Son père a usé de nombreux Premier ministres durant ses 38 ans de règne sans partage. Faure Gnassingbé, le fils, a perpétué la pratique. Edem Kodjo, Yawovi Agboyibo, Komlan Mally et Gilbert Houngbo sont passés par là. Le dernier Premier ministre en date est Kwesi Séléagodji Ahoomey-Zunu, venu dans des conditions particulières de crise et de mécontentement. Comme ses prédécesseurs, il a promis beaucoup de choses à ses compatriotes pour dit-il, solutionner les enjeux auxquels la nation togolaise est aujourd’hui confrontée. Mais force est de constater que 4 mois après, rien n’a évolué. Au contraire la situation semble plus que jamais s’enliser. Ahoomey-Zunu promet beaucoup et fait très peu.
La situation politique et sociale était des plus moroses au Togo quand le chef de l’Etat, Faure Gnassingbé, a décidé de se séparer du gouvernement Houngbo II. L’objectif du N°1 togolais était de former un nouveau gouvernement ou plutôt un gouvernement de crise dont l’objectif principal sera de relever les défis auxquels le pays est confronté. C’est ainsi que l’ancien secrétaire général de la présidence et ministre du Commerce à l’époque, Kwesi Séléagodji Ahoomey-Zunu, fut nommé à la place de Gilbert Houngbo.
La feuille de route confiée à M. Ahoomey-Zunu était très claire et est mue essentiellement par le souci d’apporter des réponses concrètes aux attentes et aux préoccupations des Togolais et de consolider les acquis des réformes de grande envergure qui ont permis d’affermir la marche vers la démocratie et l’Etat de droit et de jeter les bases de la relance économique.
En somme, cette feuille de route s’articule autour de quatre grands points : l’approfondissement du dialogue démocratique ; le respect des règles de bonne gouvernance ; la promotion d’une société internationale pacifique et la protection des citoyens contre l’insécurité ; et enfin le développement d’une économie de proximité. Malheureusement, quatre mois après la déclaration de politique générale du chef du gouvernement, le constat est plus que clair: aucune des promesses faites par Ahoomey-Zunu n’est véritablement tenue. En somme, la feuille de route confiée à ce dernier par le chef de l’Etat se met en œuvre à reculons.
Approfondissement du dialogue démocratique ou de la crise ?
« Le dialogue politique doit, sans attendre, reprendre toute sa place au sein de la société togolaise. Il doit concerner tous les courants politiques et l’ensemble des forces vives de la nation. A cet effet, le gouvernement accordera un degré de priorité élevé à la relance du dialogue et des concertations politiques dans le but de traduire dans les faits, le souci d’ouverture et de cohésion nationale constamment exprimé par le chef de l’État ». Tels étaient les propos tenus par le Premier ministre Ahoomey-Zunu, au cours de sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale le 02 août dernier pour justifier la relance du dialogue politique.
Et d’ajouter que « les discussions et les consultations seront engagées par le gouvernement pour favoriser l’examen, dans un esprit d’ouverture et sans sujets tabous, des mesures susceptibles de contribuer à l’organisation d’élections apaisées, répondant pleinement aux normes et aux standards internationaux en matière d’élections libres, démocratiques et transparentes ».
Mais aujourd’hui, on peut dire sans risque de se tromper que le gouvernement a du mal à tenir ses promesses. Pire, il brille beaucoup plus par sa mauvaise foi que par une réelle volonté de dialoguer de manière approfondie. Ceci, pour plusieurs raisons.
D’abord, l’histoire politique du Togo nous a montré que le règlement de la crise politique passe nécessairement par la mise en œuvre des réformes constitutionnelles et institutionnelles préconisées par l’Accord politique global (APG). Le Premier ministre ne l’a-t-il pas reconnu dans son discours programme lorsqu’il disait que « le gouvernement s’attellera à approfondir les mécanismes de la concertation afin que les réformes institutionnelles et constitutionnelles qui mettent en jeu les grands équilibres de notre architecture politique institutionnelle puissent être engagées et réalisées avec l’ensemble de tous les Togolais »? Mais voilà un gouvernement qui, tout en se disant prêt à relancer et à approfondir le dialogue démocratique dans un esprit d’ouverture et sans sujets tabous, refuse délibérément d’aborder les sujets concernant les réformes en question. Pourtant, ces réformes ont été préconisées depuis 2006. Plus de six ans après, elles sont bien loin de faire l’objet des préoccupations du pouvoir (incarné aujourd’hui par UNIR et l’UFC) qui va de procrastination en procrastination sans chercher à les mettre en œuvre.
