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Essence au Togo : un combat musclé pour un résultat médiocre

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Depuis quelques semaines, l’opération « entonnoir II » s’est durcie à Lomé. Descentes musclées des forces de l’ordre dans les lieux habituels de vente de carburants frelatés ; perquisitions violentes et répétées dans des maisons censées abriter d’éventuels trafiquants ; traque, arrestation et emprisonnement  systématique des jeunes qui continuent de s’adonner à cette activité, bref aucun répit n’est donné ni aux contrebandiers, ni aux vendeurs de carburant illicite. Conséquences, « le boudè » se fait de plus en plus rare entrainant de longues files d’attente dans les stations d’essence, elles-mêmes mal approvisionnées par la Société togolaise d’entreposage (STE).

Acheter de l’essence dans les stations service de Lomé devient de plus en plus difficile depuis quelques semaines. Plus question d’y aller et de se faire servir très facilement comme c’est le cas auparavant. Il faut attendre des minutes durant, prendre son mal en patience avant de se voir glisser le précieux liquide dans le réservoir de sa moto ou de sa voiture. Ce fut encore le cas dimanche dernier dans la soirée sur le tronçon Atikoumé-Adidogomé. La station TOTAL d’Avénou n’avait pas de carburant, la station CAP-ESSO située au niveau de Boukarou non plus. Les seuls endroits où on pouvait en trouver sur ce tronçon étaient les stations MRS de Franciscain et TOTAL d’Adidogomé. Mais là aussi, pas facile de se le procurer car les pompistes ont été pris d’assaut par des dizaines de motocyclistes qui se bousculaient, prêts à en venir aux mains et à en découdre avec ceux qui sont les derniers venus mais qui veulent être servi avant les premiers.

« C’est à cause de l’interdiction de la vente de carburant illicite que nous perdons du temps ici », lance à la station TOTAL d’Adidogomé un conducteur de taxi-moto, impatient, qui se faisait crier dessus parce que voulant forcer la queue et passer devant pour être vite servi.

« Vous croyez que si ce n’est pas ça, je vais perdre mon temps ici ? Ca fait deux ans que j’ai acheté ma moto et depuis, je n’ai jamais acheté du carburant dans une station d’essence. J’en achète toujours au bord de la route. C’est cette interdiction qui m’oblige à le faire », ajoute-t-il.

Deux raisons  expliquent l’affluence qu’on remarque dans les stations d’essence. D’abord la STE, la société chargée d’approvisionner les stations en carburant, ne fait pas correctement son travail.  Les approvisionnements ne sont pas faits dans le temps. Ce qui provoque de fréquentes ruptures de stock au niveau des stations service. En fin d’année dernière, les défaillances de cette société ont entraîné une grande pénurie de carburant à Lomé et à l’intérieur du pays. Une pénurie qui a duré plus d’une semaine. Les motos, voitures et autres engins n’ont continué à fonctionner que grâce aux vendeurs de carburant frelaté.  Qu’est ce qui a été à l’origine de cette situation ? Une question d’approvisionnement. Un décalage  dans les services qui fait que les camions citernes transporteurs peu nombreux ne peuvent se faire servir en même temps. Et ceci se répercute directement sur les stations service qui accusent de retard dans leur approvisionnement.

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L’autre raison est liée justement au carburant illicite. En effet, les vendeurs de « boudè » ne courent plus les rues depuis quelques semaines. Ils ont tous disparu, comme par magie. On n’en trouve presque plus sur les abords des routes et des rues de la capitale. Ceci  a obligé ceux qui étaient leurs fidèles clients à se replier sur le carburant des stations service.

Depuis le début de l’année, l’ « opération entonnoir », mis en place depuis trois ans par le gouvernement pour lutter contre le trafic et la vente de carburant illicite, s’est considérablement durcie. La seconde phase de cette opération, « entonnoir II », a été renforcée par le ministère de la Sécurité et de la Protection civile.

Plus aucune chance n’est laissé aux vendeurs de « boudè ». Ils sont traqués aussi bien en ville et sur les abords des routes qu’au niveau des frontières du Togo avec le Bénin et le Ghana, deux pays d’où viennent les centaines de litres de carburant qui sont déversés sur le territoire national. Cette tolérance zéro des policiers, gendarmes et douaniers vis-à-vis des trafiquants de carburant illicite tourne très souvent au drame. Vu que les pratiquants de cette activité ne se laissent pas facilement faire. En janvier dernier, une descente des forces de l’ordre dans la localité d’Aképé dans la préfecture de l’Avé pour saisir du carburant frelaté a tourné à l’affrontement entre ces dernières et les trafiquants auxquels s’est joint une partie de la population. Une résistance qui a obligé les forces de l’ordre à faire usage de gaz lacrymogène et même d’armes à feux. Bilan, plusieurs blessés du côté des policiers et gendarmes de même que du côté de la population où on a dénombré deux commerçantes grièvement blessées par balle. Une à la cuisse et l’autre au ventre.

Pas plus tard que la semaine dernière, la même localité d’Aképé a été de nouveau le théâtre d’affrontements entre jeunes autochtones et forces de l’ordre parmi lesquelles des militaires. Comme dans le premier cas, c’est une affaire de carburant frelaté qui a été à l’origine des incidents. Tout ceci, sans compter les nombreux morts et blessés recensés dans le passé à cause de l’opération entonnoir.

