Tombeau défoncé, cercueil violenté, dépouille mortelle tripotée, le grand sacrilège si l’éthique et la morale ont encore droit de cité, c’est l’héritage laissé par DJ Arafat à ses milliers de « Chinois », ses fans qui ont voulu s’assurer que le corps exposé et enfoui dans le sol était bien celui du « Yôrobô.»
On pouvait apercevoir donc dans cette scène le corps allongé de l’artiste réduit à la banalité, comme sa vie, l’homme, dit ont n’est rien d’autre que la série de ses actes. La toile s’est encore une fois embrasée, comme du vivant de l’artiste qui multipliait des scandales d’indécence, d’immoralité, d’irrespect, de transgression des mœurs… pour juste remplir son cahier de charge dénommé buzz. Et si c’était une mission, elle est bien accomplie pour Didier.
Le monde entier et des milliers de millions d’internautes ont été stupéfaits par ces scènes inédites qui se succèdent autour des obsèques de DJ Arafat en Côte d’Ivoire. Une veillée funéraire spectaculaire, un parterre d’icônes de la musique africaine, un bon cocktail d’hommes politiques ivoiriens, une ribambelle de stars, des milliers et des milliers de fans, et des millions d’internautes. A la suite, comme si cela ne suffisait pas, la profanation de la tombe et l’exhumation du corps de l’artiste.
L’analyse du autorisé, « méga-phénomène » Arafat rappelle dans l’histoire, des paradigmes sociologiques, géopolitiques, philosophiques, politiques et technologiques.
Sociologique, le phénomène DJ Arafat peut s’expliquer par l’explosion post mortem de la vie d’un homme qui, à lui tout seul, voudrait, dans une ambition fabuleuse, refaire le monde à sa propre manière, en défiant toutes les théories normatives. Comme le surhomme Zarathoustra de Friedrich Nietzsche, dans sa volonté de puissance, ou encore l’existentialiste de Jean-Paul Sartre, DJ Arafat ambitionnait d’être le plus puissant de l’histoire de l’humanité, à travers des comportements à sens interdit. Autorisé. Et comme le monde a été toujours à gauche, nourri de scandales et d’extraordinaires, il a réussi dans la défiance des règles à créer ce monde et à l’inculquer à des milliers d’individus. Né dans le scandale, vécu dans le scandale, mort et enterré dans le scandale, c’est normal que la contagion atteigne un niveau massif des hommes, qui, même s’ils ne connaissaient pas DJ Arafat de son vivant sont tombés amoureux, mieux, fanatiques de l’histoire d’un homme qui a forgé sa célébrité dans les bizarreries. Où qu’il se trouve, DJ Arafat n’aurait jamais regretté cette mort en raison de la suite logique qui l’a animée et qu’il aura souhaité.
Le seul regret sans doute pour lui, est qu’il n’ait pas eu le dont du hic et du nunc : Arriver à franchir facilement le va-et-vient entre la vie et la mort pour savourer les effets de son chef-d’œuvre, fut-il malséant et grossier et scandaleux.
La géopolitique s’est aussi invitée dans cette célébration légendaire de la mort et de l’enterrement de DJ Arafat. La nation Côte d’Ivoire s’est toujours battue pour se hisser au premier plan ; dans un domaine ou un autre. C’est vrai que le café et le cacao mettent ce pays sur l’orbite international des échanges commerciaux. Mais une polémique sur les simples cultures d’exportation ne peutt autant emballer et attirer les regards internationaux sur le pays d’Houphouët. C’est pourquoi, les autorités ivoiriennes ont fait de cet évènement du pain béni et hisser la Côte d’Ivoire au sommet de l’ « icônat », du « célébritariat.» La mobilisation de la République de la Côte d’Ivoire autour de cette mort devrait, si ce n’est pas véritablement le cas, ravir la vedette à la Nation Jamaïcaine de Bob Marley, l’Afrique du Sud de Lucky Dube, la France de Johnny Hallyday. La Côte d’Ivoire a désormais son Michael Jackson, légendairement parlant, a battu le record de la mort la plus célébrée de l’histoire récente de l’humanité. Cela vaut géopolitiquement pour la Côte d’Ivoire, la Nation qui a réussi à s’imposer dans l’affirmation de son rythme populaire.
