Législatives: A quoi joue Aguigah ?
C’est un secret de polichinelle. Depuis la semaine dernière, la présidente de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Angèle Dola AGUIGAH, à l’issue d’une séance d’identification des doublons le mercredi 15 Mai, a surpris plus d’un Togolais en annonçant la tenue des élections législatives dans la première semaine du mois de Juillet 2013. Une annonce qui suscite une indignation de la part de plusieurs personnes avisées. Dans les milieux politiques, on qualifie cette annonce de provocation et d’insulte à la population. Au-delà des réactions des politiques, cette annonce semble être fantaisiste et irréaliste en considérant le délai de 45 jours qui sépare cette annonce de la date indiquée. Beaucoup d’observateurs pensent que la tenue des élections à cette date évoquée risque de faire plonger le pays dans une période postélectorale chaotique, préjudiciable à la stabilité.
« Cette date n’est pas réaliste. Je la croyais une dame sérieuse mais avec cette annonce, elle ne l’est pas du tout ». Ces propos sont ceux d’une haute personnalité qui suit de près le processus électoral au Togo et qui d’ailleurs a tiqué dans son fauteuil lors de la séance à la CENI où l’annonce a été faite. C’est dans une confusion totale, une période qui n’est pas une date précise, une pure hésitation, une approximation qui laisse entrevoir une volonté mesquine d’aller aux élections, malgré la position de refus de l’Union Européenne. Angèle Aguigah joue à un jeu d’enfant avec la politique togolaise ; Pur jeu d’enfant qui réserve des conséquences fastidieuses.
Visiblement, cette date n’est pas tenable. Tout le monde en est persuadé sauf celle qui l’a annoncée ou tout au plus les membres de la CENI. Cela vaut pour les responsables du parti UNIR (Union pour la République) pour qui les élections sont une discipline éthérée à laquelle on peut s’adonner sans préparation préalable. Certains observateurs de la société civile pensent d’ailleurs que la dame Angèle n’est pas en posture de présidente d’une institution indépendante mais elle est téléguidée par des mains noires.
Ils déclarent que ce n’est pas de ses prérogatives de fixer la date d’une quelconque élection. La fixation de la date des élections devrait être pour eux une décision prise en conseil des ministres ou du moins par décret présidentiel. Donc en clair, les mobiles d’une telle précipitation de dame Angèle sont ailleurs. Ses sorties intempestives pour fixer la date des élections ne sont que des usurpations. Des mauvaises langues estiment que c’est parce qu’elle est dans de bonnes grâces du Chef de l’Etat qu’elle se permet de pareilles sorties.
Une annonce problématique
Une élection qui doit avoir les qualificatifs de transparence, d’équité et de liberté se prépare en amont et aval. Aujourd’hui, tout observateur crédible peut jurer la main sur la conscience que dans moins de deux mois, l’élection législative tant attendue au Togo ne peut avoir ces qualificatifs. A moins qu’on feint de voir la réalité en face. Nous ne saurions dire que Madame Aguigah est partisane de politique d’autruche, mais une chose dont nous sommes sûrs est qu’elle est professeur d’anthropologie à l’Université de Lomé à sa nomination à la tête de la CENI.
Par ailleurs, l’organisation du scrutin législatif mérite la résolution de beaucoup de préalables. Aujourd’hui, le type de scrutin n’est pas encore défini de même que le découpage électoral. De grandes divergences de vue existent entre le pouvoir et l’opposition sur ce découpage depuis plusieurs mois. De plus, selon les dispositions du Code électoral, les candidats des différents partis, coalitions de partis ou indépendants devraient être connus au moins 45 jours avant la date du scrutin. Ceci est impossible aujourd’hui si l’on se réfère à cette fourchette de date annoncée. Même le parti présidentiel avec lequel Angèle Aguigah a de profondes affinités n’a pas encore réussi à dégager ses lieutenants pour la bataille à venir.
