C’est la salle de conférence de l’ENAM (Ecole nationale des Auxiliaires médicaux) qui a abrité le lancement du projet « SMS exchange : je m’engage » mené par l’ONG Alternative Leadership Group. Ce projet a pour but de lutter contre la corruption à travers un concept original. Signaler par sms ou par mail le montant de tout trafic de corruption qui est enregistré dans une base informatique pour être évalué à la fin de chaque période.
D’après le président de l ALG Togo M. André Kangni AFANOU, ce projet qui est à sa phase pilote consiste à impliquer les populations, surtout les jeunes à la lutte contre la corruption qui est un fléau national.
C’est une assistance riche de représentants des ambassades de France, des USA, de l’Allemagne, de l’Union Européenne et d’autres institutions nationales et internationales ainsi que des responsables du Ministère de l’Économie et des finances et de la cour des comptes qui ont suivi avec attention deux communications sur le sujet. : « la corruption : un frein au développement du Togo ? » développé par le Journaliste et défenseur des Droits de l’Homme, Carlos KETOHOU et « l’administration publique et les politiques de lutte contre la corruption au Togo » présenté par M. Eric KPADE, inspecteur des Douanes et vice-président de la Commission anti-corruption au Togo. Les deux experts ont reconnu l’existence de la corruption au Togo et ont proposé des solutions pour la combattre.
M. Mich Coker, attaché économique et commerciale à l’ambassade des USA au Togo, a indiqué que « ce projet est une étape très importante dans la lutte contre la corruption et sa réussite dépend de la participation de tous ».
Les organisateurs, autant que les communicateurs sont rassurés de la réussite et de la pérennité de ce projet et exhortent les partenaires à l’accompagner.
ALG est une organisation non gouvernementale créée en 2007,qui a pour objectif de mobiliser les jeunes leaders autour d’un travail de réflexion qui consistera à influer positivement sur leurs communautés et à y opérer des changements positifs.
Voici l’exposé de Carlos Komlanvi KETOHOU lors de la conférence
Chers invités
Partout dans le monde un phénomène ne cesse de prendre des proportions inquiétantes, une allure vertigineuse devenant une lourde menace pour la démocratie et la bonne gouvernance et sapant systématiquement l’économie de tous les Etat. Si elle n’est plus un tabou et si les médias en parlent de plus en plus, si l’Organisation des Nations Unies la présente comme une menace pour la sécurité et la stabilité des sociétés, et ont décidé de créer l’instrument adéquat qu’est la convention des nations Unies contre la corruption, cela ne signifie pas pour autant qu’elle recule. Bien au contraire, elle semble progresser plus vite que la dynamique qui vise à la réduire, voire à la neutraliser. Ce phénomène bien entendu se dénomme, la corruption. Elle est présente autant dans les pays du nord que du sud, elle se présente sous plusieurs facettes et développe plusieurs formes. La corruption est donc le thème qui nous rassemble aujourd’hui à Lomé, puisque le Togo n’est pas épargnée par ce fléau. Il est présent du sommet de l’Etat à la base : Administrations publiques, institutions de l’Etat, secteur privé, police, douane, armée, regroupements associatifs et organisations non gouvernementales, médias, et même jusque dans les familles.
Je n’ai aucunement la prétention de donner un cours magistral à ces illustres personnalités ici présentes qui en savent davantage sur la corruption, je m’en vais donc, permettez moi, au nom de l’ONG Alternative Leadership Group de vous exposer de façon assez schématique le thème qui m’est confié, La corruption, un frein au développement du Togo ?
Une interrogation qui trouve déjà sa réponse dans la question elle-même et qui m’oblige donc à schématise ma communication autour de la notion de corruption, ses diverses conséquences sur les plans économiques, politiques et sociaux au Togo et les stratégies de lutte efficace contre ce fléau au Togo. Nous aurons l’occasion donc, selon le programme de revenir dans les détails dans un débat où chacun de nous apportera sa contribution sur la question.
En effet, une route mal bitumée du fait de la corruption a des conséquences directes, non seulement sur l’Etat, mais aussi sur le citoyen qui paie doublement parce que obligé de contribuer en taxes et impôts à sa réparation, conséquences pour le transport et l’économie, conséquences humaines avec des risques d’accidents mortels…
La corruption dans le secteur éducatif par le détournement des fonds alloués au secteur entraîne indubitablement la formation au rabais ou l’absence de formation avec pour conséquences directes sur le développement des ressources humaines et par ricochet et le développement du pays
La Corruption dans le secteur de la santé avec la mauvaise gestion des ressources, des subventions, des dons a également conséquences individuelles et collectives sur les populations.