Philosophiquement parlant, DJ Arafat semble être le symbole de la transgression des lois, le modèle anticonformiste, le prototype d’Antigone. Dans la tragédie de Sophocle, Antigone a décidé de braver l’interdiction émise par le roi Créon (leur oncle) d’accomplir les rites funéraires pour leur frère Polynice, tué par son autre frère Étéocle lors d’une bataille où chaque frère voulait la mort de l’autre pour devenir roi de Thèbes et où chacun d’eux perdit la vie. Même si Antigone méritait la mort, il a bravé l’interdiction. DJ Arafat a révolutionné les mœurs. Transgressé les lois : perpétuelles disputes avec sa génitrice, éternelles bagarres provoquées ou non avec son entourage, liberté de d’extravagance, de défis et de rupture de tabous, pour lui tout ce qui était tabou pour la société a été bravé. C’est la raison de l’adhésion de sa « Chine » populaire qui se baigne d’alcool, de drogue et de sexe pour animer les libertinages sans foi, ni loi, des frasques fondues dans des états d’ébriété et d’inconscience, d’insouciance, des névroses à violer les tombes et à faire déterrer des morts qui auront raison du Daïshikan, le Gourou de la République de fous qui a été lui-même le sujet d’expérience du laboratoire que lui-même a construit et équipé avant de mourir. (Lire Antigone de Sophocle).
Politiquement, la récupération, si elle n’a pas été exagérée, est flagrante. Voilà un artiste qui a connu des déboires consécutifs à ses attitudes hérétiques, qui a clashé tout le monde, fier de gouverner une république de débauchés, qui, après sa fracassante mort, a été érigé en héros national pour combler, si on ne se trompe, le grand fossé d’impopularité politique et d’ambitions mal léchées auxquelles on aspire. Assumer d’être le père de DJ Arafat, revient à comprendre chez le Ministre ivoirien de la Défense que ce ne sont pas les frasques de Didier qui comptent et qui devraient être prises en compte. C’est le niveau élevé de popularité qui puisse permettre d’obtenir l’aura nécessaire susceptible de gonfler le niveau de popularité du pouvoir. Tant pis pour le refus de port de casque, tant pis pour les tatouages agressifs de la peau, tant pis pour tout. Le politique ivoirien n’est visiblement attiré que par l’odeur de la charogne, DJ Arafat. Logique, la compétition électorale présidentielle en Côte d’Ivoire s’annonce dans les mois à venir. Il faut ratisser large. C’est politiquement correct.
La nouvelle technologie a naturellement influencé la portée exponentielle de la bourrasque entrainée par la mort de DJ Arafat. L’artiste, Didier est la 3ème personnalité la plus populaire d’Abidjan après Didier Drogba et Alpha Blondy avec plus de 3 millions d’internautes qui le suivent dans ses dérives populistes.
Sa renommée, sa célébrité, son influence, le relai de ses humeurs, impressions, état d’âme, ses folies, ses joies, ses peines, ses vengeances, ses clashes, ses attaques, ses exploits, ses qualités sont abondamment nourries au coefficient X par facebook, Whatsapp, et autres réseaux sociaux. Et justement, l’apologie des buzz, incarnée par ces réseaux sociaux l’a porté sur au pinacle pour en faire une légende qui règne au panthéon des gaffeurs de l’histoire contemporaine. Gaffeurs utiles, c’est selon. Va-t-on, faire comme DJ Arafat, pour épanouir, pour s’épanouir ? Les avis seront sans doute partagés et chacun saura tirer les marrons du feu de cette mort légendaire, utile sur deux pôles : pour éviter la contagion de la bêtise humaine maquillée en célébrité, alors que le talent dont regorge le DJ aurait pu être mieux valorisée pour encore mieux servir son royaume de « Chine » et mieux ses fans.
DJ Arafat, vivant aurait pu servir dans le long temps que mort aujourd’hui.
Même si sa mort, sa charogne, a attiré les opportunistes de tout acabit, notamment politiciens. Mais le chef de file de ces opportunistes, c’est lui-même, DJ Arafat. Il aura atteint son objectif, masochiste peut-être : Buzz jusqu’au fond de sa tombe.
Carlos KETOHOU Le 31/08/2019/
Dédicacée à Djabakadé Déyadé, Mon Professeur de Philosophie de la Classe de Terminale