C’est sans doute une grande victoire pour les défenseurs de la liberté de presse en général et pour la presse togolaise en particulier. Après les dénonciations, les Assemblées générales à répétition, la journée sans presse, la journée tout en rouge, les sit-in, les gaz lacrymogènes et la brutalité destructrice des forces de l’ordre, voici venu le bout du tunnel. Une victoire des hommes de médias sur les prédateurs et les assassins de la presse. Pour une de ses rares fois, la Cour constitutionnelle du Togo a dit le droit et s’est mise du côté de la justice. Elle a donné raison à la presse indépendante du Togo et foutu la honte au visage des députés et autres ministres qui voulaient museler la presse. Aboudou Assouma et les siens ont fait leur travail de façon juste. Mais attention à ne pas trop les couvrir d’éloges. Ils n’ont fait que leur devoir et feront mieux de répéter la même chose lors des prochaines élections.
Euphoriques, les hommes de médias togolais et les organisations locales de défense de la liberté de presse l’ont été mercredi 20 mars dernier. Il y a avait de quoi l’être. Après les dénonciations, les sit-in avec à la clé des blessés graves, ce fut la victoire. Une victoire qui mérite d’être célébrée tant elle a été obtenue de haute lutte.
En effet, la Cour constitutionnelle a tranché en leur faveur dans le bras de fer qui les opposait aux assassins et prédateurs de la liberté de presse. Ceux-là mêmes qui, en complicité avec la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), ont fait adopter en février, par des députés maîtrisant à peine le sujet, la nouvelle loi organique devant désormais régir la presse. Djimon Oré, Arthème Séléagodji Ahoomey-Zunu, Kokou Biossey Tozoun, Abass Bonfoh et les autres ennemis de la presse libre n’auront pas l’opportunité d’accomplir leur sale besogne.
La décision de la Cour constitutionnelle
D’après Aboudou Assouma et ses collègues :
Les articles 58, 60, cinquième et sixième tirets, 62, dernier tiret, 63, troisième et quatrième tirets, 64 et 67 de la loi organique adoptée le 19 février 2013, portant modification de la loi organique n°2009-029 du 22 décembre 2009 relative à la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, ne sont pas conformes à la Constitution.
Autopsie d’une décision
Dans sa décision, l’institution de M. Aboudou Assouma juge six articles anticonstitutionnels. Il s’agit essentiellement de ceux qui attribuent abusivement des pouvoirs juridictionnels à la HAAC notamment l’article 58, une partie de l’article 60, l’article 62 en son dernier point, une partie de l’article 63 et les articles 64 et 67.
A la lecture de ces articles modifiés par le gouvernement, introduits et votés par l’assemblée nationale, on comprend aisément que certaines dispositions hautement liberticides ne vont plus exister dans la loi organique.
Les dispositions jugées anticonstitutionnelles par la Cour constitutionnelle affectent automatiquement d’autres dispositions qui renvoient à ces articles. Il s’agit des articles 30, 31 et 57 qui font référence aux sanctions.
L’article 31 par exemple modifié dispose que « toute diffusion ou publication d’information appelant au tribalisme, au racisme, à la discrimination, à la violence, à la rébellion, à la haine, à la xénophobie et à l’intolérance liée notamment au genre et/ ou à la religion entraîne pour le média incriminé une suspension par la Haute Autorité de l’autorisation d’installation et d’exploitation ou du récépissé de parution conformément aux dispositions des articles 60, 62 et 63 de la présente loi ».
Cela revient à connaître celui qui apprécie la qualité de ces infractions, les membres de la HAAC pouvant arbitrairement, comme il est de coutume, incriminer sans aucune forme de procès. Ceci, en fonction des intérêts politiques et personnels qu’ils préservent et défendent en violation de l’article premier de cette même loi organique. La loi fondamentale doit donc prévaloir et la justice doit jouir de ses attributions constitutionnelles.
L’article 64, qui fait du Président de la HAAC un super homme, fait partie des dispositions anticonstitutionnelles selon la décision de la Cour. Selon cet article, « Le Président de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication peut ordonner à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets. Sa décision est immédiatement exécutoire. Il peut prendre d’office toute mesure conservatoire en cas d’extrême gravité ou de circonstances exceptionnelles ».
Plus qu’un abus, cet article révèle la volonté de puissance et le désir de vengeance d’un Président de la HAAC complexé, en manque de personnalité et en mal de sensation qui voudrait tout décider, à la fois et à tout moment en toute illégalité.
En définitive, la décision de la Cour constitutionnelle vient donc tout chambouler à propos de cette loi organique qui a besoin d’une nouvelle lecture. Une lecture qui permettrait également d’appliquer les dispositions de son article premier. Cette disposition présente la HAAC comme une institution indépendante vis-à-vis des autorités administratives, de tout pouvoir politique, de tout parti politique, de toute association et de tout groupe de pression.
Or, les membres du bureau actuel n’ont pas, pour la plupart, des compétences en matière de communication. Ils sont en majorité des représentants avérés de partis politiques en l’occurrence RPT/UNIR et UFC. Une autre anomalie qui mérite d’être définitivement résolue est de trancher l’épineuse question de la composition de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication dont la composition actuelle viole les textes et les attributions de la HAAC. Une autre préoccupation des professionnels des médias. La bataille se poursuit donc.
Attention à ne pas être trop élogieux envers la Cour constitutionnelle !!!