Voilà essentiellement ce qui est à l’origine du blocage que connaissent les dialogues initiés ces derniers temps. Puisque pour l’opposition, aucun dialogue ne doit laisser de côté les réformes constitutionnelles et institutionnelles. Elections d’accord, mais réformes d’abord, dit-on du côté des opposants. Conditionner toute discussion à la mise en œuvre des réformes préconisées par l’APG, est-ce une faute ? C’est en cela que dire, comme le ministre Gilbert Bawara, que l’opposition n’a aucune volonté de discuter, relève de la pure démagogie.
Ensuite, le Premier ministre peut-il prétendre approfondir le dialogue démocratique, si les faits et gestes de certains de ses ministres prouvent carrément le contraire ? La preuve, en mai dernier, l’ex-ministre de l’Administration territoriale et porte-parole du gouvernement, Pascal Bodjona, avait conduit un dialogue avec l’opposition, dialogue relatif aux réformes constitutionnelles. C’est ainsi que, pour régler la question portant sur le découpage électoral inique et injuste de 2007, les parties prenantes à la discussion ont abouti à la conclusion selon laquelle le nombre de députés à la prochaine Assemblée nationale passera de 81 à 91. Le 31 mai, l’Assemblée nationale du Togo a fait la relecture et adopté cette loi organique qui fixait le nombre de députés à 91. Bien que ne corrigeant pas totalement l’ancien découpage électoral, cette loi avait tout de même le mérite d’attribuer une dizaine de sièges de plus à la partie sud du Togo, victime de la répartition de 2007, par rapport à la partie septentrionale considérée comme le fief du pouvoir.
Mais, quelques semaines plus tard, au cours du tout premier dialogue initié par le gouvernement Ahoomey-Zunu, cet acquis fut rangé dans les placards, en dépit du fait qu’il ait été voté par l’Assemblée nationale. L’injuste découpage électoral de 2007 sera maintenu avec un léger changement qui a consisté à attribuer deux sièges supplémentaires à la circonscription électorale du grand Lomé. De 91 avec le dialogue piloté par Pascal Bodjona, le nombre de député passera à seulement 83 avec celui piloté par le nouveau gouvernement. Et dire que cette équipe se disait ouvert au dialogue ?
Par ailleurs, la mauvaise foi du gouvernement n’a jamais été aussi flagrante. Les dialogues de ces derniers temps en sont les plus parfaites illustrations. Le processus électoral se poursuit comme si de rien n’était, le bureau de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) s’est formé de façon unilatérale avec une présidente qu’on dit de la société civile, mais qui est pieds et mains liée au pouvoir. Au finish, malgré les revendications et les préalables posés par l’opposition, le pouvoir poursuit son petit bonhomme de chemin conduisant le pays vers des élections violentes et contestées.
Et que dire des mesures d’apaisement et de confiance prônées à travers l’accélération de la mise en œuvre des recommandations de la CNDH et de la CVJR ? Aucune d’entre elles n’a été véritablement prise. Au contraire, le gouvernement s’est contenté de mentir, indiquant que 90% des recommandations faites dans le cadre des enquêtes sur les allégations de torture à l’Agence nationale de renseignement (ANR), ont été mis en œuvre. En somme, il n’y a pour le moment pas eu ni mesure d’apaisement et de confiance, ni accélération de la mise en œuvre des recommandations de la CNDH et de la CVJR, ni véritable relance du dialogue pour consolider le climat d’apaisement. Ahoomey-Zunu a promis le dialogue approfondi, mais il est plutôt en train d’approfondir la crise.
Rodolph TOMEGAH