La Constitution togolaise a bouclé dimanche dernier ses 20 ans. Si ce texte était destiné à régir le fonctionnement de toutes institutions du Togo, très vite, il est tombé aux mains des prédateurs qui l’ont dépouillé de sa substance en 2002. Depuis lors, le pays est entré dans une crise politique sans précédent. Cette crise a connu son paroxysme en 2005 à la suite du décès de Gnassingbé Eyadéma et surtout aux présidentielles d’Avril de cette même année. Aujourd’hui, les différentes composantes de la classe politique s’activent pour un retour à la version originelle de cette loi fondamentale. Mais le pouvoir RPT/UNIR et son allié l’Union des forces de changement n’ont pas la même vision et optent pour une révision qui soit postérieure à l’élection législative en vue.
Du 14 Octobre 1992 au 14 Octobre 2012, cela fait 20 ans jour pour jour que feu président Gnassingbé Eyadema a promulgué la Constitution de la quatrième république adoptée par référendum le 27 septembre 1992 à plus de 90 %. Très tôt, ce Chef d’Etat estimait que certaines dispositions de cette constitution ne lui étaient pas favorables. Il fallait tout mettre en œuvre pour se débarrasser des articles gênants. Des artifices étaient mis en branle. La première manœuvre était consécutive à l’élection législative de 1994. Comme cette Constitution prévoyait que le Premier ministre devrait être issu de la majorité parlementaire, Gnassingbé Eyadema a usé de la ruse avec la complicité d’un opportuniste nommé Edem Kodjo dont le parti n’avait que six députés à rallier le RPT, pour former cette majorité au détriment du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) qui avait obtenu 36 sièges. C’est ainsi qu’Edem Kodjo prit la primature. Comme si cela ne suffisait pas, le régime RPT a continué par débaucher certains députés de l’opposition pour avoir la majorité requise des 4 /5 pour modifier la Constitution qui limitait le mandat présidentiel à deux.
Durant cette législature, il a tout fait mais n’a pu atteindre ses objectifs. En 1999, le régime s’est entêté pour organiser les législatives qui étaient boycottées par l’opposition.
Le Togo sortit alors de ces élections avec un parlement monocolore RPT. Ce nouveau parlement avait donc les coudées franches pour agir. Le 31 décembre 2002, les dispositions constitutionnelles qui fâchent ont été purement et simplement mises à la touche : il s’agit entre autres de celle relative à la limitation du mandat présidentiel et du mode de scrutin relatif à l’élection du président de la République. Le parlement monocolore a sauté les verrous avec les 4/5 requis pour modifier la Constitution. Dorénavant, le président de la République est rééligible autant de fois qu’il le voudra et sera élu au scrutin uninominal à un tour. L’opposition crie haro. Depuis, le pays végète dans une crise politique. Même si elle n’est pas parfaite, l’opposition réclame le retour à cette Constitution.
Les pays africains et leur Constitution
La Constitution est par définition, la loi fondamentale d’un pays. C’est elle qui organise l’Etat, définit la répartition des pouvoirs et le mécanisme de leur dévolution. Elle est le socle sur lequel repose tout pays et en tant que tel, elle ne peut faire l’objet de modification que par référendum ou par consensus des acteurs politiques. Toute modification unilatérale d’un parti au pouvoir est une usurpation et une escroquerie. Malheureusement, c’est ce à quoi l’on assiste souvent dans les pays africains surtout d’expression française. Les chefs d’Etat en exercice, dans le souci de se pérenniser au pouvoir recourent à une telle option. Celle intervenue en Décembre 2002 au Togo est une escroquerie politique. Même si les 4/5 requis des députés prévus par la loi ont été atteints pour légaliser cette modification, il faudrait aussi que cette modification soit légitime. Aujourd’hui, face à la crispation de la vie politique, le régime est au pied du mur. Opérer les réformes constitutionnelles et institutionnelles avant les législatives dans le souci d’apaisement ou maintenir le bras le fer avec l’opposition et amener le pays vers le chaos. Le choix s’impose car la volonté du peuple matérialisée dans une Constitution se respecte.
La mauvaise foi de UNIR et UFC
Il faut être un extra terrestre pour supporter les dernières propositions de sortie de crise de l’Union des forces de changement (UFC) et de son allié RPT/UNIR. Lors d’une sortie médiatique le 05 octobre dernier, Gilchrist Olympio qui avait signé le 26 Août 2010 un accord avec le pouvoir et dans lequel les deux parties convenaient de la mise en œuvre des réformes constitutionnelles et institutionnelles dans un délai de 6 mois, a changé son langage. Malgré l’expiration depuis belle lurette de ce moratoire, Gilchrist Olympio, sans vergogne, propose la mise en place d’une Assemblée constituante et l’opérationnalisation des réformes constitutionnelles et institutionnelles après les législatives en perspective. Sa sortie médiatique n’a fait ni chaud ni froid aux responsables du Collectif Sauvons le Togo (CST) qui estiment qu’il est dans son rôle d’ « accompagnement du régime».
Dans un pays qui se veut respectueux des principes démocratiques et de l’Etat de droit, les institutions ne sont jamais taillées sur mesure ni à la solde du parti au pouvoir. Malheureusement, c’est ce qui est à la mode au Togo où les chances d’une alternance sont vouées à l’échec. Le pouvoir a tout monopolisé y compris la constitution. Maintenant que la loi fondamentale du pays souffle ses 20 bougies, le plus grand cadeau que Faure Gnassingbé et sa clique devraient offrir au peuple togolais est de lui retourner sa Constitution adoptée par plébiscite en Septembre 1992.
Ce serait aussi une occasion pour lui de marquer la différence avec son défunt père. A l’issue de dialogue du 13 septembre dernier, il a été convenu que le mandat présidentiel sera d’une période de cinq ans renouvelable une seule fois.
Comme le revendiquent l’opposition et l’opinion nationale sur sa non représentation au scrutin présidentiel de 2015, Faure Gnassingbé devrait apaiser les cœurs et lever l’équivoque en se prononçant ouvertement sur cet aspect des conclusions du dialogue du mois passé.
La valeur d’un homme d’Etat passe aussi par le respect de la volonté populaire et par la capacité de prendre des décisions courageuses. Et comme le stipule l’une des recommandations de la Commission Vérité Justice et réconciliation (CVJR), Faure Gnassingbé est interpellé afin d’éviter le chaos dans un pays où l’atmosphère est déjà surchauffée. Le retour à la Constitution de la quatrième République s’impose.
Jean-Baptiste ATTISSO