« Je voudrais dire merci a Aboudou Assouma et ses collègues pour la décision qu’ils ont prise en faveur de la liberté de presse au Togo. Ils ont prouvé qu’ils peuvent décider en toute indépendance et en toute liberté », lançait, décidément trop euphorique, Abass Kaboua sur Radio Légende FM jeudi dernier. Heureusement que Me Jil-Benoit Afangbédji a vite fait de rectifier le tire en précisant qu’il n’y a pas à remercier la Cour constitutionnelle car elle n’a fait qu’accomplir son devoir.
En effet, bien qu’ayant dit le droit, bien qu’ayant pris une décision favorable aux journalistes togolais et non aux ténors du pouvoir qui ont initié la loi liberticide, la Cour constitutionnelle ne mérite pas pour autant l’éloge que certains semblent lui faire. Et pour cause, ses décisions dans un passé lointain et récent ont prouvé qu’il est beaucoup plus au service d’un pouvoir et d’un clan qu’au service du peuple.
Passons sous silence les décisions iniques qu’elle a déjà prises au temps de l’ancien président du Togo, le Général Eyadéma, décisions qui ont contribué à cautionner les fraudes électorales répétées de Gnassingbé père et à le maintenir au pouvoir.
Passons également sous silence les errements de cette Cour qui a avalisé la prise de pouvoir illégal de Faure GNASSINGBE au lendemain de son intronisation par l’armée en 2005.
Passons également sous silence la caution qu’elle a apportée aux élections présidentielles fraudées de 2005 qui ont imposé, contre vents et marées, Faure Gnassingbé aux Togolais qui, en réalité, ne l’ont pas choisi. Focalisons-nous plutôt sur certaines décisions beaucoup plus récentes prises par Assouma et les siens en violation totale de la Constitution togolaise.
Le 14 novembre dernier, sur saisine du président de l’Assemblée nationale, la Cour Constitutionnelle a rendu un avis qui a maintenu en place les députés, alors que ceux-ci sont arrivés en fin de mandat. Ceci, par le jeu d’une lecture de l’article 52 qui, in fine, dispose que « Les membres de l’Assemblée nationale et du Sénat sortants, par fin de mandat ou dissolution, restent en fonction jusqu’à la prise de fonction effective de leurs successeurs ».
Une décision contestée par les juristes du Collectif Sauvons le Togo qui ont estimé pour leur part que cette décision ne saurait être prise au vu du contexte qui prévalait en ce moment.Selon eux, une lecture combinée des dispositions de l’article 52 alinéa 1 qui confine le mandat des députés à cinq ans, et de l’alinéa 2 qui fixe la tenue des élections dans les trente jours précédant l’expiration du mandat des députés, laisse transparaître que le texte visé par l’avis de la Cour Constitutionnelle « n’a pas pour finalité, d’une part, de permettre à un gouvernement qui, soit de mauvaise foi, soit du fait de son incompétence, n’a pas organisé les élections transparentes dans les délais constitutionnels impartis et d’autre part, d’obtenir la prorogation du mandat des députés sans aucune limite dans le temps ni dans les prérogatives d’une législature ainsi rallongée ». Mais rien n’y fit. La Cour a pris sa décision et c’est fait.
Novembre 2010, coup de tonnerre. La Cour constitutionnelle du Togo rend un arrêt remplaçant les députés dissidents de l’UFC par les candidats qui les ont directement suivis sur la liste présentée par le parti aux élections législatives d’octobre 2007. Ce qui avait suscité un tollé général.
Quelques mois plus tard, c’est la Cour de justice de la CEDEAO, saisie par l’ANC, qui désavoue la plus haute juridiction du Togo. Elle a estimé que le Gouvernement togolais n’a pas mis en œuvre la conséquence juridique de son arrêt du 07 octobre 2011 qui appelle à la réintégration des députés de l’ANC au Parlement togolais. Mais là aussi, ce qui est dit est dit. Condamnation et protestations n’ont rien donné. Les neufs députés n’ont pas été réintégrés jusqu’alors.
Un peu plus loin, en 2010, Aboudou Assouma et les siens ont choisi d’invalider la candidature de Kofi Yamgnane, empêchant ce dernier d’être candidat à la présidentielle de 2010. Cette décision politique inique commanditée par le pouvoir, n’avait d’autres buts que d’empêcher un candidat qui probablement, pourra sérieusement compromettre les chances du parti au pouvoir dans la partie septentrionale du pays.
Voilà autant d’exemples qui font dire à certains que la Cour Constitutionnelle togolaise ne dit pas souvent la Constitution, mais plutôt lui fait dire ce qu’elle n’a pas dit. Et pour d’autres, la Cour Constitutionnelle n’est qu’une chimère. Elle n’existe pas au Togo. Et même si elle existait, elle l’est pour la forme. Son fond est vide, vide comme un tonneau.
La décision prise par la Cour mercredi dernier constitue certes une victoire pour la presse. Mais elle ne doit pas faire perdre de vue les Togolais que cette institution reste sous les bottes du pouvoir et qu’il faut lutter pour son indépendance totale.
D’ailleurs, qui sait si cette décision ne lui a pas été dictée par le pouvoir, lui-même contraint de laisser tomber la loi liberticide à la suite de la pression exercée par les organisations nationales et internationales de presse ? Difficile de croire que l’équipe d’Aboudou Assouma a pris cette décision en toute liberté quand on sait qu’à 99,99%, ces avis favorisent toujours le pouvoir.
On se pose donc la question de savoir s’il faut faire confiance à la Cour constitutionnelle.
Rodolph TOMEGAH