
Dans certains pays et pour des raisons historiques, les militaires étaient exclus du droit de vote sous prétexte qu’ils ne devaient pas prendre partis dans les luttes politiques. En France, puissance colonisatrice de la plupart des pays de l’Afrique occidentale, jusqu’en 1945, les militaires n’avaient pas le droit de vote. C’est d’ailleurs de là qu’est venue l’expression mythique « la grande muette ». Des raisons ethniques étaient aussi souvent évoquées : il fallait éviter d’engendrer au sein de la grande muette des luttes tribales et régionales.
Des raisons politiques étaient avancées dans d’autres pays. Le vote du soldat était considéré comme antirépublicain, dangereux à la limite.
Ailleurs, dans les pays à tendance révolutionnaire, le vote était admis pour appuyer le régime en place et asseoir sa base populaire.
Depuis quelques années, le continent africain vit d’intenses moments de revendications démocratiques et de transition politique. Les forces armées sont parfois considérées comme conservatrices voire réactionnaires ou pire, comme des instruments anti-démocratiques servant la cause de la dictature. Fondée sur la hiérarchie et la discipline, l’institution militaire doit, à fortiori, se préparer à la guerre. Contrairement à cela, la démocratie a priori réfractaire aux actions belliqueuses, promeut le respect de l’égalité et la liberté individuelle. Pour quoi et comment l’armée et la démocratie peuvent et doivent vivre ensemble ? C’est l’une des questions fondamentales que se posent de nombreuses démocraties aujourd’hui. Il y a donc visiblement tout un travail de reconstruction de la confiance en l’institution militaire qui doit accompagner celui de la réorganisation de l’armée sous la loi et la démocratie.
Les forces armées ont dans ce contexte à accomplir des missions complexes de défense de l’intégrité territoriales et de sauvegarde de la sécurité des personnes et des biens. Ces missions doivent être accomplies dans un souci à la fois d’efficacité et de légitimité, puisque devant se dérouler dans le cadre d’un Etat de droit. Le but étant d’améliorer les rapports entre les hommes en uniforme et la société civile.
La consolidation du processus démocratique passe nécessairement par la bonne santé du couple armée-politique. Cette bonne santé est le reflet de l’enracinement du principe de la neutralité de l’armée, de sa subordination au pouvoir politique civil avec des droits reconnus qui garantissent sa pleine participation à l’exercice de la citoyenneté.
Cas des forces armées du Mali (avant le coup d’Etat de 2012)
Au Mali (avant le coup d’Etat qui a emporté le pouvoir d’Amadou Toumani Traoré) comme dans toute jeune démocratie, le respect des droits des citoyens et des lois de la république ne peut pleinement se réaliser que grâce à un contrôle redéfini des forces armées et de sécurité, dans le but de les intégrer davantage dans la construction nationale. Cette œuvre prend en compte notamment les rapports fonctionnels entre les forces armées et les différentes composantes de la société civiles et du pouvoir politique.
Dans bon nombre de pays, beaucoup d’expériences démocratiques ont tourné court parce que les rapports entre autorités politiques, civiles et militaires n’avaient pas été harmonisés sur la base de principes clairement définis et bien compris de tous.
Au Mali, cette harmonisation était d’autant plus nécessaire que le pays se trouvait dans la phase de consolidation de la culture et des institutions démocratiques.
Il s’agissait d’engager des mutations radicales et profondes au sein des forces armées afin que tous ses personnels soient convaincus de l’idée qu’ils sont exclusivement au service du peuple, de sa loi fondamentale et des institutions.
Pour y parvenir, les forces armées ont été appelées à accompagner le pouvoir politique dans l’enracinement de la démocratie. Les personnels militaires devraient comprendre qu’ils étaient subordonnés au pouvoir politique à qui ils devaient obéissant. Cette responsabilité qui leur incombe est consacrée par la mise en place d’un Code de la fonction militaire. Ce Code, inspiré du chapitre I de la loi portant statut général des militaires, définit les droits politiques et civils des membres du personnel des Forces armées.
Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l’exercice de certains d’entre eux est interdit ou restreint. L’usage de moyens de communication et d’information, quels qu’ils soient, peut être restreint ou interdit pour assurer la protection des militaires en opération, l’exécution de leur mission ou la sécurité des activités militaires.
Les opinions ou croyances philosophiques, religieuses ou politiques sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. Cette règle ne fait pas obstacle au libre exercice du culte dans les enceintes militaires.
Les militaires en activité doivent obtenir l’autorisation du ministre chargé des armées lorsqu’ils désirent évoquer publiquement des questions politiques en mettant en cause une puissance étrangère ou une organisation internationale.
L’introduction dans les enceintes, établissements militaires de toute publication, quelle que soit sa forme, pouvant nuire au moral ou à la discipline, est interdite dans les conditions fixées par le règlement de discipline générale dans les armées.
