Indépendant Express : M. Brim Bouraïma Diabacté Bonjour, depuis un moment, vous êtes beaucoup plus incisif, très critique vis-à-vis du régime togolais. Est-ce à dire que le vice-président de l’UFC est en train de lâcher le pouvoir RPT/UNIR ?
Brim Bouraïma Diabacté : Non, je ne tenais pas le pouvoir RPT/UNIR, je ne lâche personne. Je suis en train de faire ce que le peuple m’a confié. L’UFC a signé un accord avec le régime. Notre président Gilchrist Olympio a signé cet accord dans l’intention de calmer le peuple, de faire tout pour que la paix revienne dans le pays. Parce qu’il estime qu’il a eu trop de pertes en vies humaines. Alors, il faut qu’il y ait la paix pour favoriser le développement du pays et que l’alternance se fasse de manière pacifique. Ça commence par porter fruits, il y a l’accalmie, le développement, les rues sont bitumées et brusquement, tout change parce qu’il y a beaucoup de mauvaise foi.
Vous parlez de mauvaise foi et aujourd’hui, le peuple togolais est dans la rue pour manifester son indignation face à la non-effectivité des réformes depuis 11 ans. D’abord dites-nous, êtes-vous partisan de cette fronde populaire ?
Partisan de quoi ? Je suis dedans. Notre parti l’UFC est créé quand personne ne peut lever la tête au temps d’Eyadéma. Moi, je suis du nord. Pensez-vous qu’un enfant du nord sous Eyadéma, peut aller créer un parti avec Gilchrist Olympio ? C’est un affront à Eyadéma et il faut qu’il lave cet affront-là. Mais je l’ai fait avec mon grand frère, feu Amah Gnassingbé. Nous l’avons osé. C’est pour vous dire que nous ne sommes pas des militants de dernières heures.
Alors trouvez-vous légitime les revendications des togolais ?
Le pied se blesse en marchant trop longtemps avec des chaussures serrées. C’est-à-dire que l’injustice persistante amène la révolte. Ça fait 50 ans qu’ils sont là. Nous avons fait des dialogues, 25 dialogues au total. J’ai pris part à tous ces dialogues. C’est devenu comme le tonneau des danaïdes, un tonneau sans fond qui ne se remplit jamais.
La ville de Mango est entrée dans le mouvement de contestation mais elle est terrorisée par l’armée. Plusieurs morts. En tant que député de cette localité du pays, comment accueillez-vous la barbarie, cette brutalité des militaires à Mango ?
D’abord la ville de Mango n’est pas entrée dans le mouvement, mais elle est depuis longtemps dans le mouvement. Je vous rappelle que la Conférence nationale souveraine a déclaré Mango, ville sinistrée. Et la seule personne qui crée toujours des problèmes à Mango, c’est Natchaba. M. Natchaba Fambaré. C’est un monsieur terrible qui a fait plus de mal que bien. Le bien qu’il fait, il le fait mal, et le mal qu’il fait, il le fait bien. Son amitié est plus dangereuse que sa haine. Tout le désordre qui se passe à Mango, Natchaba est le principal instigateur. Quant au président Faure, on dit souvent « New King, New Law » (nouveau roi, nouvelle loi, ndlr). Quand il est arrivé au pouvoir, je crois qu’il ne doit pas repartir avec les anciens qui entouraient son papa. Ce sont eux qui lui mettent le bâton dans les roues. Il devait constituer son équipe et avancer. Mais il ne l’a pas fait.
Vous avez aussi quitté l’Assemblée nationale avant l’adoption du projet de loi du gouvernement. Quel sens donnez-vous à votre départ alors que l’UFC est toujours un allié du régime togolais ?
Je suis le député du peuple. J’ai été élu à Mango. Cette ville réclame quelque chose (le retour à la constitution de 92, ndlr). Dois-je rester là à faire l’âne de Buridan ? Je ne suis pas parti à l’Assemblée nationale en tant que Diabacté Bouraïma Brim, un quelconque individu, mais j’y suis en tant que député d’une localité du peuple. Et lorsque ce peuple réclame quelque chose, je dois répondre positivement. Je considère que pour respecter la volonté du peuple, je dois quitter pour ne pas être complice d’une machination contre le peuple. C’est pourquoi, je suis parti.
« En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats ». Que pensez-vous réellement de cette phrase ?
