De Tanger à Pointe-Noire, les projets portuaires ambitieux se sont multipliés ces dernières années. À la manoeuvre, les opérateurs privés concessionnaires des terminaux.
C’est le plus gros porte-conteneurs au monde. Avec ses quelque 400 m de long pour 54 m de large et un tirant d’eau de 16 m, le Marco Polo a besoin de ports à sa dimension. Au nombre des escales prévues pour son premier voyage figure Tanger, où il est arrivé le 6 décembre. Sur la façade ouest-africaine, le port marocain est en effet le seul à pouvoir aujourd’hui l’accueillir. Ce joli coup de pub pour Tanger est le résultat d’investissements colossaux – 7,5 milliards d’euros entre 2004 et 2012 – qui ont permis la mise en service de Tanger Med et de ses infrastructures modernes, il y a cinq ans. Les quais s’y étalent sur 1 600 m et les deux terminaux actuellement en service traitent plus de 2 millions de conteneurs à l’année.
À Pointe-Noire (Congo), l’extension des quais de 270 m, gagnés sur la mer, est terminée, et le dragage est en cours pour atteindre 15 m de profondeur. Le terminal à conteneurs, qui enregistrait 120 000 mouvements d’EVP (équivalent vingt pieds, unité de mesure du trafic en conteneurs) en 2006, en compte aujourd’hui 500 000, et l’opérateur vise le million en 2014. « Ces travaux sont indispensables pour pouvoir accueillir des bateaux de plus de 6 000 EVP et disposer d’une véritable plateforme de transbordement en Afrique centrale », poursuit Dominique Lafont.
En parallèle, les travaux en cours sur le port de Lomé (Togo) visent à quintupler les quelque 200 000 mouvements annuels, tandis qu’à Conakry (Guinée) le groupe Bolloré s’est engagé à investir 500 millions d’euros en vingt-cinq ans, notamment pour tripler la longueur actuelle des quais du terminal à conteneurs et atteindre, là aussi, le million de mouvements par an. Exactement comme à Cotonou, au Bénin, où l’opérateur annonce avoir déjà enregistré une hausse de 50 % des volumes depuis 2006 et dont il ambitionne de faire une annexe du port de Lagos.
Obstacles financiers
Le français n’est pas le seul à investir dans les ports de l’Ouest africain. À Dakar, au Sénégal, c’est l’émirati DP World qui a été choisi en 2007 pour une concession de vingt-cinq ans, comprenant la modernisation des infrastructures. Selon la Banque africaine de développement (BAD), ce projet, d’un coût de 210 millions d’euros, est presque achevé ; le temps d’attente moyen des navires en rade a été réduit de quinze à deux heures et celui des camions de plusieurs heures à moins de trente minutes.
À São Tomé, la construction d’un nouveau port en eau profonde, prévue depuis 2008, a été confirmée en mai dernier par CMA CGM. « S’il faut donner une date, je dirais 2016-2017 pour mettre tous les travaux en place. L’aspect financier avait été un obstacle […], mais pour le moment ce n’est plus le cas », affirme Farid Salem, directeur de Terminal Link, filiale de CMA CGM.
Comme à São Tomé, certains grands projets prennent du retard ou restent dans les cartons à cause de la crise mondiale, à l’instar de Tanger Med 2. Celui-ci devait initialement entrer en service en 2012, mais seul l’un des deux terminaux vient de trouver un concessionnaire. Il sera finalement opérationnel en 2014. Chez BAL, on assure ne pas avoir décalé ou revu à la baisse les investissements prévus. « Mais il fallait être assez culotté pour faire ce que nous avons réalisé à Conakry ou à Pointe-Noire malgré la crise », sourit Dominique Lafont. Pour lui, les financements ne font pas réellement défaut ; c’est avant tout aux autorités publiques de décider de leurs schémas directeurs – et donc de la modernisation éventuelle de ports où la saturation est prévisible, comme au Ghana ou au Gabon.
Panacée
Cette temporisation forcée n’a d’ailleurs peut-être pas que des inconvénients. Dans une publication récente de la Banque mondiale intitulée Pourquoi les marchandises restent-elles des semaines dans les ports d’Afrique subsaharienne ?, des économistes mettent en garde contre la tentation de voir dans les travaux d’aménagement portuaires la panacée. En effet, selon l’ouvrage, utiliser le port comme zone de stockage reste avantageux dans de nombreux cas pour les importateurs africains. En outre, les procédures de transit ou de contrôle douanier – relativement indépendantes de la modernité des infrastructures – sont très lentes. Résultat : la durée d’immobilisation des marchandises est de plus de quinze jours sur la façade ouest-africaine contre trois à cinq jours dans le reste du monde… ce qui engendre un surcoût. « Un investissement dans une infrastructure de transport ne réduit pas nécessairement le prix du transport si les structures de marché sont défaillantes », conclut Gaël Raballand, l’un des auteurs.