« Opération entonnoir » ou « opération racket » ?

Il vient juste de sortir de la prison civile de Lomé. Il y a été enfermé il y a quelques semaines après avoir été poursuivi et arrêté par les forces de l’ordre à la frontière Togo-Ghana quelque part vers Adidogomé. Il s’agit d’un ex-trafiquant de carburant illicite d’origine Aflao qui préfère garder l’anonymat, pour des raisons de sécurité. Mais nous allons l’appeler Kokou. D’après ce dernier, l’« opération entonnoir » mis en place par le gouvernement, est en réalité devenue une véritable « opération racket ».

D’après le témoignage de l’ex-trafiquant, l’ « opération entonnoir » sensée officiellement leur interdire le trafic et la vente de carburant frelaté n’a jamais fonctionné comme telle. Au contraire, elle s’est plutôt révélée un moyen de racket, très souvent abusif, trouvé par les forces de l’ordre pour s’en mettre plein les poches.

« L’opération avait bien commencé à ses débuts. Les forces de l’ordre avaient opéré quelques arrestations pour nous intimider. Mais après, c’est une véritable collaboration qui s’est instaurée entre nous », confie  Kokou.

« Fatigués d’être à chaque fois à nos trousses, certains des policiers ont fini par nous approcher sur ordre de leur patrons bien sûr. Ils ont négocié un certain nombre de choses avec nous pour en contre partie fermer les yeux sur nos activités », ajoute-t-il.

Selon ce dernier, certains des policiers qui étaient chargés de les traquer prenaient tout simplement de l’argent pour les laisser passer. « 2000 FCFA, 3000 FCFA, 4000 FCFA ou plus à chaque voyage. Tout dépend de la quantité de la marchandise, et nous pouvons passer tranquillement. Imaginer l’argent qu’ils se font chaque jour puisque je ne pas le seul à passer par jour. Nous sommes nombreux », affirme Kokou.

Certains policiers ne prennent pas directement de l’argent, poursuit l’ancien trafiquant de carburant. Ils préfèrent avoir de l’essence.

« Sur 100 litres d’essence, soit quatre bidons de 25 litres, certains nous prennent 10 litres, d’autres 15 litres. Ils ont eux-aussi des bidons dans lesquels ils emmagasinent le carburant qu’ils nous piquent. Et naturellement, ils utilisent une partie et mettent l’autre partie en vente », témoigne Kokou. « L’opération était devenu un véritable business pour eux. Et ça arrangeait tout le monde », renchérit-il.

Ça arrangeait tout le monde jusqu’au durcissement de l’opération en fin d’année dernière. Un durcissement qui a conduit Kokou en prison.

« Il y avait à un moment donné de nouveaux policiers qui voulaient nous intimider en changeant les règles du jeu. Ils voulaient prendre plus que ce que prenaient ceux qui étaient là avant eux. Ça ne pouvait pas marcher comme ça car on risquait de perdre. C’est là qu’on a décidé de changer de stratégie. On s’était créé d’autres chemins par lesquels on passait sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Un jour, ils nous ont eu, nous on poursuivi et arrêté. C’est comme ça que j’ai passé quelques semaines en prison », avoue Kokou.

Les trafiquants de carburant frelaté, en dépit de ces rackets, en trouvaient aussi pour leur compte. L’essence qu’ils achètent dans le Ghana voisin est vendue à 273 FCFA le litre. Le même est revendu aux Togolais à 600 FCFA le litre. Ce qui leur permet de faire un bénéfice de plus de 300 FCFA sur le litre. Des fois, surtout en des temps de grande pénurie, le carburant est vendu entre 800 et 1000 FCFA.

Le constat est saisissant. Même s’il semble se durcir aujourd’hui, l’« opération entonnoir » a cédé la place pendant longtemps à une collaboration sur fonds de corruption entre les forces de sécurité et les vendeurs de carburant frelaté au bord des routes. Chacun y trouve finalement son compte. A cette allure, le gouvernement est-il sûr de pouvoir mettre un terme à cette activité, en dépit de son caractère illicite ? Les forces de l’ordre semblent avoir le dessus pour le moment, puisque le carburant frelaté ne se vend presque plus. Mais jusqu’à quand ? Voilà la question. Une question qui mérite d’être posée vu que la STE a du mal à faire son travail. N’eut été les vendeurs de carburant frelaté, où les Togolais allaient-ils trouver de l’essence pendant la dernière grande pénurie ?  Selon une étude du ministère du commerce, le secteur formel représente 25 à 30% de la quantité de carburant consommé au Togo contre 70 à 75% pour l’informel. De quoi prouver que l’éradication totale de la vente de l’essence « Kpayo » n’est pas pour demain. Dans la foulée la vérité sur les prix des produits pétroliers ressemble à un gros mensonge. Les responsables en charge au ministère du commerce entraînent un flou kafkaïen sur les dessous du commerce du carburant. Les plus hautes autorités étant totalement impuissantes ou complices, face aux magouilles qui s’organisent dans ce secteur.

Rodolph TOMEGAH

 

 

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