Il y a beaucoup de malins au Togo. Quelqu’un dira, oui, j’ai fait deux mandats et je suis parti. Maintenant, je peux revenir, non. Une fois que vous avez fait deux mandats, c’est terminé. Quelle que soit votre utilité, vous n’allez plus revenir. Après deux mandats déjà, dix ans de pouvoir, on est usé. Donc la phrase là a son sens. Allez-vous reposer. C’est fini. Obama a fait deux mandats. Quelles que soient ses qualités, il ne va plus jamais revenir. En aucun cas, personne ne fera plus de deux mandats.
Donc avec le retour à la constitution de 92, Faure Gnassingbé doit quitter en 2020 ?
En principe. Je ne sais pas ce que pensent les juristes. Mais avec le bon sens, c’est de cette manière que j’interprète les choses. Tu as fait deux mandats, tu ne peux plus revenir quelle que soit ta qualité, quelle que soit ton intelligence. Tu dois partir et laisser la place à un autre.
Depuis un moment, des indiscrétions font état de ce que Gilchrist Olympio veut copter son ami Nana Akufo Addo, le président ghanéen pour une médiation dans la crise politique au Togo. Êtes-vous au courant d’une telle démarche ?
C’est vous qui me l’apprenez. Si l’information est juste, je dirai que s’il (Akufo Addo, ndlr) peut faire quelque chose pour que la paix revienne et qu’on fasse revenir la constitution de 92, alors je vais lui tirer chapeau parce qu’il est assez sage pour pouvoir faire de bonnes choses. Je crois aussi que Gil (Gilchrist Olympio, ndlr) est assez mûr pour faire des choses qui puissent permettre à ce que le peuple soit libre. A Mango actuellement, la ville est presque déserte et ils (les militaires, ndlr) continuent d’arrêter les gens.
Quelle sera la responsabilité du ministre Yark dans les différentes tueries ?
Yark est dépassé. Ce ne sont ni les policiers ni les gendarmes, mais des militaires qui tirent sur les gens. Donc le ministre de la sécurité, Yark Damehane n’a pas de pouvoir sur eux. Yark est un grand musulman qui ne sait pas mentir. Dès qu’il veut le faire, il se mélange les pédales.
Quelle lecture faites-vous du communiqué du groupe des 3, la CEDEAO, l’Union Africaine et le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, qui appelle le peuple togolais à aller au référendum ?
Méfiez-vous de ces gens-là. Les Chambas (Ibn Chambas, ndlr) et consorts. Il y a trop de roublards parmi eux. Moi, je prends cette déclaration avec des pincettes. Ça peut aussi venir de nous-mêmes. Donc ne croyez pas tout de suite que c’est quelque de vrai. On a nous trop longtemps roulé, trompé dans ce pays.
Honorable Diabacté, vu les circonstances actuelles, est-ce qu’on doit aller au référendum ?
On leur a dit de ramener la constitution de 92. Qu’ils ramènent ça et c’est tout. Avez-vous une fois vu des élections justes et crédibles dans ce pays ? Si l’on va au référendum, ils nous serviront ce qu’ils veulent.
N’êtes-vous pas en train de regretter aujourd’hui l’accord RPT-UFC ?
Depuis que Gil dirigeait le Comité de suivi, il avait prévu toutes ces réformes : scrutins à deux tours, limitation du mandat présidentiel, etc. Seulement, ce que je lui ai dit, c’est de parler. Notre président devait aussi parler. Aujourd’hui, ils (le pouvoir togolais, ndlr) ont tout bloqué. Je crois que Gil est lui aussi dépassé par les évènements. Il n’a pas la mauvaise volonté. Gilchrist Olympio cherche quelque chose de bon pour le peuple. Je vous ai dit qu’il a vu trop de morts, c’est pourquoi, il a accepté cet accord pour une transition pacifique. Figurez-vous qu’il était parti avec moi à Mango pour la création d’une usine de sucrerie. Ça fera bientôt 07 ans, mais le projet est à vau-l’eau, puisque l’autre camp ne voulait en réalité l’aider.
Voulez-vous dire que M. Gilchrist Olympio est dépassé par les évènements ?
Oui, je crois.
Alors le régime togolais surfe-t-il sur l’accord RPT-UFC pour vous rouler dans la farine ?
Ça, c’est sûr et, je crois que Gil doit être en train de le regretter maintenant. Lui-même sait comment les choses se passent aujourd’hui.
Pourra-t-on voir le vice-président de l’UFC, le député Diabacté dans la rue, marcher aux côtés du peuple ?
Oui, pourquoi ne pas marcher ? Je dois marcher. Vous me verrez bientôt dans la rue et aux côtés du peuple. Attendez les prochaines manifestations, j’y serai. Je dois y être, je dois marcher.
Honorable Brim Bouraïma Diabacté, merci
C’est moi qui vous remercie
Interview Réalisée par Sylvestre K. BENI