En outre, le gouvernement a annoncé il y a à peine un mois qu’il financerait la campagne des partis politiques. Au Togo, il y a plus d’une centaine de formations politiques qui partagent l’échiquier national. Les critères et la liste des partis bénéficiaires ne sont pas encore connus. La Constitution togolaise dit clairement que toute élection quelle qu’elle soit doit avoir lieu un dimanche. Si on se réfère au calendrier, le premier dimanche du mois de Juillet tombe sur la date du 07. Cela veut dire qu’Angèle Aguigah dans son subconscient, fait allusion à cette date. Mais le fait qu’elle ne l’ait pas dévoilé publiquement fait dire à l’opinion que son annonce n’est que du dilatoire et de la supercherie. D’aucuns disent qu’elle a tout simplement ouvert la bouche et que c’est inconsciemment que cette date est sortie. En tant qu’intellectuelle, Angèle Dola Aguigah devrait assumer ses responsabilités dans la loyauté et non dans la servitude.
Et l’opposition réagit…
Ce n’est plus un secret pour personne à l’interne comme à l’externe. Depuis le déclenchement de la fameuse affaire des incendies, plusieurs responsables de l’opposition sont dans le collimateur de la justice. Les uns ont été incarcérés avant d’être relâchés puis placés sous contrôle judiciaire. Agbéyomé Kodjo du parti OBUTS, Suzanne NUKAFU de l’ANC en sont des exemples. Etienne Yakanou, lui, a été physiquement liquidé, mort entre les mains des tortionnaires. Beaucoup d’autres continuent d’ailleurs de croupir dans la réserve de la gendarmerie transformée à tort en lieu de détention et dans d’autres lieux de torture. Plus d’une vingtaine ; Gérard Adja, le vice président de OBUTS, Appolinaire, le garde de Jean Pierre Fabre. D’autres personnes proches des personnes inculpées à tort se sont mises à l’abri des prédateurs. Radji Koudous, proche du défunt Yakanou, sa femme et ses enfants sont en totale insécurité. Les responsables des partis politiques d’opposition, défenseurs des droits de l’homme et journalistes vivent avec la peur au ventre. L’opposition dans sa globalité estime que ses militants ne sauraient être en détention et participer à une quelconque élection. De plus, elle déclare que cette annonce faite par la présidente de la CENI est une provocation et appelle le peuple à une indignation généralisée devant les crises qui secouent le pays dans plusieurs secteurs. L’annonce de cette date a suscité l’indignation même au sein de certains partis politiques, tels l’Alliance de Maurice Dahuku Péré, sélectionnés dans le Comité de suivi du processus électoral qui a soutenu que lors de la réunion tenue dans la matinée du 15 Mai, il n’a jamais été question d’une quelconque fixation de la date des élections.
En clair, la fixation de la date ressemble fort à une initiative individuelle d’une militante zélée en course poursuite de billets de banques. Des initiatives laissent à douter déjà sur la proclamation des résultats réels issus des urnes. Le chat échaudé craignant l’eau froide, les populations ont raison de se rappeler l’histoire électorale d’Awa Nana et Kissem Tchangaï-Walla.
Au niveau du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) de Me Dodji Apévon, l’inquiétude et l’indignation sont également au rendez-vous : « La mauvaise foi du régime s’est alors révélée au grand jour et ce n’est pas moi qui dirai le contraire en appelant le peuple à une mobilisation forte pour contrer le gouvernement dans sa logique d’organiser unilatéralement les prochaines élections législatives », a-t-il avoué. Pour lui, il y a suffisamment de crises au Togo qu’il faille faire économie d’une autre : « Ça ne sert à rien d’aggraver la crise togolaise. C’est pour cette raison que nous ne cessons d’appeler à un dialogue franc, sincère et inclusif qui doit déboucher sur un consensus sur les règles devant nous permettre d’aller à des élections apaisées. Faire le contraire, c’est mettre les charrues avant les bœufs », a-t-il poursuivi. Il appelle le peuple à une réaction d’indignation parce que le contexte dans lequel cette date a été fixée est dangereux et les gouvernants devraient prendre la mesure du risque qu’ils font courir au pays.
La tension sociale est à son paroxysme. Une prise de conscience s’impose. Le bon sens voudrait que la responsabilité ne s’assume pas pour les hommes mais plutôt pour l’histoire.
Jean-Baptiste ATTISSO