La corruption dans les institutions étatiques, au niveau du gouvernement, de l’assemblée nationale, de la présidence notamment et dans le secteur privé ralentit systématiquement le développement du pays. Elle sape le développement et les valeurs démocratiques, les valeurs éthiques et la justice et compromet le développement durable et l’Etat de droit. Mais avant d’exposer les acteurs de ce fléau, revenons sur la définition même de la corruption pour juste compléter celle présenter par les responsables de l’ALG et selon l’approche proposée par la convention des Nations Unies.
Définition de la corruption
La corruption est la perversion ou le détournement d’un processus ou d’une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa bienveillance. Elle conduit en général à l’enrichissement personnel du corrompu ou à l’enrichissement de l’organisation corruptrice (groupe mafieux, entreprise, club, etc.). C’est une pratique qui peut-être tenue pour illicite selon le domaine considéré (commerce, affaires, politique…). Elle peut concerner toute personne bénéficiant d’un pouvoir de décision, que ce soit une personnalité politique, un fonctionnaire, un cadre d’une entreprise privée, un médecin, un arbitre ou un sportif, un syndicaliste ou l’organisation à laquelle ils appartiennent.
A travers cette définition, il est indéniable de reconnaître que la corruption est un frein pour le développement de tous les pays, dont le Togo.
Exemples et conséquences de la corruption au Togo
En 2007, la gestion des inondations qui ont affecté le Togo a été émaillée de détournements avec en ligne de mire, le fonds d’entretien routier. Le Directeur général de cette institution étatique a été limogé, le FER dissout. Mais à ce jour, aucune sanction n’a été prise contre les auteurs de ces malversations. Plusieurs autres scandales financiers ont été signalés, mais restés impunis. Douanes, police, administration publique sont infectées par la corruption. Nous avons soulevé récemment les cas de corruption au niveau de Commission Vérité Justice et Réconciliation, au niveau de la société des postes du Togo, du côté de la création de la centrale électrique Contour Global, dans le domaine des phosphates et des industries extractives, au Ministère du développement à la base, au Port autonome de Lomé, au sein de l’armée, à la mairie, à la caisse nationale de sécurité sociale, à la Loterie nationale togolaise, à la Direction Générale des impôts, dans les ministères et même à la présidence de la République et dans les milieux politiques. Ces différents cas prennent plusieurs formes ; la corruption passive ou active, l’escroquerie, le dei de l’éthique, le népotisme, le pantouflage, les paradis fiscaux, la prise illégale de l’intérêt, le recel d’abus de biens sociaux, le trafic d’influence passif ou actif etc. tout ceci au mépris des règles de l’éthique et en absence d’un système réel national d’intégrité. Ceci affecte dangereusement la nation et son développement. Causes et conséquences qui sont préjudiciables à la bonne gouvernance dans un Etat.
Les Causes de la corruption ;
Elles sont multiples :
La déliquescence morale (perte des valeurs morales)
Le système économique qui encourage certaines pratiques (capitalisme, informalisation de l’économie et la négligence au sommet de l’application des textes et lois en vigueur.)
La faiblesse ou l’absence de volonté politique
L’ignorance : de nombreux citoyens ignorent leurs droits et sont victimes ou acteurs actifs ou passifs du phénomène avec l’insuffisance des actions de la société civile qui sont souvent muselés lorsqu’ils s’engagent dans ce combat.
Les acteurs de la lutte contre la Corruption
Transparency international, l’ONG de lutte contre la corruption sur le paln international a établit un système d’intégrité qui présente mieux ces acteurs. Il distingue :
A : l’exécutif et ses démembrements : gouvernements, commissions de lutte, inspections générales des finances ; Au Togo ils existent. Le vice président de la commission anti corruption est là pour vous dire si la commission vit encore. Il existe aussi la Cour des comptes créée depuis quatre qui n’a jamais produit de rapport, et l’Inspection général des Finances qui semble aussi n’exister que dans le décret. Récemment on a connu la création de l’office Togolais des recettes OTR qui devrait permettre de résorber la question de la dispersion des recettes de l’Etat. Bref, au Togo, nous avons comme le dirait Kant, les mains pures, mais nous n’avons pas de mains. Les lois et les institutions existent dans les textes mais l’applicabilité n’accompagne pas. Ce qui fait que le pays végète dans l’informel juridique et institutionnel.
