On les croyait débarrassés des tares et insuffisances qui les caractérisaient il y a encore quelques années, surtout du temps du Général Eyadéma. Mais, ce n’est décidément pas le cas. Longtemps chasse gardée de l’ancien régime qui s’en servait pour assouvir ses propres intérêts et narguer son opposition, les médias d’Etat ont semblé revenir à leur véritable rôle avec la disparition de Gnassingbé Eyadéma et l’avènement de son fils au pouvoir. Mais, ceci n’a été que de courte durée. Aujourd’hui, la TVT, Radio Lomé, Radio Kara et Togo-Presse reprennent avec leurs vieilles habitudes : être au service du pouvoir au lieu d’être des médias d’utilité publique.
Elle fut le premier à voir le jour parmi les médias dits « médias d’Etat ». Il s’agit de Radio Lomé. Créée en 1953, bien avant l’accession du Togo à l’indépendance en 1960, cette radio diffusa sa première émission dénommée « Radio Crochet » le jeudi 13 août 1953.
En 1961, la loi n° 61-36 du 23 novembre crée l’Etablissement National des Editions du Togo (EDITOGO). L’article 3 de cette loi stipule que « l’Etablissement National des Editions du Togo a pour objet de produire tout matériel imprimé nécessaire à l’administration, à l’éducation, à l’information, au développement culturel, économique et social de la nation togolaise ». C’est dans cette droite ligne que sera créé le quotidien national « Togo-Presse » édité justement par EDITOGO.
En 1969, le gouvernement togolais prend officiellement la décision de doter le pays d’une chaîne de télévision afin de promouvoir l’information, l’éducation et le divertissement de la population. C’est néanmoins en 1973, plus précisément le 31 juillet, que seront inaugurés les studios de la télévision togolaise.
Ces trois médias de l’Etat, ajoutés à Radio Kara qui verra elle aussi le jour, avaient une mission très simple à leur création : informer et former le citoyen togolais. Mais très vite, ils vont se muer en médias de propagande pour le régime d’Eyadéma.
Au service du régime Eyadéma jusqu’en 2005…
« Président Eyadéma, c’est Dieu qui t’a mis la couronne royale. Président Eyadéma, le peuple est et sera toujours derrière toi ». Qui, dans les années 70 et 80, ne se souvient pas de ces chansons à la gloire du Général Eyadéma qu’on passait à longueur de journée sur Radio Lomé et Radio Kara et dont les paroles se résument à la citation susmentionnée ? Bien loin de la mission qui leur avait été confiée à leur création, ces deux médias passaient la plupart de leur temps à louanger Eyadéma. Aucun programme ne pouvait être conçu sans qu’une place ne soit réservée au ‘’Timonier national’’. Aucune émission ne pouvait se faire sans qu’on ne prononce son nom, mieux, sans qu’on ne le glorifie et l’élève. A croire qu’il a pris la place de Dieu. Au début ou à la fin de chaque phrase, on prenait bien soin de mentionner le nom de Gnassingbé Eyadéma.
Idem du côté de la télévision nationale où les génériques de presque toutes les émissions devraient laisser apparaître l’image de ‘’Gnass’’. Des tranches étaient même spécialement réservées et consacrées rien qu’à l’« adoration » du chef de l’Etat d’alors. Des mensonges grotesques, des montages d’images, des photos truquées, n’importe quoi pouvait passer sur les écrans de la télévision nationale. Pourvu que ça contribue à polir l’image du régime Eyadéma qui, en réalité, était un régime dictatorial.
Le Quotidien national, « La Nouvelle Marche » (c’est le nom qu’il avait en ce moment), n’était pas du reste. Aucun autre Togolais n’y avait accès si ce n’est Gnassingbé Eyadéma. De la première à la dernière page, on ne parlait que de lui, de ses audiences, de ses villégiatures etc.
Bien que ce soit des dérives et insuffisances flagrantes et indignes d’une presse publique, ce comportement des médias publics n’étonnait personne. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement puisqu’on était en période du parti unique où le culte de la personnalité était érigé en système. Le pouvoir d’alors ne pouvait faire autre chose que de se servir des médias publics pour faire sa propagande.
Le vent de la démocratie ayant mis un terme au parti unique et libéralisé la scène politique au début des années 90, beaucoup croyaient que les médias d’Etat allaient enfin se démocratiser, revenir à leur rôle traditionnel et servir à tous les Togolais. Ce fut le cas. Mais cela n’a duré que le temps de la période de transition. Quand Eyadéma reprit la main, la Télévision togolaise, les deux radios d’Etat et Togo-Presse devinrent de nouveau ses propriétés privées et la chasse gardée de son régime qui s’en servait à volonté contre l’opposition. De 1993 jusqu’à sa mort en 2005, les Togolais auront tout vu. Les éditions de journal qui, d’après les normes professionnelles, ne devaient en principe pas dépasser 30 ou 35 minutes, s’allongeaient sur une heure 30 voire deux heures. Et pour cause, les médias audiovisuels consacraient une bonne marge de temps aux regroupements et associations fantoches qui disent soutenir Eyadéma et diffusaient en intégralité les marches et autres manifestations qu’ils organisaient. Et que dire de la diffusion en intégralité des motions de soutien adressées par ces regroupements à Eyadéma dans sa résidence de Lomé II, motions qui se résumaient en de longs et interminables discours. Des manœuvres qui en réalité, n’ont d’autres buts que de flouer «le vieux dictateur et lui soutirer de l’argent.