Il est interdit aux militaires en activités d’adhérer à des groupements ou associations à caractère politique et de présenter leurs candidatures aux élections, qu’elles soient communales, législatives ou présidentielles. Ils demeurent électeurs toutefois.
Pour militer dans les partis de leur choix ou pour présenter une candidature à l’une des élections susmentionnées, les militaires sont tenus de rendre au préalable leur démission, au moins six mois avant la date limite de dépôt des candidatures.
L’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l’adhésion des militaires en activité à des groupements professionnels à caractère syndical sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire.
Il appartient au chef, à tous les échelons, de veiller aux intérêts de ses subordonnés et de rendre compte, par la voix hiérarchique, de tout problème à caractère général qui parviendrait à sa connaissance.
Les militaires peuvent adhérer librement aux groupements non visés sous réserve d’en rendre compte à l’autorité militaire des fonctions de responsabilité qu’ils y exercent. Le ministre peut leur imposer d’abandonner lesdites fonctions et, le cas échéant, de démissionner du groupement.
L’exercice du droit de grève est incompatible avec l’état militaire. L’emploi est à la disposition de l’Etat. A ce titre, les militaires en position d’activité restent de jour comme de nuit à la disposition du service. Ils peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu. Les militaires ont droit à des permissions, avec solde, dont la durée et les modalités sont fixées par le règlement de discipline générale dans les armées. Lorsque les circonstances l’exigent, l’autorité militaire peut suspendre ce droit et rappeler immédiatement les militaires en permission.
Les militaires peuvent librement contracter mariage. Il doivent cependant obtenir pour cela l’autorisation préalable du ministre chargé des Armées si le futur conjoint est de nationalité étrangère et celle des chefs d’Etat-major et directeurs de services pour les autres cas.
Perspectives pour un Code de conduite des forces armées en Afrique
Le Code de conduite des forces armées en Afrique a été élaboré par le Centre Régional des Nations Unies pour la Paix et le Désarment en Afrique (UNREC). Il est évident pour le continent africain qui fait son apprentissage de la démocratie, que forces armées et société civile aient la même vision : avènement d’un Etat de droit et de démocratie pluraliste, préservation et renforcement des acquis démocratiques, défense de la forme républicaine et de la laïcité de l’Etat. Il s’inscrit dans la mise en œuvre du programme de promotion des relations civils-militaires en Afrique, développé par l’UNREC. L’objectif recherché est de doter les pays d’un texte juridique aux dimensions sous-régionales susceptible de renforcer le sens de responsabilité des forces armées dans un contexte démocratique et d’aider à l’établissement des relations de confiance mutuelle et de respect réciproque entre militaires et civils.
Des pays européens comme la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni constituent un bel exemple d’harmonisation des droits. Les militaires jouissent, comme n’importe quel citoyen, des droits politiques, des droits d’expression et de réunion, mais ils doivent tenir compte de leur condition pour les exercer.
Le code se veut être un condensé des cadres normatifs pertinents en matière de respect des droits de l’Homme, des principes démocratiques et de définition du rôle et des fonctions des forces armées. La substance de la version préliminaire telle que conclue lors de la réunion de la Commission de sécurité et de défense de Ouagadougou (Burkina Faso) en 2006 se résume ainsi :
Les forces armées sont à la disposition de l’autorité politique constitutionnellement et démocratiquement élue. Les autorités et les groupes politiques doivent se garder d’interférer dans les opérations des forces armées comme d’y étendre leur politique partisane. Le personnel des forces armées doit observer une stricte neutralité vis-à-vis des questions politiques elles sont au service de la Nation et des personnes. Au-delà de leur formation professionnelle, chaque membre des forces armées doit recevoir une formation appropriée en rapport avec son grade, en matière de droit constitutionnel, de droits humains, de droit international humanitaire, afin d’accroitre en lui ou en elle la capacité de faire face aux défis et de s’adapter aux menaces diverses.
Toute personne a le droit et le devoir de dénoncer et de résister à toute violation de ses droits légaux et constitutionnels. De telles actions ne doivent pas être considérées comme contrevenant à la loi.
Le personnel des forces armées doit, en tout temps, être discipliné et loyal envers l’Etat. Il doit obéissance et loyauté à l’autorité constitutionnelle démocratiquement élue en tout ce qu’elle commandera en conformité avec les lois et règlements de l’Etat.
Dans l’exercice de ses fonctions, le personnel des forces armées doit, dans les limites de la législation nationale, jouir des libertés et droits fondamentaux tels qu’ils sont définis par la Constitution.
L’application rigoureuse des présentes dispositions est essentielle pour le maintien de la paix, de la stabilité et de la cohésion nationale au sein des Etats.
Rodolph TOMEGAH