B- Le législatif avec le vote du budget, la loi de règlement, les commissions d’investigations, les questions orales… encore faut-il que ce ne soit pas une chambre d’enregistrement. L’assemblée togolaise est-elle à la hauteur des débats sur le vote du budget, la question se pose.
C-la Justice : dire le droit et surtout réprimer les infractions et crimes ; encore, faut-il qu’elle soit spécialisée, intègre et indépendante ? La justice togolaise ne reflète pas la crédibilité optimale pour répondre à la lutte contre la corruption ;
D-Les médias : information, sensibilisation, éducation
E-Les OSC : sensibilisations, information, groupe de pression
F-Le secteur privé national : corrupteur et corrompu, a intérêt à la transparence et absence de corruption,
G ; les partenaires techniques et financiers internationaux : rôles de conseils, de pression et de coopération
Tout cela implique une réelle volonté politique, au sommet de l’Etat et une exemplarité de l’Etat sans demi-mesure. Catherine Dales, Ministre de l’Intérieur des pays bas disait en 1992 à propos je cite « le Gouvernement est intègre ou ne l’est pas. On ne peut pas être seulement un peu intègre ; Une administration s’effondre ou se maintient en fonction de l’intégrité du gouvernement ; Toute diminution de l’intégrité du gouvernement suppose que le gouvernement a perdu la confiance du public et sans la confiance du public, la démocratie ne peut pas fonctionner. Elle n’existe donc plus, c’est un tableau effrayant » fin de citation.
Réduire la corruption
Devant donc l’incapacité d’enrayer totalement la corruption qui comme vous le savez compromet le développement d’un pays, comment donc la réduire.
-Une volonté réelle des différents acteurs de combattre la corruption ;
-Adopter les instruments juridiques adéquats et les appliquer ; internaliser les instruments juridiques internationaux dans les textes nationaux
-Faire reculer l’impunité ;
-Continuer le travail de sensibilisation, en commençant par le bas-âge ;
-Dénoncer les cas de corruption et les traduire en justice
-Le poisson pourrit par la tête ; le sommet doit montrer l’exemple ;
-Créer des coalitions d’acteurs de lutte contre la corruption et instituer ce que le jargon appelle la BGF, la bonne gestion financière qui aide à identifier les pratiques de corruption et permet de les limiter par la discipline, les audits, la surveillance des domaines les plus vulnérables à la corruption, la force de dissuasion vis-à-vis des pressions etc.
Conclusion
La notion de bonne gestion financière est elle intégrée dans les institutions publiques et le secteur privé ? Y a-t-il une obligation légale pour les entreprises de rendre publics leurs bilans financiers ? le code pénal reconnaît t-il l’abus du bien social comme infraction ? Est-il fait obligation aux commissaires aux comptes de par la loi de signaler aux pouvoir publics les irrégularités dans les bilans financiers des entreprises et institutions dont ils ont la charge ? la pratique de l’audit externe de la gestion financière est-elle répandue ? Est-il fréquents que les banques qui appartiennent à l’Etat éprouvent des difficultés à récupérer des prêts octroyés à des entreprises victime de mauvaise gestion ? Est-ce que la fuite des capitaux, le blanchiment d’argent sale, l’évasion et la fraude fiscale sont identifiés et réprimés par la loi ? Autant de questionnement des principes de la bonne gestion financière qui nous conduisent à une interrogation drastique et sévère : faut-il criminaliser la corruption ? La question vaut son pesant d’or et ne pourrait trouver sa réponse que dans les débats qui vont suivre avec les éminentes personnalités ici présentes puisque dans l’absolu, la corruption est un frein au développement du Togo.
Mais avant, permettez-moi pour terminer de remercier les organisateurs de cette conférence-débat qui a le mérite, dan un pays ravagé par la corruption de toucher du doigt une question pertinente qui en appelle à la responsabilité de tous : des dirigeants et des différents acteurs.
Vivement que cette initiative soit soutenue par le gouvernement et les partenaires afin de faciliter l’émergence des coalition de lutte contre la corruption pour l’instauration d’un véritable Etat de droit fondé sur la bonne gouvernance et la transparence dans la gestion des affaires de l’Etat.
Je vous remercie.