Si ce n’est pas les marches de soutien qui rallongent le journal radio ou télévisé, c’est alors les éditoriaux des premiers responsables de ces structures qui exaspèrent les téléspectateurs et les auditeurs. Ces éditoriaux, destinés à couvrir d’éloge le Général président, peuvent durer 15, 20 ou 25 minutes, tout dépend des circonstances.
En somme, montages, mensonges, farces, contre-vérités étaient les choses qui caractérisaient le mieux les médias d’Etat à un moment donné. L’essentiel était de satisfaire les désidératas d’Eyadéma. Par ailleurs, la situation était telle qu’à un moment, ces médias avaient perdu toute leur crédibilité aux yeux des Togolais. Certains s’amusaient même à définir la TVT comme la « Très Vilaine Télé ». Quant au journal télévisé, ils l’ont surnommé tout simplement « le feuilleton d’Eyadéma ».
De mal en pis…
A l’avènement de Faure Gnassingbé au pouvoir en 2005, les choses ont semblé revenir dans les normes. De nouveaux responsables ont été nommés à la tête de ces structures à la place des anciens, réfractaires à toute réforme et à toutes nouvelles idées. C’est ainsi que les adversaires du pouvoir ont commencé, eux aussi, à avoir droit à quelques couvertures des médias publics. Un effort a été par ailleurs fait lors de la dernière élection présidentielle pour accorder le même temps de passage aussi bien au candidat du pouvoir qu’à ceux de l’opposition.
Mais, depuis quelques mois, les médias d’Etat reviennent de plus en plus à leurs anciennes habitudes, celles de n’assurer que la couverture des événements qui arrangent le pouvoir et de n’être qu’à son service. Comme s’ils étaient la propriété privée et exclusive des tenants du régime.
La TELEVISION TOGOLAISE (TVT) :
Depuis quelques mois, elle est quasi absente des manifestations de l’opposition notamment celles du Collectif Sauvons le Togo (CST). Elle refuse également de couvrir les manifestations des partis de l’opposition membres de ce Collectif. Jusqu’alors, la TVT n’a pas couvert ne serait-ce qu’une seule conférence de presse du CST ou de l’ANC. Et même s’il lui arrive de passer un élément ayant trait à l’opposition, elle l’expédie en une minute tout au plus. Au même moment, elle prend grand plaisir à couvrir jusque dans les moindres détails les marches de soutien du parti UNIR à Faure Gnassingbé. Injustice flagrante. Pire, elle se permet de diffuser en bande le communiqué du parti UNIR conviant les gens à venir y adhérer.
Dans l’affaire Bodjona par exemple, comme pour donner raison à ceux qui disent que ce dossier est politique, la TVT a assuré la couverture de la conférence de presse de l’Emirati Abass El-Youssef. Mais, on ne l’a pas vue à la sortie médiatique des avocats du ministre grand format. Ça dit tout.
En plus de ces tares, la télévision nationale traîne avec elle certains animateurs d’émissions dont l’apparition à l’écran dégoûte de plus en plus les téléspectateurs à cause de leur mauvaise prestation.
Du côté de la production, tout porte à croire que le travail n’est pas bien fait. La semaine dernière par exemple, les régisseurs ont essayé à plusieurs reprises de cacher les scènes érotiques que montrait un film qui passait sur les écrans de la télé. La manœuvre était devenue si fréquente qu’elle a enlevé aux téléspectateurs toute envie de continuer à visionner le film. A croire qu’on ne visionne pas les films pour passer en revue leur contenu avant de les diffuser sur les écrans.
Une autre défaillance tout aussi criarde réside dans le Magasine des sports que nous présente la TVT tous les lundis. Presque toutes les images que diffusent les agents de la production, notamment en actualité nationale, sont de très mauvaise qualité. Très souvent, les téléspectateurs ne reconnaissent même pas ceux qu’on interviewe, tellement l’image est noire. Et cela se répète tous les lundis. De l’amateurisme à outrance.
RADIO LOME et RADIO KARA :
Elles sont, à n’en point douter, les radios d’Etat les plus en retard de la sous-région. Locaux vétustes et datant de la période coloniale, matériels inadaptés aux réalités actuelles, personnel vieillissant conservant toujours les méthodes de présentation souvent médiocres, voilà ce qui caractérise le mieux Radio Lomé et Radio Kara qui, en plus, ne sont pas entièrement numériques contrairement à d’autres chaînes radio de la sous-région. Ajouté aux rumeurs selon lesquelles tout nouveau venu qui tente d’apporter du neuf est physiquement éliminé, il y a de quoi ne ressentir aucune envie de travailler dans ces deux structures. Et tout comme leur « sœur », la TVT, elles ne se mettent qu’au service du régime.
TOGO-PRESSE :
Vous avez dit Quotidien d’Etat ? Oui, Togo-Presse en est un, puisqu’il paraît tous les jours ouvrables et au frais du contribuable togolais. Cependant, ce journal ne ressemble aucunement à un journal d’Etat et n’est pas digne d’un pays qui se veut moderne. La faute à son patron qui ne veut apporter aucune innovation à cette presse qui devrait en principe être une vitrine pour le Togo.
En ce qui concerne sa forme, Togo-Presse est une catastrophe. Dire qu’elle est le dernier des journaux de la place du point de vue esthétique n’est pas trop osé. Bien qu’éditée par EDITOGO, une maison d’édition de l’Etat, elle ne laisse apparaître aucune beauté extérieure. Le papier dont on se sert pour l’imprimer n’est pas meilleur que le papier hygiénique. Voilà la raison pour laquelle Togo-Presse ressemble toujours plus à un chiffon qu’à un journal en bonne et due forme lorsqu’il sort de l’imprimerie. Par ailleurs, le montage du journal laisse à désirer. Il ne se fait avec aucune esthétique. Les articles y sont versés n’importe comment et les photos mal placées. Ce qui ne donne aucune envie de le lire ou même d’y jeter un coup d’œil.
Quant au fond du journal, il n’est pas mieux que sa forme. Il est et reste ce qu’il a toujours été. Les colonnes sont exclusivement réservées au régime en place. Quelques articles parlant des activités du chef de l’Etat, quelques uns ayant trait aux audiences du Premier ministre, plus quelques vieilles dépêches de l’ATOP et le tour est joué. Les manifestations de l’opposition y sont quasi absentes ou y figurent très rarement.
Une autre remarque tout aussi pertinente est que Togo-Presse n’a jamais de photos autres que celles de Faure Gnassingbé à sa Une. Jamais celle du Premier ministre ou du président de l’Assemblée ou une autre. Lorsque le chef de l’Etat ne reçoit personne en audience ou n’exerce aucune autre activité, la Une reste vierge, sans photo.
En somme, comparée aux journaux d’Etat de la sous-région, Togo-Presse est, sans aucune hésitation, le journal qui pointe en queue de peloton. Le monde est devenu un village planétaire grâce aux Nouvelles technologies de l’information et de la communication. Au lieu de continuer d’appliquer des méthodes d’un autre siècle, le premier responsable du Quotidien national togolais doit apprendre à aller plus souvent sur internet. Cela lui permettra de se rendre compte de la manière dont fonctionnent les journaux d’Etat sous d’autres cieux. Sinon, les Togolais continueront à acheter Togo-Presse, non pour l’information qu’elle contient, mais pour voir les offres d’emploi qui y sont insérées.
Voilà ce que sont les médias d’Etat au Togo. Ajouté à l’Agence Togolaise de Presse qui ne l’est que de nom et qui n’envoie que de vieilles dépêches, il y a de quoi se poser la question de savoir quand est-ce que la presse d’Etat entamera réellement sa modernisation.
Avec la complicité de la HAAC…
Instituée par la loi N°96/10/PR du 21 août 1996, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) a pour mission de veiller à l’exercice de la liberté de presse dans le respect de la déontologie en matière d’information et de communication. Mais qu’est-elle devenue ? Elle s’est plutôt transformée en gendarme des médias privés, en prédateur de la presse libre, prête à sanctionner les journaux ou à les suspendre de manière arbitraire s’il le faut. Le pire, c’est qu’elle ne jette son dévolu que sur la presse privée, laissant la plupart du temps les médias d’Etat dans leurs erreurs.
Combien de fois la HAAC est-elle intervenue pour rappeler la TVT, Radio Lomé ou Togo-Presse à l’ordre ? Combien de fois a-t-elle fait des reproches aux médias d’Etat ? Et pourtant, la presse privée n’est pas la seule à se montrer défaillante quelques fois. Les médias publics également ont leurs insuffisances et leurs défaillances qui méritent d’être sanctionnées. Refuser délibérément d’aller couvrir les manifestations de l’opposition n’est-il pas une faute ? Passer en intégralité les propos haineux de certains mouvements qui se revendiquent du pouvoir n’est-il pas une faute déontologique ? Censurer exprès la partie la plus importante du discours d’un leader politique, fut-il de l’opposition, n’est-ce pas assez grave pour faire l’objet d’un rappel à l’ordre ? C’est bien ce que la presse d’Etat fait certaines fois, au vu et au su de la HAAC qui ne dit rien.
Actuellement, les budgets des médias publics font partie intégrante du budget général de l’Etat et sont exécutés selon les règles des finances et de la comptabilité publiques. Autrement dit, ces médias fonctionnent grâce au contribuable togolais. Ils doivent donc cesser d’être la chasse gardée du régime et servir à tous les Togolais. Mieux, qu’ils redeviennent un véritable créneau d’éducation du citoyen.
Rodolph TOMEGAH